Eglises d'Asie

Un prédicateur islamiste condamné à mort pour crimes de guerre

Publié le 22/01/2013




Lundi 21 janvier, le Tribunal international instauré à Dacca pour juger les crimes commis lors de la guerre d’indépendance du Bangladesh a condamné à mort par contumace Abul Kalam Azad, célèbre prédicateur musulman et ancien leader du parti islamiste Jamaat-e-Islami.

Cette condamnation est le premier verdict rendu par les deux cours spéciales de justice (ITC) mises en place depuis 2010 par le gouvernement pour juger les responsables des crimes commis durant le conflit de 1971 avec le Pakistan (1). L’actuelle Premier ministre Sheikh Hasina s’était engagée lors de sa campagne électorale à « rendre justice » aux victimes de cet épisode sombre de l’histoire du Bangladesh.

Lors de cette guerre, qui aurait fait plus de trois millions de morts, le parti fondamentaliste Jamaat-e-Islami avait mené une répression sanglante contre les partisans de l’indépendance. Appuyé par le Bangladesh Nationalist Party (BNP), son allié politique de toujours, le Jamaat, qui est aujourd’hui le parti religieux d’opposition le plus important du pays, a qualifié cette cour spéciale de « mascarade » et accusé le Premier ministre de l’utiliser pour se débarrasser de ses opposants.

« Nous ne sommes pas contre le principe d’un procès pour juger les crimes de guerre, mais nous ne voulons pas qu’il soit utilisé à des fins politiques ; je m’inquiète notamment de ce que la cour ait jugé l’un des accusés en son absence, alors que tous les autres étaient en prison », a déclaré Goyesshar Chandra Roy, l’un des leaders du BNP lors d’une conférence de presse ce mardi 22 janvier à Dacca.

La suspicion concernant le déroulement des procès menés par l’ITC de Dacca est également partagée par de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch qui a fait part de ses doutes concernant l’application des normes du droit international au sein du tribunal, lequel s’est approprié le titre peu justifié de « cour internationale » sans aucune légitimité des Nations Unies.

Un juge présidant un autre tribunal a démissionné le mois dernier après que le magazine britannique The Economist a divulgué les enregistrements de ses conversations sur Skype et ses échanges de courriels avec un avocat bangladais résidant en Belgique. Ces conversations semblaient indiquer que le gouvernement faisait pression sur la Cour spéciale afin qu’elle rende des verdicts rapides et selon sa convenance.

« Il est vrai que ce tribunal est controversé, mais le procès d’Azad a été mené avec justice », a déclaré à l’agence Ucanews le 21 janvier, Rosaline Costa, une avocate catholique et militante des droits de l’homme. « La défense comme l’accusation ont disposé de suffisamment de temps pour que la cour puisse se forger une conviction à partir des preuves des crimes qu’il avait commis, et, s’il n’a pas pu se défendre lui-même, c’est parce qu’il s’est enfui », a ajouté l’avocate rappelant qu’Abul Kalam Azada avait toujours la possibilité de se pourvoir en appel ou de demander la clémence présidentielle.

Celui qui vient d’être condamné à la mort par pendaison est l’un des principaux leaders du Jamaat-e-Islami et un maulana réputé qui a prononcé pendant de nombreuses années des prêches très suivis sur la chaîne nationale puis sur des télévisions privées. Le religieux, âgé de 63 ans, a fui le pays en avril dernier pour le Pakistan alors que l’enquête sur les crimes de guerre qui avait été lancée à son sujet progressait.

Abul Kalam Azad a été déclaré coupable par contumace de sept chefs d’accusation sur huit, dont le génocide, le meurtre, le viol, le rapt et le pillage, a annoncé lundi le juge Obaidul Hasan, lequel a ajouté que le leader du Jamaat était « coupable sans aucun doute possible de ces crimes contre l’humanité ».

A l’issue de l’audience, le procureur général Mahbubey Alam a déclaré aux journalistes : « C’est un jour historique pour le pays et une victoire pour l’humanité. Le peuple du Bangladesh peut désormais pousser un soupir de soulagement. »

Parmi les onze autres personnes accusées de crimes de guerre qui attendent leur procès, deux sont membres du BNP et neuf du Jamaat-e-Islami. L’enquête menée par le gouvernement aurait identifié 1 175 personnes, parmi lesquelles des généraux pakistanais et des islamistes alliés d’Islamabad à l’époque qui se seraient rendus coupables de divers crimes durant la guerre de 1971.

Le Jamaat-e-Islami, malgré l’affaiblissement occasionné par le procès de ses principaux leaders, continue cependant d’avoir une très forte influence au Bangladesh ainsi que de bénéficier du soutien d’une part importante de la population, comme l’ont prouvé en septembre 2011 les grandes manifestations qui ont dégénéré en émeutes, protestant contre l’arrestation de cinq membres du parti actuellement emprisonnés dans l’attente de leur procès pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité ».

Mgr Gervas Rozario, président de la Commission “Justice et Paix” de la Conférence des évêques catholiques du Bangladesh, a déclaré pour sa part que si Azad avait mérité sa condamnation pour « des crimes qui avaient été prouvés », l’Eglise catholique maintenait sa position concernant l’application de la peine capitale. « Je pense que justice a été rendue pour les victimes des crimes de guerre commis par Azad, mais pour des raisons morales nous ne pouvons soutenir la peine de mort », a conclu l’évêque de Rajshahi.