Eglises d'Asie

Les difficultés d’accès à Internet creusent les inégalités entre les élèves bangladais durant la pandémie

Publié le 26/01/2021




Le 18 janvier, l’organisation CAMPE (Campagne pour une éducation populaire), basée au Bangladesh, a publié un rapport sur la situation de l’enseignement dans le pays durant la pandémie, alors que les écoles bangladaises sont toujours fermées depuis le 17 mars 2020. L’étude constate que 69,5 % des élèves interrogés n’ont pas pu participer aux enseignements à distance durant la crise sanitaire, sur 2 952 répondants issus de différentes régions rurales. « Si ces chiffres sont vrais, il vaut mieux rouvrir toutes les écoles le plus tôt possible », souligne Jyoti F. Gomes, secrétaire de l’enseignement catholique bangladais.

Plusieurs milliers d’élèves bangladais risquent le décrochage scolaire en raison des conséquences de la crise sanitaire sur l’éducation au Bangladesh.

Subol Sarker, un élève hindou de 14 ans du lycée Dashuria, dans le district de Pabna dans le nord-est du Bangladesh, n’a pas pu suivre les cours depuis mars 2020, quand les écoles ont dû être fermées en raison de la pandémie. Depuis, il a dû interrompre son éducation scolaire, et il aide sa famille à subvenir à ses besoins en travaillant. Son école donne des cours en ligne depuis des mois, mais les familles démunies comme la sienne, qui n’ont pas de télévision ou de smartphone, ne peuvent y accéder. « J’aurais pu passer dans la classe supérieure cette année, j’aurais pu continuer mes études. Mais je dois aller travailler tous les jours pour aider ma famille. Je peux gagner jusqu’à 400 takas (3,88 euros) par jour, et je donne presque tout à ma mère », explique-t-il. Subol Sarker est l’aîné de trois enfants. Sa petite sœur, en fin de primaire dans une école publique locale, risque également de devoir quitter l’école. Son petit frère, âgé de trois ans, n’est pas encore inscrit à l’école. « J’ai pu voir la souffrance de mon père face à ces difficultés. Au début, je voulais l’aider et travailler, mais il refusait, et il voulait continuer de m’envoyer à l’école quoi qu’il arrive. Il m’a laissé travailler quand l’école a fermé », ajoute-t-il.

Son père, Bashudeb Sarker, un tireur de rickshaw (pousse-pousse) de Pubna, âgé de 40 ans, s’est toujours débrouillé pour envoyer ses enfants à l’école, mais les pertes de revenus générées par la pandémie ont empiré la situation financière de la famille. « Maintenant, mon fils nous aide en travaillant, et j’en suis heureux, parce que cela nous permet d’économiser un peu. Mais s’il veut retourner à l’école je ne l’en empêcherai pas », ajoute Bashudeb Sarker. Il ajoute qu’il aimerait que son fils reçoive une bonne éducation, et il regrette de n’avoir pu lui acheter un smartphone pour suivre les cours. De son côté, Subol Sarker se dit moins intéressé par l’école aujourd’hui, après plusieurs mois sans suivre les cours et alors que ses camarades sont tous passés dans la classe supérieure. « Je veux continuer de travailler et d’aider ma famille », explique-t-il. Comme lui, plusieurs milliers d’enfants bangladais ont dû quitter l’école à cause de la pandémie.

Pas d’accès aux cours à distance

L’organisation CAMPE (Campagne pour une éducation populaire) a affirmé, dans un rapport publié récemment, que beaucoup d’élèves bangladais n’ont eu aucun accès à l’éducation durant la crise sanitaire, par manque de moyens techniques. Le rapport, publié le 18 janvier, est basé sur une enquête auprès de 2 952 répondants, dont 1 709 élèves du primaire et du secondaire, ainsi que 578 enseignants et 576 parents d’élèves. Dans son rapport, l’organisation constate que 69,5 % des élèves interrogés n’ont pu participer aux enseignements à distance, et que 57,9 % d’entre eux n’ont pu se joindre aux cours faute de moyens techniques. Près de 25 % des enseignants et parents d’élèves craignent une forte croissance du nombre de décrochages scolaires, à cause de la fermeture des écoles imposée depuis le 17 mars. Une décision qui n’a pas été levée depuis, malgré un certain retour à la normale après la levée de plusieurs restrictions en vigueur. L’étude de CAMPE affirme également que 75 % des élèves sont prêts à retourner en classe dès que possible.

Par ailleurs, 75 % des parents d’élèves et 75 % des autorités locales en matière d’éducation sont favorables à une réouverture des écoles dès que possible, ainsi que 80 % des directions des ONG liées à l’éducation. De son côté, Rasheda K. Chowdhury, directeur de l’organisation CAMPE, estime que le dernier rapport publié illustre la vérité de ce qu’il s’est passé dans le pays durant la pandémie. « Il est clair que les élèves en souffrent, et les enseignants et les parents veulent les voir retourner à l’école dès que possible. Le gouvernement doit prendre une décision rapide », insiste-t-il. Samsul Alam, fonctionnaire local du district de Kurigram en matière d’éducation explique qu’il n’est pas complètement d’accord avec les conclusions du rapport. « L’étude affirme que 70 % des élèves n’ont pas accès aux cours en ligne, c’est un chiffre considérable et je ne peux l’accepter. À mon avis, le nombre d’élèves qui n’ont pas accès à des smartphones ou à des ordinateurs n’est pas aussi important. » Il ajoute également que dans certaines régions, « il sera difficile de maintenir le respect des consignes sanitaires dans les écoles ».

« Il vaut mieux rouvrir le plus tôt possible »

Le frère Ranjan Purification, membre de la congrégation de la Sainte-Croix et directeur de l’école catholique Sainte-Marie du district de Bandarban, approuvent les conclusions du rapport de CAMPE. Il ajoute même que la situation est encore pire dans certaines régions. Son école, notamment, comptait 360 élèves en 2020, jusqu’au niveau 3ème, dont une majorité d’enfants issus des communautés indigènes. « Nous voulions organiser des cours en ligne, mais aucun élève n’avait accès à Internet faute de connexion, de smartphones et d’électricité. Nos enseignants ont pu rendre visite aux élèves chez eux, afin de suivre leurs études et d’organiser des examens à domicile. Mais nous craignons que 10 à 15 % des élèves ne quittent l’école, parce que beaucoup d’entre eux gagnent de l’argent par divers moyens afin de soutenir leurs familles », explique le religieux.

Malgré les efforts pour soutenir les élèves, les problèmes socio-économiques comme la pauvreté et le manque d’accès aux technologies ont des conséquences majeures sur les élèves issus des communautés rurales défavorisées, d’où ces chiffres alarmants. Au Bangladesh, les établissements catholiques comptent plus de 100 000 élèves, majoritairement non chrétiens. Jyoti F. Gomes, secrétaire de l’enseignement catholique bangladais (Bangladesh Catholic Education Board Trust), souligne que dans les régions urbaines, la plupart des élèves bangladais ont pu suivre les cours en ligne, contrairement aux régions rurales. Il ajoute que les enseignants des instituts catholiques situés en ville ont pu se rassembler par petits groupes afin d’organiser les cours en ligne, tandis que les élèves ont pu être encouragés dans leurs études. « Je pense que si les chiffres publiés sur l’éducation au Bangladesh durant la pandémie sont vrais, il vaut mieux rouvrir toutes les écoles le plus tôt possible », souligne Jyoti Gomes.

(Avec Ucanews, Natore)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews