Aventures missionaire

Points de vue sur la situation à Hong-Kong

Publié le 13/07/2020




Un prêtre de Hong-Kong a interviewé deux jeunes de sa paroisse, James, jeune diplômé de 24 ans, et Mary, étudiante de 20 ans. En exprimant leurs opinions sur le sens et les raisons des protestations, ils donnent mieux que nous ne pourrions le faire des éléments pour comprendre la situation. Certaines de ces opinions sont peut-être choquantes, mais les entendre permet de percevoir le ressenti et la colère de beaucoup de jeunes Hongkongais.

De jeunes manifestants sont assis devant la paroisse d’un père de Hong-Kong qui sera ensuite le lieu de violents affrontements avec la police

Quelles sont pour vous les raisons des manifestations à Hong-Kong ?

James : Les gens de Hong- Kong voient leur société s’effondrer et se sentent envahis de tous côtés par la Chine. Ils craignaient que si la loi sur l’extradition en Chine avait été adoptée, les libertés individuelles des Hongkongais auraient été davantage affaiblies. Avant cela, il y a eu une affaire montrant que des Hongkongais pouvaient être enlevés et amenés en Chine (comme l’affaire des libraires de Causeway Bay). Les Hongkongais craignaient donc qu’ils puissent également « disparaître » et se retrouver on ne sait comment en Chine où ils seraient accusés de crimes. La raison principale des grandes manifestations est donc une perte totale de confiance dans le système judiciaire chinois. Mais je crois qu’il y a aussi d’autres causes, notamment la méfiance que les Hongkongais ont depuis longtemps développée envers le gouvernement de Hong-Kong et le régime chinois, leur insatisfaction à l’égard de leur système judiciaire, l’ingérence croissante de la Chine dans les affaires de Hong-Kong, la décadence de l’assemblée législative de Hong-Kong, la déception et la stagnation qui ont suivi le mouvement des parapluies (2014), etc. Au bout du compte, les manifestations contre la loi sur l’extradition sont la catharsis de problèmes qui n’avaient cessé de s’accumuler.
Quant à savoir pourquoi les jeunes ont été plus particulièrement préoccupés par cette affaire, il s’agit d’un phénomène très intéressant. Avant cette affaire, de nombreux jeunes étaient prêts à entrer en contact avec la culture chinoise, à regarder des émissions de variétés chinoises et à fréquenter les établissements des chaînes de restauration de Chine continentale, tandis qu’ils se souciaient peu de la politique. Mais aujourd’hui beaucoup de jeunes sont sortis manifester. Certains expliquent ce mouvement par le fait que les jeunes de Hong-Kong n’ont pas de perspectives d’avenir à cause des problèmes de logement, de la disparité entre les riches et les pauvres et d’autres soucis économiques, mais je pense que ce n’est pas correct. Tout d’abord, ceux qui manifestent ont dit clairement pourquoi ils le faisaient et n’ont jamais invoqué de motifs économiques. Ensuite, la plupart des jeunes qui manifestent sont des étudiants avec un haut niveau d’étude. Affirmer qu’ils veulent obtenir des avantages économiques, alors qu’ils risquent la prison ou même la vie, n’a aucun sens. Si les jeunes ont le courage de protester contre l’injustice, même s’ils pensent que leur cause est désespérée (la plupart des gens pensaient que la loi serait adoptée), c’est peut-être simplement parce qu’ils désirent la justice.


Mary
: Je pense que les raisons du mouvement contre la loi d’extradition peuvent être sommairement divisées entre celles de long terme et de court terme. Pour le court terme, le gouvernement a lancé à la hâte la très controversée loi d’extradition (逃犯條 例) en juin de l’année dernière. Les habitants de Hong-Kong craignaient qu’une fois cette loi adoptée, la liberté personnelle soit restreinte par la possibilité d’être extradé vers la Chine pour des procès inéquitables. Les lois chinoises diffèrent de celles de Hong-Kong et le gouvernement de Pékin a souvent accusé de « crimes » des dissidents, pour pouvoir les juger. Les Hongkongais étaient très inquiets qu’une fois la loi mise en œuvre à Hong-Kong, la Chine interfère dans son système judiciaire et que la liberté en soit réduite. Par conséquent, à partir de juin de l’année dernière, le mouvement d’opposition à la loi d’extradition (反送中) a commencé. Cette situation d’inquiétude grandissante n’a pas toujours existé. Au moment de la réunification de Hong-Kong à la Chine, de nombreux Hongkongais avaient confiance dans la loi fondamentale (基本法), pensant que la Chine laisserait à Hong-Kong un degré d’autonomie important et qu’elle nous permettrait à long terme d’élire le chef de l’exécutif et le Conseil législatif au suffrage universel. Cependant, au fil des années, le contrôle de la Chine sur Hong-Kong s’est renforcé. Avec le mouvement des parapluies, de plus en plus Hongkongais se sont réveillés et ont pris conscience d’être « Hongkongais », en particulier les jeunes. Cette « identité hongkongaise », leur souci de la justice sociale et leur conscience politique n’ont cessé de se développer. Par conséquent, le but du mouvement n’est pas seulement de demander au gouvernement de retirer la loi d’extradition, mais aussi d’obtenir la démocratie et la liberté sur le long terme.
« Recover Hong-Kong, Revolution of our times » (光復香港, 時代革命) est le slogan le plus utilisé dans le mouvement. Bien qu’il soit diversement interprété, il signifie en général la détermination du peuple à « reprendre » et à protéger Hong-Kong. En outre, les violences policières ont massivement révolté la population de Hong-Kong. Depuis le début du mouvement, il y a eu des exemples innombrables de recours excessif à la force : de nombreux jeunes ont été traités de manière inhumaine, certains ont même été tués, ont disparu ou bien se sont  soi-disant suicidés.

 

Comment interprétez-vous cette situation en tant que croyants catholiques ?

James : Cette situation conduit à une compréhension et une réflexion plus profonde sur la Bible, en particulier sur l’attitude de Jésus face à la persécution. Avant, l’histoire de sa crucifixion ne me touchait pas beaucoup, mais après avoir été témoin des graves violences policières, la police ayant battu et maltraité des gens en public [1], ayant même violé [2] et assassiné des citoyens [3], j’ai compris ce que pouvait être la souffrance de personnes innocentes persécutées, tenues dans les griffes du régime et subissant sa brutalité. Je suis donc plus conscient de la douleur de Jésus lors de sa Passion qu’auparavant. Mais en même temps, il est beaucoup plus difficile d’apprendre à pardonner comme Jésus. Comment puis-je abandonner ma haine envers les autres et leur pardonner ? Je ne comprends pas et je n’y arrive pas. Cela a aussi indubitablement un impact sur la foi. Face à la souffrance, on se demande sans cesse où est Dieu, pourquoi ne nous aide-t-il pas ? En outre, il y a une insatisfaction vis-à-vis du diocèse et de l’Église universelle. Je comprends qu’il y a des enjeux cachés à considérer, mais je pense personnellement que l’Église pourrait faire davantage. Avant, je pensais que l’Église parlerait en faveur de la justice, qu’elle viendrait en aide aux persécutés et voudrait protéger les faibles, quoi qu’elle ait à y gagner ou à y perdre. Maintenant, il semble qu’elle s’inquiète seulement des relations avec la Chine, tandis qu’elle considère les affaires de Hong-Kong comme un sujet tabou. Ainsi, le pape François se contente de dire dans un message à la cheffe de l’exécutif Carrie Lam qu’il prie pour elle et pour le peuple de Hong-Kong, leur souhaitant paix et bénédiction, tandis qu’il n’a jamais blâmé le gouvernement de Hong-Kong. Je comprends qu’il y a beaucoup d’autres problèmes dans le monde, comme des guerres, des catastrophes et des crises humanitaires de grande ampleur, et peut-être qu’aux yeux de l’Église la situation de Hong-Kong n’est pas un problème très grave. Comparé à la Chine et au reste du monde, Hong-Kong ne vaut même pas la peine qu’on en parle. Mais cela a miné ma confiance dans l’Église comme si, au bout du compte, son insistance sur la justice n’était qu’hypocrisie. Le fait demeure que la plus grande Église du monde n’a pas osé faire de déclaration publique et il se pourrait que tout ce qu’un catholique insignifiant comme moi a appris dans l’Église durant des années ne soit finalement que vacuité.

 

Mary : Je peux dire que les jeunes catholiques sont plus optimistes que la moyenne. La foi a toujours été le pilier de ma participation à ce mouvement, car la justice pour laquelle nous luttons est la justice de Dieu. En tant que chrétiens, nous devons témoigner du Christ dans la société et bâtir le royaume céleste sur terre. On peut dire que l’année écoulée a été une année d’épuisement physique et mental. En plus des études et de la gestion du quotidien, devoir vivre chaque jour l’absurdité de cette société me fait peur et me met en colère. Chaque fois que je participe à un défilé ou à un événement, je suis inquiète. Sur le campus universitaire, à la maison, à l’église, je crains pour ma sécurité et pour ceux qui sont en première ligne de la contestation, mon moral étant souvent au plus bas. Dans ces moments, ma foi m’a apporté le plus grand soutien, car Jésus est celui qui comprend le mieux la souffrance. Ainsi, l’année dernière, ma vie de foi s’est approfondie et j’ai prié davantage. Ceci dit, comme beaucoup de jeunes, je n’ai pas compris, voire remis en cause, l’attitude et l’enseignement de l’Eglise. Dans le mouvement, de nombreux jeunes en sont venus à utiliser la violence pour exprimer leurs revendications. Bien que je n’approuve pas, je comprends pourquoi ils en sont arrivés là. Nos objectifs sont les mêmes, mais le mode d’expression est différent. J’admire leur courage, car ils sont prêts à prendre le risque d’être arrêtés ou même tués en affrontant le régime. Cependant, l’Église n’a jamais prôné la confrontation violente, donc, de nombreux jeunes en première ligne se sont inévitablement sentis abandonnés par elle. En effet, à mesure que la violence des confrontations s’intensifiait, l’Église devenait de moins en moins active, ce qui m’a un peu déçue. L’escalade de la violence n’est que la conséquence du désespoir grandissant des jeunes et c’est justement à ce moment que la présence et le réconfort de l’Église sont le plus nécessaires. Heureusement, plusieurs prêtres, ainsi que l’évêque auxiliaire Mgr Joseph Ha, ont souvent exprimé leur soutien aux jeunes et ont même été vus aux abords des manifestations pour tenter de négocier avec la police, réconforter les jeunes, etc. Ces images restent profondément gravées en moi. Alors je me rappelle que, même s’il m’arrive de désespérer de l’Église, je ne peux pas désespérer de Dieu. En tant que membre de l’Église, je veux aussi apprendre à utiliser mon identité chrétienne pour participer au mouvement et permettre à ceux qui sont désespérés de rencontrer Dieu.

 

Comment voyez-vous l’avenir de Hong-Kong et de la Chine ? Quels sont vos espoirs ?

James : Hong-Kong va seulement s’enfoncer et finir submergée. Hong-Kong va continuer à être frappée de tous les côtés, que ce soit au niveau de l’éducation, des activités sociales, de la justice, de l’économie ou de la politique, tous ces domaines seront peu à peu grignotés par la Chine. C’est ce que montrent encore les derniers évènements. Cette année, pour le bac (DSE), il aurait fallu flatter le parti communiste pour répondre à l’une des questions de l’examen d’histoire [4]. Ainsi le système éducatif de Hong-Kong est contrôlé pour devenir un instrument de propagande politique. Même si cette question a été annulée, l’avenir d’une multitude d’étudiants reste incertain.
L’avenir de Hong-Kong dépend en fait de la population de Hong-Kong. Si personne ne s’engage dans la lutte pour la protection de Hong-Kong et ne résiste de tous les côtés à son invasion par la Chine, Hong-Kong cessera d’exister et deviendra une ville chinoise comme les autres, en gardant seulement son apparence. Il y a deux façons d’imaginer l’avenir de Hong-Kong. L’une est que la Chine utilise ses immigrants du continent pour nettoyer Hong- Kong (il y a actuellement 150 nouveaux immigrants à Hong- Kong chaque jour), puis continuera d’éliminer les dissidents, imposant la peine capitale aux citoyens et les déportant de Hong-Kong. Avec l’immigration, le peuple de Hong-Kong deviendra un groupe minoritaire qui sera finalement envoyé dans des camps de concentration comme le sont les Ouïghours. Une autre façon d’envisager l’avenir de Hong- Kong est que les Hongkongais soient sauvés à la faveur d’une crise politique internationale. Il peut y avoir une troisième guerre mondiale ou bien un développement du chaos en Chine qui la rendra trop occupée pour gérer Hong-Kong. Les Hongkongais qui auraient fui pourraient alors revenir. À long terme, le véritable peuple hongkongais gouvernera Hong-Kong et ne souffrira plus de la domination coloniale de la Chine. Beaucoup de gens risquent de mourir, mais comment imaginer que les choses se passent mieux que cela ?
Il ne faut pas penser que Hong- Kong mènera la Chine vers la démocratie et la liberté, car Hong-Kong est maintenant accaparée par ses propres problèmes, sans compter que ces dernières décennies, Hong- Kong s’est crue plus importante qu’elle ne l’est, pensant pouvoir influencer la Chine, alors que c’est la Chine qui a le pouvoir à Hong-Kong. La plupart des Chinois ne veulent pas de la liberté même s’ils sont riches. Ils ont déjà subi un lavage de cerveau et en sont au point de se moquer de ceux qui sont persécutés par le Parti communiste chinois. En tant que Hongkongais, je ne pensais pas que la Chine puisse devenir comme ça mais, à mon avis, des décennies de développement économique de la Chine n’ont pas rendu le pays plus ouvert. Au contraire, la répression s’est aggravée à tous les niveaux, par exemple, même si la Chine et le Vatican ont signé un accord provisoire, ils n’ont pas pour autant adopté une attitude plus bienveillante envers le catholicisme et l’Eglise souterraine qui, au contraire, est encore plus persécutée et contrôlée. Il ne faut pas espérer que la Chine changera, même si le parti communiste tombe, l’essence du peuple chinois ne changera pas alors que tous les Chinois sont aujourd’hui profondément pénétrés de nationalisme. Donc même sans le parti communiste, avec ceux qui prendront le pouvoir, la dénommée République populaire de Chine deviendra juste « L’Empire chinois ». Le monde ne devrait plus considérer Hong-Kong comme une ville chinoise à la pointe du progrès qui peut aider la Chine à progresser. Penser ainsi c’est continuer de se fourvoyer, comme on le fait depuis quelques décennies.


Mary
: Au moment de cette interview, le gouvernement chinois vient d’annoncer qu’il allait voter la mise en œuvre de la loi sur la sécurité nationale à Hong-Kong la semaine prochaine. Ce serait un grand coup porté à la liberté de Hong-Kong. Nous n’aurons peut-être même plus la liberté d’exprimer notre opinion sur Facebook. Dire que l’avenir de Hong-Kong est plein d’espoir, c’est se tromper soi- même et tromper les autres.
« La détresse produit la persévérance, la persévérance produit la valeur éprouvée ; la valeur éprouvée produit l’espérance » (Rm 5, 3-4). C’est la phrase biblique qui me revenait le plus souvent à l’esprit l’année dernière. Plus la répression est violente, plus nous devons avoir de l’espérance. Au cours des derniers mois, en raison de l’épidémie du coronavirus, les manifestations ont été suspendues, mais j’estime qu’elles reprendront bientôt. J’espère que le désir et la détermination du peuple de Hong-Kong pour la liberté et la démocratie restera intacte malgré les défis et souffrances à venir. L’épidémie a également amené le monde à réexaminer ses relations avec la Chine et à comprendre la nature du régime communiste. En tant que jeune à Hong-Kong, j’espère que davantage de personnes dans le monde prêteront attention aux droits de l’homme, à la situation de Hong-Kong et à celle de la Chine, et qu’ils n’hésiteront pas à dénoncer les injustices.

 

Un prêtre de Hong-Kong

 

[1] La question demandait de commenter l’affirmation suivante : « De 1900 à 1945, le Japon a apporté à la Chine plus de bénéfices qu’il ne lui a causé de dommages. » D’un côté, la question invite à évoquer les atrocités commises par les Japonais en Chine, tandis qu’elle fait implicitement référence à un texte de Mao Zedong qui, compte tenu du fait que l’occupation japonaise a conduit à l’arrivée du parti communiste au pouvoir, estimait qu’elle présentait à ce titre « un bénéfice supérieur à ses inconvénients ».

[2] La presse étant présente sur les lieux de manifestation, durant l’année 2019 des images de manifestants ensanglantés et battus au sol par la police ont régulièrement été diffusées en direct.

[3] En octobre 2019, une adolescente a porté plainte accusant quatre officiers de l’avoir violée dans une station de police le 27 septembre. L’affaire n’a pas encore été jugée, mais en mai, le chef de la police, qui supervise à la fois les policiers accusés et ceux chargés de l’enquête, a annoncé qu’il y avait sans doute un mensonge dans le témoignage de la plaignante et qu’elle pourrait être poursuivie pour dénonciation calomnieuse.

[4] Aux reproches de violences qui ont été filmées ou photographiées, et à la mort d’Alex Chow qui s’est tué le 8 novembre 2019 en chutant du troisième étage alors qu’il fuyait la police, les manifestants ajoutent des accusations sans preuves de meurtres par la police. Ils pensent notamment qu’il y a eu trois morts lors de l’attaque des passagers du métro par la police à la station Prince Edward le 31 août 2019. Cette attaque a fait dix blessés, mais les trois morts supposés, dont personne ne connaît l’identité, sont probablement une rumeur.

 


CRÉDITS

MEP