Eglises d'Asie

Une victime milite contre la traite des personnes

Publié le 22/10/2018




« Je ne méritais pas de devenir une esclave », dénonce une jeune femme indonésienne qui a été brutalisée à Hong-Kong par son employeur durant plusieurs mois en 2013. Elle a été citée par le Times, plus tard, parmi les cent personnalités les plus influentes de la planète pour son combat judiciaire, sa réussite universitaire puis son engagement humanitaire pour les droits des travailleurs migrants d’Indonésie.

Quand Erwiana Sulistyaningsih, aujourd’hui 27 ans, a terminé le lycée professionnel en 2013, dans la province indonésienne de Java oriental, tout ce qu’elle voulait, c’était travailler et gagner de l’argent pour financer ses études à l’université. Elle savait que les revenus de ses parents, originaires de Ngawi, un district de la province, étaient trop faibles pour pouvoir se permettre de payer ses études. Son père a travaillé pour une plantation d’huile de palme de Sumatra, puis à Jakarta dans le bâtiment. Sa mère travaillait dans une ferme, et elle avait été également domestique au Brunei. Pour réaliser son rêve, Erwiana s’est rendue à Jakarta pour y devenir serveuse. Mais son salaire était trop faible pour pouvoir atteindre ses objectifs. Elle a donc accepté une offre d’emploi à Hong-Kong, mieux rémunérée. En mai 2013, elle est partie pour Hong-Kong, dans l’espoir de revenir chez elle avec suffisamment d’argent pour pouvoir poursuivre ses études et aider sa famille.

Malheureusement, ce qu’elle y a vécu a complètement détruit ses rêves. Elle a dû travailler durant de longues heures durant huit mois dans la maison de son employeur (Law Wan-tung, mère de deux enfants) où elle était enfermée, battue et mal nourrie. « Je travaillais vingt heures par jour avec seulement une à trois heures de sommeil. Je ne pouvais manger qu’une fois par jour et je n’avais jamais de vacances », raconte-t-elle. Durant ses heures de travail, elle n’avait le droit de boire que de petites quantités d’eau par jour parce que son employeur ne voulait pas qu’elle cesse son travail pour des pauses toilettes… « On me donnait aussi un traitement pour éviter les règles », confie-t-elle. Après cinq semaines de travail dans ces conditions, elle a pu s’échapper et elle a dénoncé l’affaire auprès de son agent de recrutement. Mais elle a été forcée de reprendre le même travail et de subir encore d’autres épreuves.

Elle explique que son employeur avait l’habitude de lui frapper la tête avec un manche à balai, provoquant de nombreuses blessures et même un nez fracturé ainsi que plusieurs dents cassées. Huit mois ont passé jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus travailler à cause son état physique, à cause des souffrances infligées par son employeur. Finalement, elle a été déposée à l’aéroport de Hong-Kong avec seulement 9 dollars hongkongais en poche. Elle avait alors 24 ans. « On m’a menacée et on m’a dit que si je rapportais ce qui m’était arrivé aux autorités, mes parents seraient tués », explique Erwiana. Mais son histoire a attiré l’attention du monde entier quand elle a été hospitalisée et que ses photos ont circulé en ligne, provoquant des manifestations à Hong-Kong demandant l’arrestation et la condamnation de son employeur. Près de 300 000 travailleurs indonésiens ou philippins travaillent à Hong-Kong comme employés domestiques, et les groupes militants dénoncent de plus en plus leurs conditions de travail.

L’hommage du « Times »

Avec l’aide d’organisations de défense des travailleurs migrants, elle était déterminée à se battre à la fois contre son ancien employeur et contre son agent de recrutement. Les autorités ont approché sa famille à plusieurs reprises pour servir de médiateurs et tenter d’éviter une action en justice, ce qu’elle a refusé. Son employeur, Law Wan-tung, a fini par être condamnée à six ans de prison et a versé une compensation financière à Erwiana. Le Times a rendu hommage à son combat en la citant parmi les cent personnalités les plus influentes pour avoir osé plaider pour les victimes de la traite des êtres humains. La même année, plusieurs organisations hongkongaises, australiennes et indonésiennes lui ont offert une bourse pour qu’elle puisse continuer ses études. Même si elle était encore très affaiblie, elle a accepté l’offre de l’université Sanata Dharma de Yogyakarta, où elle a été diplômée en septembre 2018. « Je veux prouver que je ne méritais pas d’être une esclave », explique-t-elle. « Je suis très fière d’avoir pu, finalement, réaliser mon rêve. » Erwiana s’est ensuite engagée à consacrer sa vie à défendre les Droits de l’Homme, et elle a rejoint l’ONG Kabar Bumi (Keluarga besar buruh migran Indonesia – la Grande famille des travailleurs migrants d’Indonésie). Parmi les cas qu’elle défend actuellement se trouve une ancienne domestique philippine, Mary Jane Veloso, qui a été condamnée à mort en Indonésie pour trafic de stupéfiants. « C’est mon devoir de protéger ces gens », soutient Erwiana. Quand elle se souvient de ce qu’elle a subi à Hong-Kong, elle veut s’assurer que d’autres ne vivent pas un sort aussi tragique. « Je ne veux pas que d’autres souffrent ce que j’ai enduré », souffle-t-elle.

Symbole d’espoir

Erni Lestari, présidente de l’organisation IMA (Alliance internationale des migrants), qui a accompagné Erwiana dans son combat judiciaire contre son ancien employeur, désigne la jeune femme comme un modèle pour la lutte pour la dignité humaine et contre l’oppression. « Sa victoire et sa réussite prouvent que nous pouvons triompher de nos efforts », assure Erni. « Elle est aussi un symbole d’espoir pour beaucoup d’entre nous qui continuons de lutter pour nos droits, pour un monde débarrassé de la traite des êtres humains. » Magdalena Sitorus, commissaire de la Commission indonésienne contre la violence envers les femmes, confie que l’histoire d’Erwiana suscite beaucoup d’enthousiasme pour les travailleurs migrants, car elle prouve qu’ils ne doivent pas s’arrêter de lutter pour leurs droits.

(Avec Ucanews, Jakarta)


CRÉDITS

Photo DR