Eglises d'Asie

Un chrétien bhoutanais est condamné à trois ans de prison pour avoir voulu projeter des films sur le christianisme

Publié le 21/10/2010




Le 6 octobre dernier, le tribunal de Gelephu a condamné Prem Singh Gurung, de citoyenneté bhoutanaise et d’origine népalaise, à trois ans de prison pour « incitation à troubler l’ordre public ». A l’origine de cette condamnation, des séances de cinéma organisées dans des villages, au cours desquelles il lui est reproché d’avoir tenté d’introduire des films parlant du christianisme.

Prem Gurung, chrétien âgé d’une quarantaine d’années, est originaire de Tarithang, dans le district de Sarpang. Dans cette partie sud du pays, proche de l’Inde, coexistent des communautés hindoues et chrétiennes ; de petites et discrètes minorités religieuses dans un pays où le bouddhisme tantrique est religion d’Etat.

 

Selon l’organe de presse officiel Kuensel, Prem Gurung a été arrêté quatre mois plus tôt, le 21 mai dernier, à la suite d’une plainte des habitants des villages de Gonggaon et de Simkharkha. Ces derniers s’étaient rendus à l’invitation de Prem Gurung à voir des films népali mais, entre les projections, il aurait, selon le quotidien bhoutanais, essayé de diffuser des films sur le christianisme. Face au refus des villageois « qui commençaient à repartir, disant qu’ils ne voulaient pas regarder de tels films, il [se serait] remis à leur projeter des films népali ».

 

Outre « l’incitation à troubler l’ordre public », le chrétien a été accusé d’avoir violé la loi sur les médias, l’information et la communication promulguée en 2006, selon laquelle toute projection publique de film est soumise à un visionnage préalable par les autorités.

 

« Les deux villages [de Gonggaon et Simkharkha] n’ont pas l’électricité, rapporte Kuensel, mais Prem Singh Gurung a apporté, avec l’aide de quelques membres de la communauté villageoise, un projecteur et un générateur pour les séances de cinéma. » Ces villages sont situés dans une zone reculée, à presque deux jours de marche de la route la plus proche. Ils sont l’image même, aux yeux des Bhoutanais, du « royaume préservé » dont il faut à tout prix empêcher la contamination par des cultures étrangères parmi lesquelles le christianisme, religion non reconnue par le royaume bouddhiste, figure en première place.

 

La liberté religieuse est cependant inscrite à l’article 7 de la nouvelle constitution de l’Etat, promulguée en 2008. Mais, comme le rapporte le quotidien Bhutan Observer, citant les propos du ministre de l’Intérieur bhoutanais, Lyonpo Minjur Dorji : « Il n’y a absolument aucun problème si vous naissez chrétiens… La Constitution vous protège. Mais il est tout à fait illégal de chercher à convertir (…). Si nous avons des preuves de prosélytisme dans notre pays, nous nous devons de prendre des mesures immédiates » (1).

 

Dans le royaume bouddhiste himalayen, le protectionnisme est une vertu quasi érigée en dogme d’Etat. Malgré l’impulsion moderniste donnée par le jeune souverain Jigme Khesar Namgyel, qui a accédé au trône en 2008 et poursuivi le programme de démocratisation amorcé par son père, la « cohésion nationale » est devenue, plus que jamais, le mot d’ordre de l’Etat bhoutanais. Au Bhoutan, seul pays où le bouddhisme sous sa forme tantrique Vajrayana (lamaïsme) est religion d’Etat, toute autre religion – et le christianisme en particulier – est considérée comme une menace pour l’identité bhoutanaise et comme l’avant-garde d’un Occident aux « influences néfastes » (2). La dernière manifestation de cette stigmatisation du christianisme est une loi anti-conversion ; en passe d’être votée très prochainement par le Parlement bhoutanais, elle suscite une forte inquiétude dans les milieux chrétiens, déjà en butte à de nombreuses et croissantes discriminations (3). Cette loi, qui vise à punir d’un à trois ans d’emprisonnement « toute tentative par la séduction ou par quelque moyen que ce soit » pour « tenter de convertir un citoyen bhoutanais à une autre religion que la sienne », semble, dans le cas de Prem Singh Gurung, avoir été appliquée avant même son vote par le Parlement (4).

 

Par ailleurs, la nouvelle de l’emprisonnement du chrétien n’a été connue que tardivement, les autorités bhoutanaises ne voulant pas ébruiter le verdict. Ce n’est qu’une semaine plus tard qu’une version officielle est parue dans le quotidien Kuensel, puis a été reprise par différents médias (5).

 

Si l’Etat bhoutanais n’a fait aucun commentaire sur l’événement, certains membres de la communauté hindoue, également minoritaire au Bhoutan, ont réagi par l’intermédiaire de blogs et de groupes de discussion. Sur le site du Bhutan News Service, par exemple, un certain Sushil s’indigne : « C’est comme cela que nous étions traités lorsque nous essayions de célébrer nos fêtes [hindoues] dans les années 1980-1990 au Bhoutan (…). Que faut-il encore à la communauté internationale pour qu’elle comprenne enfin que certaines communautés ne peuvent jouir de la liberté de religion ! (…) L’ONU devrait apprendre au Bhoutan ce qu’est la vraie définition du Bonheur National Brut (6) ».

 

Selon les statistiques officielles, plus de 75 % des 680 000 Bhoutanais sont bouddhistes, répartis principalement dans les régions de l’ouest et de l’est, 22 % sont hindous – la plupart d’origine népalaise – et occupent la partie méridionale du pays. Les Eglises chrétiennes au Bhoutan étant « souterraines », il n’existe pas de statistiques précises les concernant. Selon des sources ecclésiastiques, essentiellement protestantes, les chrétiens seraient entre 3 000 et 6 000, toutes confessions confondues, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. La Bible a été traduite récemment en dzongkha, la langue nationale, attestant ainsi le développement d’une Eglise indigène.