Eglises d'Asie

Le gouvernement BJP défend les conversions de masse à l’hindouisme

Publié le 15/12/2014




Certains le craignaient et l’annonçaient depuis l’élection de Narendra Modi. D’autres pensaient que pour continuer à s’assurer le soutien des minorités religieuses, dont bon nombre de communautés avaient voté pour lui, le nouveau gouvernement … 

… ferait des concessions vis-à-vis des franges extrêmes de son mouvement.

Dans les deux cas, peu avaient imaginé que la question d’une loi anti-conversion – destinée essentiellement à « protéger la religion hindoue » – serait à l’ordre du jour seulement six mois après la victoire écrasante du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien) et de son leader.

Lors d’une séance particulièrement houleuse, vendredi 13 décembre, le parti pro-hindou a en effet appelé à mettre en place des lois anti-conversion au niveau fédéral, devant la chambre basse du Parlement (Lok Sabha).

La question avait déjà été soulevée la veille par le ministre BJP des Affaires parlementaires lui-même, Venkaiah Naidu, déclenchant un tollé général à l’Assemblée, aussi bien de la part des partis d’opposition que de représentants des partis hindous.

A l’origine, le ministre répondait à une demande de certains parlementaires qui avaient relayé la nouvelle de la très suspecte « conversion spontanée » à l’hindouisme de 350 musulmans pauvres d’Agra en Uttar Pradesh.

De nombreux médias indiens s’étaient fait l’écho de cette conversion de masse, organisée le 9 décembre dernier par le Bajrang Dal, conjointement avec le Dharam Jagran Samanvay Vibhagh, deux émanations du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Corps national des volontaires), mentor idéologique du BJP, le parti au pouvoir. Les soupçons sur les conditions de cette « libre conversion » avaient émergé après le dépôt de plusieurs plaintes de participants à la cérémonie, affirmant avoir été trompés et, pour certains, avoir été forcés sous la menace à participer à la cérémonie. Ces 57 familles musulmanes, toutes issues de milieux extrêmement pauvres, s’étaient fait promettre une distribution de cartes de rations alimentaires et autres avantages matériels. Une enquête de police est actuellement en cours.

Jeudi 11 décembre, un député du Parti du Congrès, Jyotiraditya Scindia, avait rapporté l’incident devant la Chambre basse, exigeant une « clarification » du Premier ministre sur les agissements du Bajrang Dal, lequel multiplie depuis quelques mois ce type de conversions de masse rebaptisées « retour à la maison » (Ghar Wapasi), un terme sous-entendant que les populations reconverties étaient hindoues à l’origine, selon les principes prônés par l’Hindutva, idéologie assimilant l’hindouisme à la nation indienne.

A la surprise générale, Venkaiah Naidu avait répondu en faisant l’apologie du RSS et en retournant contre les chrétiens et les musulmans l’accusation de prosélytisme faite aux hindouistes. « La liberté de religion ne doit pas servir de prétexte pour autoriser les campagnes de prosélytisme financées par l’étranger, lesquelles ont pris une ampleur considérable ces dernières années dans différents Etats, ciblant particulièrement les aborigènes, les basses castes et les pauvres », avait-t-il rétorqué au parti d’opposition.

Proposant alors de lutter contre « ce défi majeur », et déclarant s’exprimer « au nom du pays tout entier », le ministre des Affaires parlementaires avait proposé de faire voter des lois anti-conversion au niveau fédéral, qui s’appliqueraient à l’ensemble des Etats.

A l’heure actuelle, seuls quelques Etats appliquent en Inde des lois anti-conversion – par ailleurs très controversées – : l’Arunachal Pradesh, le Gujarat (Etat à la tête duquel se trouvait l’actuel Premier ministre de l’Inde avant son élection), le Madhya Pradesh, le Chhattisgarh et l’Himachal Pradesh.

Face au tumulte des députés, dont certains n’avaient pas hésité à huer et à interrompre le ministre, ce dernier, avait encore affermi ses positions. « Pourquoi faire ce mauvais procès au RSS ? », avait-t-il interrogé. « C’est une grande organisation ; elle est l’incarnation du service désintéressé et je suis fier de mon passé dans ses rangs », a poursuivi l’ancien président du BJP. Une profession de foi inédite au Lok Sabha, et qui semble avoir stupéfié les parlementaires. « Si vous accusez et injuriez notre organisation mère, de laquelle nous tenons notre inspiration, alors là, je ne peux plus me permettre d’être un spectateur silencieux et je dois parler pour la défendre », avait-il affirmé.

Le Parti du Congrès a dénoncé vigoureusement cet « encouragement donné par le gouvernement lui-même aux forces communautaristes en Inde », tandis que d’autres partis comme Trinamul ont reproché au BJP « d’avoir recours au fanatisme religieux afin de détourner l’attention de ses difficultés à redresser l’économie de l’Inde ».

Quant à Asaduddin Owaisi du All India Majlis-e-Ittehadul Muslimeen (AIMIM), principal parti musulman indien, il a interpellé Venkaiah Naidu en ces termes : « Qu’est-il arrivé aux bons principes du Premier ministre ? Qu’est-il advenu de sa déclaration selon laquelle la Constitution était son livre saint ? ». Réclamant des mesures immédiates contre le Bajrang Dal et l’idéologie du RSS, il a ajouté : « Nous sommes aussi fiers d’être musulmans que d’être indiens ; mais nous n’allons pas changer de religion, ni accepter d’être terrorisés. »

Alors que le débat fait rage au Parlement, les réactions indignées des minorités religieuses et des défenseurs des droits de l’homme ne se sont pas fait attendre. Le P. Z Devasagayaraj, secrétaire du Bureau pour les SC (1) et les affaires tribales de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), a publié une déclaration, dans laquelle il a dénoncé la violation « non seulement de la liberté religieuse, mais de la liberté de l’individu lui-même et de ses droits ».

John Dayal, membre du Conseil national pour l’intégration et secrétaire général du Conseil chrétien pan indien, a réagi pour sa part en soulignant combien les propos du ministre mettait en évidence les liens qui existaient entre le gouvernement et le RSS, malgré la campagne pré-électorale de Narendra Modi où ce dernier avait affecté de mettre une certaine distance vis-à-vis des groupes extrémistes afin d’emporter l’adhésion du plus grand nombre. « Ce n’est pas d’une loi anti-conversion dont nous avons besoin en Inde, a-t-il conclu, mais d’une loi pour nous protéger contre les violences communautaires, en particulier celles exercée à l’encontre des minorités religieuses et autres. »

Malgré cette levée de boucliers, le RSS a annoncé le 10 décembre qu’il procéderait le 25 décembre, jour de Noël, à une nouvelle cérémonie de « reconversion » de masse de 4 000 familles chrétiennes appartenant aux SC et de 1 000 familles musulmanes, à Aligarh, toujours en Uttar Pradesh (2). Toutes ces familles, comme celles de la cérémonie du 9 décembre dernier, appartiennent aux SC et vivent dans des conditions de pauvreté extrême dans les bidonvilles d’Aligarh, Bulandshahr et d’ Hathras.

Le maître de cérémonie, Yogi Adityanath, est un parlementaire BJP et également un prêtre hindou. Un fait qui démontre encore une fois, la place et le rôle prédominants accordés au clergé hindou dans la politique du BJP.

(eda/msb)