Eglises d'Asie

L’Église dans le monde : la diplomatie vaticane à la lumière de Primo Mazzolari

Publié le 05/12/2018




Le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège, est intervenu le 29 novembre à l’Unesco, lors d’un colloque international sur « Le message et l’action de paix de Don Primo Mazzolari (1890-1959) », sous le patronage de l’Unesco et en collaboration avec la fondation « Don Primo Mazzolari », avec la mission d’Observation permanente du Saint-Siège auprès de l’Unesco et avec le diocèse de Crémone (Italie). La rencontre a permis de redécouvrir la figure de don Primo Mazzolari, grande figure du catholicisme italien et visionnaire avant l’heure. Les intervenants ont notamment souligné l’influence de la pensée du prêtre sur la diplomatie vaticane et sur le modèle actuel des rapports entre l’Église et le monde. Extraits du discours du cardinal Parolin.

M. le Directeur général adjoint de l’Unesco Qu Xing, excellences, mesdames et messieurs, chers amis, Je salue tous les participants au Congrès international sur « Le message et l’action pour la paix de don Primo Mazzolari (1890-1959) » et je vous remercie pour l’occasion qui m’est offerte d’apporter une contribution au Siège prestigieux de l’Unesco. […] Le contexte de l’Unesco et les réflexions du pape François sont une occasion heureuse et opportune pour reprendre aujourd’hui le message de paix de don Mazzolari et réfléchir sur la manière dont la pensée et l’action de ce prêtre peuvent nous aider tous à vivre notre époque avec courage et à contribuer à construire ce que le pape François appelle, à la suite de ses prédécesseurs, « la civilisation de l’amour, dans laquelle chaque personne est aidée non seulement à avoir davantage, mais à être davantage » (Jean-Paul II, Discours à l’Unesco, n. 14).

Il est donc très approprié de célébrer ici, à l’Unesco qui a pour mandat de construire la paix dans l’esprit et dans le cœur des femmes et des hommes du monde entier (cf. Prologue de l’Acte constitutif de l’Unesco), une grande personnalité comme don Mazzolari, bâtisseur de paix et éducateur de fraternité. Né en 1890 à Crémone et ordonné prêtre en 1912, don Primo s’est retrouvé, jeune prêtre, à devoir affronter le drame de la guerre. En effet, en 1915, il est enrôlé comme simple soldat et, de 1918 à 1920, il continue son service dans l’armée italienne comme chapelain militaire. Pendant ces années, il mûrit certaines convictions qui le conduiront ensuite à devenir un bâtisseur de paix au vingtième siècle. À la veille de la première guerre mondiale, il est interventionniste et il salue favorablement l’entrée de l’Italie dans le conflit. Mais ce patriotisme initial est remis en cause par son expérience concrète comme prêtre en contact direct avec la guerre.

[…] La dure réalité de la guerre l’a aidé à comprendre qu’entre l’Évangile et la violence la distance est abyssale. Au cours des mois passés au cœur de l’Europe comme chapelain militaire, en Haute Silésie (Pologne), il réfléchit dans son journal, le 2 mars 1920 : « C’est seulement lorsque des peuples de races différentes sauront vivre ensemble sur une même terre, sans se faire de mal les uns aux autres, que nous serons parvenus à bon port. Mais alors le problème national et celui de la race n’existeront plus. L’humanité aura pris leur place ». C’est un message d’une grande actualité, à presque cent ans de distance ! À partir de cette expérience dramatique, Don Primo Mazzolari n’a cessé d’offrir sa contribution pour que la paix soit un lieu authentique de fraternité. Par la suite, tandis que les totalitarismes sévissaient en Italie et en Europe, ce curé de campagne a eu le courage de s’opposer avec force à toute forme d’injustice et de racisme.

« Le chrétien est un homme de paix »

[…] Après la seconde guerre, le curé de Bozzolo s’est engagé dans la pacification des esprits et dans la reconstruction sociale pour offrir des motifs de responsabilité civile aux catholiques. Il fonda à cette fin, en 1949, le bimensuel intitulé Adesso. Il poursuivit sans trêve son engagement pour la paix. Il œuvra pour un dialogue aussi avec ceux qui étaient loin, à savoir ceux qui, bien que ne se reconnaissant pas dans l’Église, avaient pourtant à cœur la question de la paix et qui luttaient pour l’interdiction de la bombe atomique. Sa tentative de dialogue avec les Partisans de la paix fut vue avec soupçon par l’Église elle-même qui eut du mal, dans ce contexte, à en comprendre la prophétie. Malgré les incompréhensions, la passion de Mazzolari pour la paix ne diminua pas. Au contraire, son engagement s’est transformé en « obstination ». Son journal devint une caisse de résonance qui n’épargnait ses critiques à personne, en un temps de dangereuse « guerre froide ».

Il écrivait le 15 octobre 1950 : « Ceux qui prêchent la paix et qui, au fond de leur cœur, souhaitent une guerre qui les soulage du cauchemar communiste, sont de faux pacifistes. Et ceux qui se disent contre toutes les guerres, sauf celles qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent servir la cause russe et communiste, sont de faux pacifistes. Devant ces coalitions hypocrites, dangereuses et simplistes, nous préférons les risques d’une politique inventive, qui ne se contente pas de répéter de manière abstraite ‘nous ne voulons pas la guerre’, mais qui emploie tous les moyens honnêtes pour l’empêcher, en commençant par la raison et la religion. Notre devoir est de nous opposer au fanatisme ».

[…] Le chef-d’œuvre de sa réflexion demeure sans doute le livre Tu non uccidere (Tu ne tueras pas). C’est un véritable manifeste pour la paix, publié anonymement en 1955, après les tragédies des guerres mondiales. Convaincu que « le chrétien est un homme de paix, non un homme en paix », Mazzolari invitait les chrétiens à ne pas se laisser dominer par la peur et à se mettre « devant » pour être une lumière visible par tous. Pour le curé de Bozzolo, il était absurde qu’après des siècles de christianisme, l’adage « Si tu veux la paix, prépare la guerre » soit encore gagnant. En réalité, il faut créer les conditions pour la paix. Il faut se positionner pour elle et il faut se rallier à elle. La paix est une vocation, la vraie vocation de l’homme. C’est pourquoi don Primo proposait de dépasser l’idée qu’il puisse exister une « guerre juste » à une époque où les armes étaient devenues tellement destructrices qu’elles pouvaient tuer des milliers de vies innocentes. Définissant comme une « folie » la course aux armements, don Primo a montré que « notre arme de défense est la justice sociale plus que la justice atomique ». Il avertissait : « La guerre commence lorsque, pour ne pas faire la guerre, je me mets dans le désespoir de devoir la faire ».

« La paix naît de l’engagement de chacun »

[…] Qu’il me soit permis de rappeler en ce Siège les paroles du pape François à New York le 25 septembre 2015, faisant référence au préambule et au premier article de la Charte des Nations Unies qui indiquent les fondements pour construire le droit international : ce sont la paix, la solution pacifique des controverses et le développement des relations amicales entre les nations. […] La paix naît de l’engagement de chacun à habiter l’histoire avec amour : « Il n’est plus temps, avertissait Mazzolari, d’être spectateur, sous prétexte que l’on est honnête et chrétien. Il y en a encore trop qui ont les mains propres parce qu’ils n’ont jamais rien fait ». C’est précisément la question de l’engagement concret, personnellement, qui devient un des messages les plus forts du curé de Bozzolo. Il suffit de rappeler ici un de ses textes les plus poétiques, situé au début d’Impegno con Cristo (Engagement avec le Christ) : « […] Le monde bouge si nous bougeons, il change si nous changeons, il devient nouveau si quelqu’un devient une créature nouvelle, il retourne à la barbarie si nous déchaînons la bête qui est en chacun de nous. L’ordre nouveau commence avec la première fleur, la nuit avec la première étoile, le fleuve avec la première goutte d’eau, l’amour avec le premier rêve ». Je vous remercie pour votre écoute patiente et j’espère que ce Congrès portera des fruits de conversion et de renouveau dans nos cœurs parce que nous sommes convaincus, comme l’a soutenu don Mazzolari, que la paix doit rester l’obstination constante de l’homme. À toutes les époques et en faveur de toutes les personnes.

(EDA)


CRÉDITS

Photos MEP et J. Carton