Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – « Le monde doit réagir face au danger hindouiste »

Publié le 19/01/2015




Dans un article en hindi, publié le 3 janvier sur le site de Radio Veritas, John Dayal met en garde la communauté internationale contre le projet « en cours d’exécution » des extrémistes hindous consistant à recréer une « Inde sans les chrétiens ni les musulmans ». 

Ce texte est paru en pleine controverse sur les « conversions de masse »menées par les hindouistes dans plusieurs Etats de l’Inde au moment de Noël (1).

John Dayal est secrétaire général du All India Christian Council et membre du Conseil pour l’Intégration nationale au sein du gouvernement indien.

 

Le 18 décembre dernier, lors de la Journée nationale pour les minorités, Rajeshwar Singh, qui est à la tête du Dharma Jagran Manch [Forum d’éveil à la foi], a déclaré sur les chaînes d’information de la télévision nationale que son organisation s’était fixé jusqu’à 2021 pour « nettoyer l’Inde des étrangers musulmans et chrétiens ».

Quant à un autre groupe hindouiste, il a déclaré récemment que les chrétiens devaient être bannis des régions de l’Himalaya, dont les montagnes sont sacrées pour les hindous. Ces discours de haine se répandent comme des virus sur les réseaux sociaux et sont répercutés ensuite par les principaux journaux à travers le pays.

Le gouvernement indien n’a cependant pas fait part d’une quelconque intention de poursuivre Rajeshwar Singh au titre des très strictes lois indiennes concernant l’incitation à la haine religieuse…

Jusqu’à présent, ces lois ont plutôt été largement utilisées à l’encontre de pasteurs chrétiens, et ces derniers mois, de jeunes musulmans déversant leur colère envers le gouvernement sur Facebook.

En revanche, les membres du Conseil des ministres et les représentants du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), qui est à la tête de l’Etat indien, ont manifesté clairement leur soutien au Sangh Parivar.

Le [Sangh] Parivar est la grande et omniprésente famille d’organisations militantes hindoues [gravitant autour] du Rashtriya Swayamsewak Sangh (RSS) ces deux dernières décennies. Le Dharma Jagran Manch, le Bajrang Dal et le puissant Vishwa Hindu Parishad (VHP), dont les membres sont connus pour leur grande violence et agressivité, comptent parmi ses groupes les plus importants.

Les analystes politiques disent qu’il serait erroné de penser que, sous le gouvernement de Narendra Modi, le RSS aurait réorienté ses objectifs. Bien au contraire, à chaque fois que le BJP prend le pouvoir, ses idéologues s’enhardissent.

Atal Behari Vajpayee, qui fut le premier membre du BJP à occuper le poste de Premier ministre de l’Inde, était au pouvoir lorsqu’eut lieu l’une des plus importantes attaques contre les chrétiens. Plus de trente églises furent détruites dans les villages du district de Dangs, au Gujarat, la nuit de Noël 1998.

Graham Staines, un travailleur humanitaire [et pasteur protestant – NdT] australien qui venait en aide aux lépreux, ainsi que son fils ont été brûlés vifs en janvier 1999, et le prêtre catholique George Kuzhikandam a été assassiné à Mathura, non loin de Delhi, dans son église, en juin 2000.

Quant à la violence qui s’est déchaînée la nuit de Noël en 2007 au Kandhamal, en Orissa, et qui annonçait le pogrom de 2008, elle a eu lieu alors que le BJP était à la tête du gouvernement de coalition au pouvoir dans cet Etat. Modi n’a jamais fait mystère, de son côté, du fait qu’il avait été un leader du RSS et il continue d’ailleurs d’en professer ouvertement l’idélogie.

Les groupes affiliés au RSS ont lancé une campagne pour convertir les chrétiens et musulmans pauvres à l’hindouisme, campagne qu’ils ont appelée Ghar Wapsi, soit « le retour à la maison ». Ils prétendent que chaque Indien est en réalité un hindou, et que les chrétiens comme les musulmans le sont devenus par « égarement » ou après avoir été soudoyés par les missionnaires (2).

Chacun à leur tour, les mouvements du Sangh [Parivar] ont rassemblé des fonds pour pratiquer le Ghar Wapsi, offrant 500 000 roupies [soit 7 euros environ] à chaque musulman et 200 000 roupies pour chaque chrétien. Ces différences de primes s’expliqueraient par le fait qu’ils considèreraient les musulmans comme plus difficiles à convertir.

Dans l’Etat central du Chhattisgarh, où il y a plusieurs mois des groupes radicaux ont incité des villages entiers à chasser les pasteurs chrétiens et à interdire toute célébration religieuse autre que celles de l’hindouisme, ce sont les école catholiques aujourd’hui qui sont devenues les nouvelles cibles.

Dans la région tribale de Bastar, les écoles chrétiennes sont sommées d’ériger des statues de la déesse de la connaisance Saraswati. Quant aux prêtres dirigeant ces institutions, ils ne doivent plus se faire appeler « Pères » mais Pracharya (‘professeur’) par les étudiants non chrétiens.

Des pasteurs protestants sont passés à tabac ; des « églises domestiques » sont attaquées de façon presque systématique, avec l’aide et la participation active de la police. Le Père Noël, bien entendu, a été interdit. Il n’est pas besoin de préciser que cet Etat est gouverné par le BJP depuis douze ans.

Le Sangh Parivar dirige plus de 57 000 écoles soumises à son idéologie, dans des villages répartis dans plusieurs Etats, et tout particulièrement dans les zones habitées par des aborigènes (tribals) ou des dalits,  ce qui lui permet d’avoir à sa disposition immédiate des groupes entiers de jeunes avec leurs parents, prêts à exécuter ses ordres.

La réponse du BJP [à la déclaration du Sangh Parivar] a été de suggérer que cette « deadline » de 2021 pour un nettoyage religieux était la conséquence prévisible des prêches enflammés des imams musulmans à la télévision ainsi que des campagnes occidentales visant à répandre le christianisme.

Venkiah Naidu, ancien président du BJP et ministre du gouvernement, a demandé à ce que soit votées des lois anti-conversion au plan national. Ces lois, qui existent déjà dans six Etats, attendent dans deux autres d’être validées par l’exécutif pour être définitivement adoptées. Ce n’est qu’une question de mois avant qu’elles ne deviennent effectives et elles ont déjà suscité de nombreuses violences interreligieuses.

Les rapporteurs spéciaux des Nations Unies pour la liberté religieuse ont dénoncé ces lois comme portant atteinte aux droits fondamentaux de la liberté de religion et de croyance tels qu’énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, lesquels constituent de plus, une partie importante de la Constitution indienne.

La ministre fédérale de l’Education et ancienne actrice de télévision, Smriti Boman Irani, a demandé, quant à elle, la révision des manuels scolaires, en particulier ceux consacrés à l’histoire, afin d’y introduire les plus anciennes traditions indiennes, dont les textes sacrés hindous.

Différents conseils au sein du ministère sont désormais présidés par des sommités convaincues par les thèses selon lesquelles l’Inde est à la source de toutes les connaissances du monde. Le BJP, comme cette ministre, estiment que les textes sacrés hindous sont une source – remontant à 5 000 ans –, de connaissances sur des sujets aussi variés que la chirurgie plastique, l’aviation, l’armement nucléaire et la science génétique.

Le gouvernement a émis une ordonnance le mois dernier, édictant que le jour de Noël soit désormais appelé « Jour de la Gouvernance » (Good Governance Day) afin de célébrer – non pas l’anniversaire de la naissance de Jesus –, mais de celle de l’ancien Premier ministre BJP Vajpayee, qui est actuellement gravement malade et n’a pas reparu en public depuis des années.

[En ce jour spécial], les établissements d’enseignement, qu’il s’agisse des écoles ou des universités, devaient rester ouverts et organiser des programmes sociaux pour les étudiants. Et Noël ne devait plus être un jour férié.

Face au tollé [que cette ordonnance a déclanché], de la part de l’Eglise comme de l’ensemble de la société civile, un violent affrontement au Parlement – dont la Chambre haute où Modi n’a pas encore la majorité -, a forcé le gouvernement à annuler le décret en question.

Noël reste donc un jour férié, mais les programmes et les activités « éducatives » sont maintenus, avec obligation pour les directeurs d’établissements et les fonctionnaires de rendre compte de l’exécution des consignes.

Musulmans et chrétiens ont désormais l’impression d’avoir le cou étroitement enserré dans un nœud coulant, que ce soit dans les villages ou les petites villes où règnent les cadres du Sangh avec la complicité de la police, ou dans l’ensemble du pays, où les Etats locaux comme le gouvernement central semblent encourager les campagnes de haine et de violence..

Mais pour la société civile, la vraie menace est celle qui vise la Constitution de l’Inde, laquelle avait su évoluer comme une immense charte démocratique, protègeant les centaines de cultures, de langues, de races et de confessions du pays. Mais les trop nombreux membres du Sangh présents à des postes-clés ont désormais affirmé que la Constitution n’était qu’un héritage de la Grande-Bretagne et qu’elle n’avait aucune place dans l’Hindu Rastra, la « Terre des hindous ».

Voilà qui est véritablement inquiétant. Et qui ne doit pas inquiéter que les minorités religieuses en Inde, mais bien le monde tout entier.

(eda/msb)