Eglises d'Asie

Éducation : les étudiants issus des minorités religieuses toujours plus marginalisés selon une nouvelle étude

Publié le 02/12/2021




Le 26 novembre à Lahore, la Commission nationale pour la justice et la paix (NCJP), une organisation catholique, a publié une nouvelle étude sur la perception des contenus religieux dans les programmes, et leur impact sur l’harmonie et la tolérance dans le pays. L’étude, menée auprès de 400 étudiants, parents et éducateurs chrétiens, hindous et sikhs, interrogés de façon anonyme dans 12 villes pakistanaises, constate un sentiment d’exclusion et d’infériorité parmi les élèves des minorités. Le NCJP dénonce le fait que les contenus islamiques empiètent sur l’enseignement général.

Le 26 novembre à Lahore, la commission catholique pakistanaise NCJP a publié un nouveau rapport sur l’impact des contenus religieux dans les programmes scolaires.

Le 26 novembre à Lahore, la Commission nationale pour la justice et la paix (NCJP), une organisation catholique au service des droits de l’homme, a publié une nouvelle étude, menée l’an dernier auprès de 400 étudiants, parents et éducateurs dans 12 villes pakistanaises. Tous ont accepté de parler sous conditions d’anonymat.

L’étude porte sur la perception des contenus religieux dans les programmes et les manuels scolaires, et sur leur impact sur l’harmonie et la tolérance dans le pays. Le NCJP a observé et analysé les politiques éducatives, les programmes et les contenus des manuels scolaires depuis 2012.

Dans leurs réponses, les étudiants chrétiens, hindous et sikhs partagent un manque d’enthousiasme dans leurs études, un sentiment accru d’infériorité et d’exclusion, des discriminations subies dans leurs vies académiques et professionnelles, des relations limitées avec les musulmans et la crainte d’une haine antireligieuse. « Quand une de mes camarades de classe, une fille musulmane, a appris que je suis chrétienne, elle m’a dit ‘tu as le teint clair, tu ressembles à l’une d’entre nous et pas du tout à une chrétienne ; tu es ma meilleure amie, tu devrais te convertir à l’islam’ », raconte une étudiante de Faisalabad, dans la province du Pendjab.

« Mes parents continuent de me rappeler d’être vigilant dans mes conversations avec les croyants de la religion majoritaire, à propos de n’importe quel sujet sensible ou religieux. Je comprends qu’ils aient peur pour notre sécurité », confie un autre étudiant de la province de Khyber Pakhtunkhwa, dans le nord du pays. Des commentaires similaires apparaissent tout au long de la nouvelle étude du NCJP. La commission, avec les éducateurs, dénonce le fait que des contenus islamiques empiètent sur l’enseignement général.

Les responsables chrétiens évoquent des contenus haineux dans les programmes

Selon le rapport, cela se fait aussi bien au détriment de la majorité que des minorités religieuses. « Quelques étudiants ont évoqué certains programmes contenant des informations inventées ou erronées sur leur religion, et qui semblent être soutenues par les enseignants. Il y a aussi d’autres cas où, quand un étudiant musulman fait un commentaire désobligeant ou pose une question indélicate sur une religion minoritaire, certains enseignants soutiennent et encouragent ce genre de comportement », souligne l’étude.

Plusieurs étudiants affirment également que certains camarades ont été transférés dans d’autres sections quand leurs enseignants ont découvert leur identité religieuse. « La pression des autres étudiants qui incitent à changer de religion s’ajoute à l’inquiétude subie par les proches des étudiantes. Les mariages précoces courants parce que les familles craignent que leurs filles se marient avec quelqu’un d’une autre religion », affirme le NCJP dans son rapport, en décrivant l’impact psychologique et social des contenus religieux dans les programmes scolaires.

L’étude note également la menace des conversions involontaires et des mariages forcés sur les jeunes filles des minorités religieuses, en particulier pour les filles hindoues de la province de Sindh. Par ailleurs, l’ensemble des 21 répondants sikh ont soutenu que leur religion est mal représentée dans les programmes scolaires. Parmi les répondants hindous, 78,5 % ont souligné que les références religieuses dans les programmes ont un mauvais impact sur eux. Une grande majorité d’entre eux évoquent des conséquences à long terme.

La plupart des sikhs estiment que les familles des étudiants sont elles aussi affectées. C’est dans la province du Balouchistan que l’on trouve le plus fort taux de répondants particulièrement inquiets, avec 84 % d’entre eux qui s’interrogent sur leur place et leur rôle dans la société.

Les chrétiens sont les plus nombreux à rapporter un manque de soutien sur les conséquences dangereuses de cette situation dans les programmes scolaires. Au Pakistan, les responsables chrétiens évoquent souvent des contenus haineux dans les programmes, avec une insistance sur l’islam dans le système éducatif et des préjugés courants contre les non-musulmans.

« Les commentaires anonymes montrent les craintes des minorités religieuses »

L’article 22 (1) de la Constitution interdit pourtant d’enseigner aux étudiants une autre religion que la leur. Saqib Nisar, ancien président de la Cour suprême du Pakistan, a créé une commission avec le Dr Shoaib Suddle en 2019, afin de pousser les autorités fédérales et provinciales à appliquer un jugement de la Cour sur les minorités religieuses en 2014. Une recommandation clé de cette décision appelait à réformer les programmes.

De son côté, le Premier ministre Imran Khan a introduit un système éducatif uniforme (le SNC, Single national curriculum), qui a été vivement critiqué pour des contenus islamiques excessifs dans les matières obligatoires. L’opposition craint que la tendance d’Imran Khan à rapprocher les programmes des madrasas (les écoles coraniques) influence les étudiants sur leur capacité à raisonner et à penser indépendamment des diktats de la pensée islamique pakistanaise.

L’étude du NCJP est la première à partager de telles constatations, remarque Riaz Ahmed Sheikh, doyen de la faculté des sciences sociales et éducatives (qui dépend de l’Institut Shaheed Zulfikar Ali Bhutto des sciences et technologies, au sein de l’université de Karachi). « Les commentaires anonymes publiés par l’étude montrent les craintes des minorités religieuses. Les lois sur le blasphème ont poussé l’État vers encore plus de fermetures et de divisions », ajoute-t-il.

Depuis des années, le département d’État américain (chargé des relations internationales) cite le Pakistan dans sa liste noire des pays désignés comme « particulièrement préoccupants » en matière de liberté religieuse, et qui ont « perpétré ou toléré des violations systématiques, flagrantes et persistantes de la liberté de religion ».

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Kamran Chaudhry / Ucanews