Eglises d'Asie

L’inflation galopante frappe les plus pauvres de l’archipel

Publié le 29/09/2018




Alors que l’inflation galopante se poursuit et que la nourriture et le coût de la vie deviennent de plus en plus chers, les consommateurs et l’Église commencent à se serrer la ceinture à travers l’archipel philippin. Les premiers frappés sont les plus pauvres du pays, où le taux d’inflation devrait continuer de monter. Il était d’1,3 % en juin 2016, et il a atteint 6,4 % deux ans plus tard, en août. C’est le taux le plus haut depuis neuf ans, et le plus élevé en Asie du Sud-Est. Le père Barja, à Guinobatan dans la province d’Albay, s’inquiète de la situation et alerte sur le sort des familles les plus démunies, touchées directement par la crise.

Le lieu ressemblait un peu à un musée d’images et de peintures religieuses, seul quelques coins restant faiblement éclairés pour la célébration de l’eucharistie. Pour la messe, quelques cierges supplémentaires ont été allumés afin de mieux éclairer l’autel, donnant au tout une allure de décor médiéval… et ajoutant un côté plus solennel à la célébration. Pourtant, l’intention du prêtre était loin d’être artistique. Il voulait simplement économiser l’électricité. Le père Diogenes Barja, de la paroisse Notre-Dame de l’Assomption de Guinobatan, dans la province philippine d’Albay, confie que l’église souffre de la dégradation de la conjoncture économique dans la région. « L’inflation se glisse partout et nous en sommes tous affectés », ajoute-t-il. Le presbytère a donc commencé à réduire l’utilisation de la climatisation. La cuisine doit s’assurer qu’il n’y a pas de gâchis de nourriture, et « tout le monde est forcé de se serrer la ceinture ». « Nous devons être économes dans notre consommation, parce que nous ne voulons pas compromettre les services de la paroisse à cause de la montée des prix », souligne le père Barja. Dans la ville de Vinzons, à environ 170 kilomètres de Guinobatan, Roberto Ilan, qui gagne sept dollars par jour, va à la messe tous les dimanches où il avait l’habitude, jusqu’à maintenant, de donner deux dollars. « L’argent est destiné aux pauvres dont s’occupe la paroisse. Cela ne me gêne pas de donner autant », explique-t-il. Une contribution de deux dollars est très généreuse. Beaucoup de paroissiens, en particulier dans les paroisses les plus pauvres du pays, ne peuvent se permettre de donner plus d’un dollar, voire moins. Ces dernières semaines, Ilan a dû cesser ses dons. À la place, il apporte un régime de bananes ou un sac de légumes en guise d’offrande. « Un kilogramme de riz vaut un peu plus d’un dollar. Les coûts des transports ont augmenté. Chaque centime compte ces jours-ci », regrette-il. En août, le taux d’inflation philippin a atteint 6,4 %. C’est le taux le plus haut depuis neuf ans et le plus élevé de tous les autres pays d’Asie du Sud-Est.

Un taux d’inflation qui a quadruplé en deux ans

La fondation Ibon, un think-tank indépendant, signale que les foyers philippins les plus pauvres ont perdu près de 50 dollars depuis le début de l’année à cause de l’inflation. « Au moins 60 millions de Philippins subissent une perte de pouvoir d’achat à cause de l’inflation galopante. Elle ronge les revenus des familles les plus pauvres », alerte Sonny Africa, directeur général d’Ibon. En janvier, le taux d’inflation a atteint 3,4 %. Il a ensuite grimpé jusqu’à 5,2 % en juin, soit plus du double par rapport au taux de l’année précédente à la même date (2,5 %), et quatre fois celui de juin 2016, 1,3 %. Sonny ajoute que parmi les causes majeures de cette spirale inflationniste se trouvent la dépréciation continue du peso philippin, la montée du cours mondial du prix du pétrole et la mise en œuvre d’une nouvelle réforme fiscale. « Le gouvernement doit arrêter l’application des nouvelles taxes et renforcer le contrôle des prix pour les produits de base », souligne Sonny Africa. La politique économique du pays, orientée vers le commerce extérieur et dépendante des importations, est une autre cause majeure de cette situation. « Plutôt que de soutenir le secteur agricole et d’appliquer une politique qui favoriserait les fermiers, le gouvernement se focalise sur les importations », explique Sonny. Il note aussi que l’importation de produits de base comme du riz, du poisson ou des légumes devrait être destinée à pallier les manques, « et non à rivaliser avec les produits locaux et priver les fermiers de leurs droits ». Le Réseau philippin des programmes de sécurité alimentaire (PNFSP) affirme que pour contrer la pauvreté, les pénuries alimentaires et l’inflation, la distribution de terrains aux paysans sans terre devrait être développée. « Cela contribuerait à améliorer la vie de la majorité des Philippins défavorisés », souligne Renmin Vizconde, directrice générale du Réseau.
Elle ajoute que le gouvernement doit cesser la conversion des terres « parce que cela contribue à la diminution des terres cultivables, ce qui affecte la productivité annuelle du secteur agricole ». « Si le pays commence à réformer dès maintenant le secteur agricole, nous pouvons éviter l’inflation et ses conséquences sur l’avenir », poursuit Renmin. Le 11 septembre, le président Rodrigo Duterte a assuré le public que les autorités économiques philippines se penchaient sur la situation. « Tout ne peut être rose dans la vie économique du pays. Je ne nie pas le problème, mais tout le monde souffre sur cette planète », a répondu le président Duterte. Ce mois-ci, Rodrigo Duterte a dénoncé le gouvernement américain pour la hausse de ses taxes à cause de l’inflation philippine. Capital Economics, un cabinet de conseil londonien en recherche économique, estime que le peso philippin va continuer de chuter à 55 pesos contre le dollar cette année, et jusqu’à 58 en 2019. Dans un rapport publié le 14 septembre, le cabinet de conseil explique que la chute du peso philippin est due à l’augmentation du déficit commercial, qu’il estime aggravée par la politique du gouvernement philippin. Le faible peso engendre également une pression accrue sur les prix des produits de base. L’église Notre-Dame de l’Assomption restera donc peu éclairée aussi longtemps que nécessaire. Le père Borja espère que la situation économique n’empirera pas, « parce que les foyers les plus pauvres vont finir par mourir de faim ».

(Avec Ucanews, Manille)