Eglises d'Asie

Une nouvelle étude décrit les conséquences désastreuses de la pandémie sur les ouvriers du textile bangladais

Publié le 06/05/2021




Un nouveau rapport, publié le 29 avril par un centre d’études sur le Bangladesh, affirme que si le secteur du textile bangladais a été affecté de la fermeture des marchés, de la suspension des livraisons et des retards de paiement, les ouvriers du secteur ont également fortement souffert des baisses de salaires durant la pandémie. L’étude évoque des baisses de salaires jusqu’à 35 % et des licenciements. Selon le rapport, les ouvriers du textile sont également ceux qui ont été le plus exposés à la pandémie. Les conséquences de la crise sanitaire ont été désastreuses pour près de 4,4 millions d’ouvriers du textile au Bangladesh.

Des ouvriers d’une usine de textile à Dacca. Une étude récente évoque des pertes d’emploi et des baisses de salaire ayant affecté plusieurs millions d’entre eux durant la pandémie.

Il y a cinq ans, Ripa Costa a déménagé avec son mari et son fils à Ashulia, vers un centre industriel situé à près de 20 km de la capitale bangladaise, afin d’y trouver un meilleur emploi dans une usine de textile. Cette mère catholique de 32 ans, originaire de la paroisse Notre-Dame de Lourdes de Bonpara, dans le district de Natore (près de Rajshahi, dans l’ouest du pays), travaille dans le secteur du textile depuis 2009. Son mari s’occupe d’une boutique de thé. À Ashulia, avant la crise sanitaire, Ripa gagnait environ 15 000 takas (148 euros) par mois, en comptant les heures supplémentaires. Le salaire de son mari permettait d’assurer les dépenses quotidiennes essentielles, et celui de Ripa couvrait leur loyer de 7 000 takas (pour un logement d’une pièce) et les frais de scolarité de leur fils. Il y a un an, quand la pandémie a frappé le Bangladesh, les exportations du textile bangladais en ont souffert et la famille Costa en a été lourdement affectée. Le salaire de Ripa a été réduit à 10 000 takas. La boutique de thé de son mari, de son côté, a été confrontée au confinement national et aux restrictions sur les rassemblements et les déplacements. « Nous avions une vie familiale heureuse avant le Covid-19. Mais tout a changé depuis, et les difficultés continuent », confie Ripa Costa. Elle déplore les pertes subies par la boutique de thé de son mari, faute de clients. De plus, elle explique qu’à cause des restrictions qui se poursuivent, il ne peut travailler que partiellement, à moins de risquer une confrontation avec la police. « Nous avions quelques économies et j’économisais pour les futures études de mon fils. Mais j’ai dû dépenser ces économies parce que les revenus de mon mari sont devenus trop irréguliers et que mon salaire a été réduit. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien de côté. L’avenir de notre fils est donc lui aussi incertain. »

Des conséquences désastreuses pour 4,4 millions d’ouvriers du textile

La situation de cette famille est partagée par de nombreux travailleurs du secteur du textile bangladais, estimé à près de 30 milliards de dollars US et comptant plusieurs millions d’employés. Selon un rapport récent, ces derniers ont souffert des baisses de salaires jusqu’à 35 % par rapport à leurs salaires d’origine. Le rapport a été publié le 29 avril par un centre d’études de l’université de Californie, Berkeley (en association avec l’institut britannique IHRB, le Programme des Nations unies pour le développement et le gouvernement suédois). L’étude estime que beaucoup d’usines textiles bangladaises fournissant des marques internationales sont parvenues à consolider leurs affaires, au détriment de plusieurs milliers d’ouvriers et d’ouvrières qui ont perdu leur emploi et qui ont puisé dans les économies pour s’en sortir. « Bien que le secteur du textile ait souffert de la fermeture des marchés, de la suspension des livraisons et des retards de paiement, les ouvriers bangladais ont fortement souffert des baisses de salaires durant le mois de confinement », affirme l’étude, qui se base sur des interviews réalisées entre octobre 2020 et février 2021 auprès de marques internationales, de fournisseurs bangladais et de syndicalistes bangladais et de représentants d’ONG internationales.

Le confinement national a été annoncé il y a un an, le 26 mars 2020, par le gouvernement bangladais. Toutes les usines du textile ont cessé de travailler. Les commandes et les paiements ont été retardés puis suspendus. En moins d’un mois, le gouvernement a été forcé d’autoriser plusieurs milliers d’usines à rouvrir. Selon l’étude publiée le 29 avril, les ouvriers qui ont le plus souffert de la situation sont également ceux qui ont été le plus exposés à la pandémie. Les conséquences de la pandémie ont été désastreuses pour près de 4,4 millions d’ouvriers du textile. Le gouvernement a pourtant demandé que les ouvriers désœuvrés soient payés 65 % de leur salaire durant les trois premiers mois, mais les syndicaux du secteur affirment que beaucoup d’entre eux n’ont pas été payés comme promis. Nazma Akhter, directrice de la fondation Awaj, un groupe de défense des droits des travailleurs basé à Dacca, explique que la pandémie a servi d’excuse aux propriétaires qui ont été négligents envers les ouvriers. « Nous savons que tout le monde a été affecté par la situation. Mais les propriétaires ont eu des avantages et le gouvernement leur a accordé des prêts spéciaux. Il est donc inacceptable de constater qu’ils n’ont pas payé leurs ouvriers. » Nazma Akhter regrette que plusieurs millions d’entre eux aient été mis ainsi en difficulté. « Par ailleurs, s’ils sont infectés par le Covid-19, ils n’ont pas d’argent pour couvrir leur traitement. C’est inhumain de réduire leur salaire dans ces conditions, ou d’imposer des retards de salaires. »

Deuxième plus gros exportateur mondial de textile après la Chine

Shahidullah Azim, vice-président de l’association BGMEA (Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association), estime de son côté que la situation des ouvriers du textile, y compris les pertes d’emploi et les baisses de salaire, n’était pas intentionnelle. « De nombreuses commandes ont été annulées, et beaucoup d’entre elles étaient déjà en production quand les acheteurs se sont désistés. Les propriétaires ont donc été en difficulté. Ce sont eux aussi des êtres humains, et ils comprennent les souffrances des ouvriers, mais ils sont désarmés », assure-t-il. « Quand le Covid-19 sera maîtrisé et que les commandes et la production reprendront, les revenus pourront augmenter à nouveau. » Le père Albert T. Rozario, membre de la Commission Justice et Paix de la Conférence épiscopale bangladaise, estime pourtant que durant la pandémie, les propriétaires bangladais s’en sont mieux sorti que beaucoup d’autres pays producteurs de textile. « Les usines n’ont été fermées que durant une courte période, et depuis, les employés ont continué de travailler malgré les risques sanitaires. Mais les employeurs y ont vu une opportunité », affirme le prêtre, curé de la paroisse Saint-Joseph de Savar (un autre centre industriel à proximité de Dacca).

Le secteur du textile bangladais est le deuxième au monde après le textile chinois, et le plus grand employeur du secteur industriel bangladais avec près de 4 millions d’employés, dont une majorité de femmes issues des régions rurales. Le textile bangladais a été fortement critiqué pour des violations des normes de sécurité et pour des conditions de travail alarmantes. La vulnérabilité des ouvriers s’est intensifiée durant la pandémie, et plus de 70 000 d’entre eux ont perdu leur travail, dont beaucoup sans compensation. Selon les syndicats du secteur, de nombreux ouvriers ont quitté les villes et les centres industriels pour rentrer dans leurs villages afin de s’en sortir.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews