Eglises d'Asie

Six ans après la fin de la guerre, des Tamouls ont pour la première fois pu honorer en public la mémoire de leurs morts

Publié le 20/05/2015




Lundi 18 mai, sixième anniversaire de la fin de la guerre civile, les Tamouls de la Province du Nord ont pu célébrer ouvertement la mémoire de leurs morts. Depuis la fin de la guerre, en mai 2009, c’est la première fois qu’ils ont pu le faire en public, le gouvernement ayant en partie levé …

… les interdictions liées à cette commémoration.

A Mullivaikkal, localité du district de Mullaitivu, aux portes de la péninsule de Jaffna, plusieurs centaines de Tamouls s’étaient réunis afin, dans la tradition hindoue, d’allumer des lampes à huile et de procéder à des offrandes de fleurs pour honorer leurs morts ; à l’issue d’un service interreligieux, une messe a été célébrée par un prêtre catholique. En mai 2009, dans les derniers jours d’une guerre civile qui durait depuis 37 ans, la localité et ses environs avaient été le théâtre d’un assaut impitoyable de l’armée gouvernementale contre les derniers éléments des Tigres tamouls ; 300 000 civils étaient pris au piège et, selon l’ONU, au moins 40 000 d’entre eux y perdirent la vie.

Cette année, les cérémonies marquant la fin de la guerre ont revêtu une tonalité nouvelle. Dans les années qui ont suivi la défaite des Tigres, le gouvernement de Colombo, dirigé par le très autoritaire président Mahinda Rajapaksa, célébrait, avec force défilés militaires, le « Victory Day », et interdisait toute commémoration en pays tamoul. Cette fois-ci, le président Maithripala Sirisena, élu le 8 janvier dernier, a changé les « célébrations de la Victoire » en « Journée du souvenir » pour toute la nation, mettant l’accent non plus sur la victoire militaire remportée il y a six ans mais sur la réconciliation entre les différentes composantes de la population sri-lankaise.

Le 19 mai, dans une adresse à la nation, Maithripala Sirisena a déclaré que « [son] gouvernement donnera la priorité à la réconciliation. Depuis la fin de la guerre, beaucoup a été fait pour reconstruire les infrastructures mais beaucoup reste à faire pour reconstruire les cœurs et les vies brisés de notre peuple ».

Dans un pays où les esprits sont encore profondément marqués par des décennies d’affrontement sanglant, la nouvelle attitude du gouvernement est saluée, sans que la défiance ne disparaisse pour autant. Président du Global Tamil Forum, instance fédérant différentes organisations de la diaspora tamoule, le P. S. J. Emmanuel, prêtre catholique tamoul installé en Allemagne depuis 1997, déclare : « Ce changement est bienvenu. C’est une lumière au bout du tunnel, le premier pas d’une longue route qui mènera à une paix future. »

Les antagonismes restent toutefois bien réels. Le principal parti politique tamoul, la Tamil National Alliance, a refusé de prendre part aux cérémonies nationales organisées à Colombo. Ses dirigeants ont préféré s’associer à la cérémonie organisée à Mullivaikkal. Ils n’ont pas manqué de dénoncé les restrictions imposées aux Tamouls pour célébrer librement cette « journée du souvenir ».

L’avant-veille du 18 mai, la police dans le district de Mullaitivu avait en effet obtenu de la justice un arrêté interdisant tout défilé ou procession publique pour commémorer les morts du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul). Pour marquer sa désapprobation face à un tel arrêté, le ministre-président de la Province du Nord, le tamoul C. V. Wigneswaran, s’est affiché aux côtés des Tamouls qui ont allumé des lampes à huile à Mullivaikkal. « La communauté internationale doit tout faire afin que justice soit rendue à tous les innocents qui ont péri dans les dernières phases de la guerre », a-t-il déclaré, dans une allusion au fait qu’un rapport sur les massacres commis à la fin de la guerre doit être remis en septembre prochain au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève.

Selon Suresh Premachandran, président de la Tamil National Alliance et député de Jaffna, les interdictions édictées par la justice pour empêcher les processions sont le signe que le gouvernement ne veut pas aller plus loin vers la réconciliation. « Le gouvernement [de Sirisena] dit à la communauté internationale qu’il respecte la dignité des Tamouls, mais il obtient des décisions de justice pour empêcher les Tamouls d’honorer la mémoire de leurs morts », dénonce-t-il, tandis que d’autres s’inquiètent de la campagne menée actuellement par différents médias cinghalais pour un retour sur le devant de la scène politique de l’ancien président Rajapaksa.

Parmi la population tamoule, l’apaisement est difficile à trouver. Madona Mariampillai a perdu son frère, le P. Manuelpillai Sarathjeevan, dans les derniers jours de la guerre ; le prêtre catholique est mort d’une crise cardiaque alors qu’il accompagnait un groupe de réfugiés hors de la zone des combats. « Je suis fière de mon frère car il a sacrifié sa vie pour des civils tamouls innocents », déclare-t-elle à l’agence Ucanews, reconnaissant que « l’actuel gouvernement a réalisé la folie qui consiste à nier aux Tamouls le droit d’honorer leurs morts ».

Aruldas Vathani est veuve, son mari ayant été tué le 13 mai 2009 dans un bombardement. Mère de trois enfants, elle figure parmi les très nombreuses femmes qui doivent désormais assumer seules leurs charges familiales. « Les veuves comme moi, nous avons participé à la cérémonie de lundi en dépit des arrêtés de justice. De toute façon, nous avons tout perdu », commente-t-elle.

Le P. Nehru Ganaraj a passé les derniers jours de la guerre terré dans un bunker en compagnie de dizaines de civils terrorisés par les bombardements incessants. Prêtre catholique, il affirme que la police a déjà interrogé un prêtre au sujet de la commémoration de Mullivaikkal de ce lundi. Il estime que « si le gouvernement est vraiment sincère dans son désir de réconciliation, il doit donner plus de liberté [aux Tamouls] ». « La guerre a fini en 2009, mais six ans plus tard, le pays cherche toujours le chemin vers la réconciliation et la guérison des blessures de guerre », estime ce prêtre du diocèse de Mannar, en pays tamoul.

(eda/ra)