Eglises d'Asie

Soumise aux pressions des islamistes, la coalition de l’opposition vole en éclat

Publié le 24/06/2015




Très légèrement majoritaire en voix lors des dernières élections législatives, en 2013, mais minoritaire en sièges au Parlement fédéral, la coalition d’opposition, le Pakatan Rakyat (‘Alliance du peuple’), semblait en mesure de former une alternative politique crédible à l’indéracinable UMNO, le parti dominant …

… de la coalition au pouvoir, le Barisan Nasional. A la faveur des prochaines élections, une alternance historique – l’UMNO est au pouvoir depuis 1957 – semblait possible. C’était sans compter sur l’éclatement du Pakatan Rakyat auquel l’opinion publique malaisienne assiste actuellement.

Ainsi que l’explique un article publié le 22 juin dernier sur le site AlterAsia (1), l’arrêt de mort de la coalition qui réunit les trois principaux partis de l’opposition a été prononcé le mardi 16 mai dernier après que l’aile conservatrice islamique du PAS (Parti Islam Se-Malaysia, Parti pan-islamique malaisien) a refusé de renoncer à ses positions fondamentalistes sur la gestion de l’Etat du Kelantan, seul Etat de la Fédération de Malaisie dirigé par le PAS. Le leader du Democratic Action Party (DAP) au Parlement, Lim Kit Siang, a déclaré que la coalition n’attendait plus que l’organisation de ses « funérailles ».

Lim Kit Siang a reproché à Adbul Hadi Awang, le leader du PAS, d’être responsable de la mort de la coalition, expliquant que ses manœuvres entraînaient la destruction du « Cadre de Politique commune » défini par le leader de l’opposition Anwar Ibrahim au moment de la formation de la coalition en 2008.

Mais depuis sa naissance, il y a sept ans, la coalition du Pakatan Rakyat, composée du DAP, du PAS et du Parti Keadilan Rakyat, qu’Anwar Ibrahim avait réussi à constituer avec les Malais modérés, les déçus de l’UMNO et d’autres composantes éparses, n’a jamais été vraiment viable. Pourtant, en raison des désillusions provoquées par le Barisan Nasional, la coalition au pouvoir dominée par l’UMNO, corrompu et obsédé par la « race », l’opposition avait réussi à assommer le Barisan Nasional en 2008, en remportant 82 des 222 sièges au Parlement, le Dewan Rakyat, et en brisant pour la première fois la majorité des deux-tiers que détenait jusqu’alors la coalition au pouvoir.

Puis en 2013, l’opposition avait fait encore mieux, remportant 50,87 % des votes contre 47,38 % pour le Barisan Nasional, mais ne gagnant que 89 sièges sur 133 en raison du découpage électoral et du système majoritaire à un tour. Le Barisan Nasional, et en particulier le Premier ministre Najib Razak, réalisèrent alors qu’il fallait neutraliser l’opposition, et ils commencèrent à courtiser le PAS pour briser la coalition.

Le PAS a bien compris l’opportunité que cela pouvait représenter, et semble donc aujourd’hui tenter de se ranger aux côtés de l’UMNO en vue de récolter ensemble une part suffisante des 60,1 % des votes des Malais pour continuer à dominer la politique du pays, contre les 22 % de Chinois, les 8 % d’Indiens et le reste, principalement les populations chrétiennes de Sabah et Sarawak.

A la grande frustration du DAP et du Parti Keadilan Rakyat (PKR, Parti de la justice du peuple), Abdul Hadi Awang, le leader du PAS, semble – dans une évolution apparemment inexorable – soutenir de plus en plus nettement Najib Razak, malgré l’énorme scandale qui commence à éclater sur les malversations qui entachent la gestion du fonds public d’investissement, 1Malaysia Development Fund.

Une alliance avec l’UMNO pourrait pourtant se révéler un pacte avec le diable, et sa viabilité dépendra de la capacité à convaincre les Malais modérés de continuer à suivre la ligne du parti. Or, comme la plupart des minorités ethniques, de nombreux Malais ne veulent pas entendre parler des « hudud », ces ordonnances prévoyant des peines fondées sur la charia (comme la lapidation des femmes adultères ou l’amputation des voleurs).

« Le vote des Malais va se diviser au moins en quatre fractions, ce qui signifie que les gouvernements des Etats de la Fédération vont devenir instables, à l’image du gouvernement fédéral », explique un avocat malais. Ce dernier prédit de façon pessimiste une grave période de troubles politiques.

Une autre source malaisienne souligne que les deux autres partis – le DAP et le PKR – restent dans la coalition et peuvent désormais se développer de manière plus efficace, désormais libérés du poids des fondamentalistes islamiques, pour recruter plus largement parmi les Malais modérés peu enthousiastes à l’idée de soutenir l’UMNO et le PAS.

Avec 71 % de la population vivant désormais en zone urbaine, le pourcentage de Malais vivant en zone rurale se réduit énormément. On peut présumer que le désir de voir les lois fondamentalistes s’appliquer se réduit en conséquence. Les Malais des villes sont bien plus modérés que leurs homologues des campagnes, veulent suivre les tendances de la mode et boire de la bière quand personne ne les regarde. A titre d’exemple, lors d’un sondage effectué après les graves inondations de l’an dernier, 81 % des Malais, au niveau national, estimaient que le gouvernement du Kelantan devait se concentrer sur la mise en place des hudud, fondées sur la charia, plutôt que de s’occuper des inondations. Dans le Kelantan, au même moment, 81 % des habitants se prononçaient contre les hudud.

Il demeure une énorme incertitude politique dans les Etats où la coalition du Pakatan Rakyat est au pouvoir, et il est difficile de prédire si ces alliances vont être dissoutes. Si tel est le cas, une telle configuration appelleraient de nouvelles élections, au risque de provoquer encore plus d’incertitudes. L’UMNO est paralysée par la guerre entre la droite du parti contrôlée par l’ancien Premier ministre Mohamad Mahathir, et l’aile contrôlée par l’actuel Premier ministre, Najib Razak ; la situation dans le pays semble donc se détériorer de jour en jour. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’impasse politique ne commence à affecter les investissements étrangers.

Le secrétaire général du DAP, Lim Guan Eng, a déclaré à des journalistes que son parti rechercherait la formation d’une coalition avec les partis islamiques, mais il s’est refusé à les nommer. La viabilité d’une telle alliance ne manquera toutefois pas de se poser. Cela rendrait plus facile la progression d’une nouvelle coalition centrée autour de Nazir Razak, frère de Najib Razak, qui formerait un arrangement plus viable.

Avec l’effacement d’Anwar Ibrahim, la coalition avait déjà lentement commencé à se désintégrer. L’année dernière, après avoir échoué à prendre la tête de l’Etat du Selangor, riche et peuplé, en raison de sa condamnation définitive par un tribunal, il avait essayé de mettre sa femme à ce poste, mais le PAS avait refusé de les soutenir. Finalement, Wan Azizah Wan Ismail, l’épouse d’Anwar Ibrahim, a dû laisser la place à Mohamed Azmin Ali, par ailleurs ministre-président de l’Etat de Selangor.

Anwar Ibrahim, poursuivi par de sempiternelles accusations de sodomie, tenues pour abusives par les organisations de défense des droits de l’homme, n’a pas pu se consacrer à apaiser les divisions flagrantes entre un parti chinois (le DAP), un parti rural de fondamentalistes islamiques (le PAS), et son propre parti (le PKR). Il a finalement été emprisonné en janvier dernier et est toujours en prison ; sa carrière politique est sans doute terminée.

D’après les observateurs, la destruction de la coalition d’opposition est très probablement l’œuvre de Najib Razak, dont on pense qu’il a travaillé dans l’ombre pour promouvoir un arrangement « d’unité » avec le PAS et son chef Abdul Hadi Awang. La décision du PAS d’appliquer les hudud dans l’Etat du Kelantan aurait été fomentée avec pour unique objectif de faire éclater la coalition d’opposition, qui jusqu’à il y a peu semblait en mesure d’inquiéter très sérieusement le monopole du pouvoir détenu depuis 1957 par l’UMNO.

(eda/ra)