Eglises d'Asie

Pékin promeut les mariages entre Hans et Tibétains pour « parachever l’unité du Tibet »

Publié le 19/08/2014




Pour les uns il s’agit de « parfaire l’unité du Tibet », pour les autres, d’une nouvelle tentative d’assimilation des Tibétains, cette fois par le mariage avec les Chinois hans venus coloniser la région. Les consignes du Parti communiste chinois au Tibet, … 

… publiées au début du mois d’août, ont déclenché l’indignation des associations de défense des droits de l’homme, qui dénoncent une nouvelle phase dans la politique de sinisation de Pékin.

Après des décennies de propagande décrivant les Tibétains comme une race arriérée avec laquelle le sang des véritables Chinois (Hans) ne saurait se mélanger, Pékin adopte une nouvelle politique, prônant « l’assimilation par le mariage ». Cette « unification pacifique », dénoncée par les ONG pro-tibétaines comme l’achèvement d’un processus d’annihilation silencieuse d’une minorité ethnique, n’empêche pas par ailleurs la poursuite de l’action répressive qui continue de sévir sur le Toit du monde. La semaine dernière encore, des émeutes ont été réprimées dans le sang par les forces de l’ordre chinoises (1).

Au cours de ces dernières semaines, les autorités chinoises en charge de la Région autonome du Tibet ont commandé aux journaux locaux des séries d’articles sur les mariages mixtes, avec quelques portraits choisis, afin d’encourager les « mélanges interraciaux ».

Le secrétaire du Parti communiste au Tibet, Chen Quanguo, a récemment organisé une séance photos avec 19 familles mixtes. « Comme le dit la formule, ‘rien n’est plus fort que les liens du sang’ », a déclaré le responsable de la Région autonome tibétaine dans le quotidien d’Etat Tibetan Daily, ajoutant que le gouvernement avait décidé de « promouvoir activement les mariages mixtes ». Chen Quanguo s’est adressé ensuite aux fonctionnaires présents au Tibet, leur demandant « d’agir comme des marieurs » afin que « soient ainsi reconnues la Grande Patrie, la culture chinoise et la voie du socialisme ».

Dans un rapport publié ce mois-ci, le Bureau de recherche du Parti communiste au Tibet a affirmé que les mariages mixtes augmentaient chaque année de façon significative. Selon l’étude, ils seraient passés de 666 couples en 2008 à 4 795 couples en 2013.

L’augmentation de ces unions, explique encore le rapport, est une conséquence directe de « l’excellence de la gestion par Pékin de la région tibétaine », avec des progrès sensibles dans les domaines de la sécurité sociale, du planning familial, des vacances, de l’emploi etc. Il est souligné également l’importance des nombreux avantages associés à ces mariages mixtes, tels des primes pour les couples, des allocations versées aux enfants et les facilités accordées pour accéder à un emploi ou encore adhérer au Parti communiste.

Cette politique marque un changement très net avec le passé où Pékin décourageait les mariages interethniques. Ces unions, qui bénéficient aujourd’hui d’avantages financiers et sociaux attirant de nombreux couples, permettent également de contourner la politique de l’enfant unique, toujours en vigueur en Chine bien qu’elle ait été récemment assouplie pour l’ensemble du pays.

Les couples mixtes sont ainsi autorisés à avoir jusqu’à trois enfants. Cependant, les parents devant déclarer l’ethnie de chacun de leurs enfants à la naissance, force est de constater que la majorité des couples donnent à leurs enfants des noms hans, afin qu’ils ne subissent pas de discriminations et puissent avoir accès à de bonnes écoles puis à un emploi.

A cette politique visant à diluer les minorités ethniques dans une culture han grandissant davantage à chaque génération (du fait même que les enfants de ces unions sont déclarés « d’ethnie han »), s’est ajoutée également la prise de conscience par Pékin des conséquences désastreuses de sa politique de restriction des naissances – avec notamment le vieillissement de la population et le déséquilibre des sexes au profit des garçons.

Bon nombre de « colons » hans ne cachent pas qu’ils sont venus s’installer au Tibet en raison des avantages financiers qui leur sont accordés et, aujourd’hui, de la possibilité de trouver une femme, alors que des centaines de milliers d’entre elles manquent à l’appel dans les régions fortement sinisée et soumise à la politique de l’enfant unique.

Dans un entretien téléphonique avec le Washington Post le 16 août dernier, la poétesse et militante tibétaine Tsering Woeser a comparé la promotion de ces mariages aux pires pratiques de la colonisation. Il n’y a rien de répréhensible à ce que des couples venus d’horizons différents s’unissent par amour, explique-t-elle (Woeser est elle-même mariée à l’écrivain dissident et chinois han Wang Lixiong). Mais cela est totalement différent lorsque ces mariages ne sont que des outils d’assimilation utilisés par les autorités, ajoute-t-elle, citant l’exemple de l’occupation japonaise de Taiwan, lorsque les militaires et policiers japonais étaient encouragés à épouser des femmes autochtones. « Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une tentative de dissolution de l’identité tibétaine dans la culture chinoise han ».

En raison de l’opacité des statistiques établies sur le territoire tibétain, il est difficile à l’heure actuelle de connaître la population exacte des Tibétains. Selon le gouvernement en exil à Dharamsala, il y aurait entre trois et six millions de Tibétains dans la Région autonome du Tibet. Ils forment encore aujourd’hui entre 80 et 90 % de la population de cette région administrative chinoise, dont la capitale Lhassa est composée quant à elle de 50 % de Tibétains (pour 50 % de Chinois Han ou autres).

L’inauguration en 2006 du chemin de fer Pékin-Lhassa a été suivie d’une nette hausse du nombre des Chinois cherchant à s’établir de manière temporaire ou définitive dans cette ville.

(eda/msb)