Eglises d'Asie

Ma Ba Tha, un groupe extrémiste bouddhiste qui reste très influent en Birmanie

Publié le 11/02/2016




D’après un rapport de chercheurs américains, Ma Ba Tha, l’acronyme birman pour le « Comité pour la protection de la race et de la religion », demeure une force politique puissante malgré la lourde défaite électorale du parti qu’il soutenait aux législatives de novembre dernier. Ces experts ont analysé la …

… structure et la propagande du groupe bouddhiste extrémiste en suivant une centaine de comptes Facebook de bonzes radicaux et de leurs soutiens.

Ma Ba Tha sait exploiter les peurs pour toucher les cœurs. Ma Ba Tha sait utiliser des moyens de communication modernes pour s’adresser au plus grand nombre. Ma Ba Tha a su tisser des relations au plus haut niveau pour transformer sa propagande en lois et devenir un acteur politique majeur en Birmanie. Ce sont les principaux enseignements du rapport intitulé Sticks and Stones, publié par le C4ADS, le Centre pour les études approfondies sur la défense, une organisation américaine à but non lucratif qui s’intéresse aux problématiques de sécurité dans le monde. « L’appareil de communication de Ma Ba Tha, puissant et organisé, a transformé les ressentiments des bouddhistes envers les musulmans en un discours logique et pertinent pour un public moderne », résume le rapport, publié le 4 février dernier.

Un discours alarmiste pour attiser la haine contre les musulmans

Ma Ba Tha, dont le chef de file, le moine U Wirathu, attire les médias du monde entier pour ses prêches antimusulmans et ses insultes envers les Nations Unies, s’est formé en 2014. Le Comité a pris le relais du mouvement bouddhiste extrémiste 9-6-9 qui s’était fait connaître pour ses appels au boycott des commerces musulmans. Depuis 2012, les persécutions envers les minorités musulmanes de Birmanie, principalement les Rohingyas, se sont multipliées. Les affrontements entre bouddhistes et musulmans ont entraîné la mort de 200 personnes et obligé 140 000 autres à fuir leurs villages.

Selon les chercheurs du C4ADS, les informations postées sur les réseaux sociaux par les proches du groupe extrémiste présentent systématiquement les musulmans comme une menace, même si ces derniers ne représentent qu’environ 5 % de la population du pays. Ces messages s’attachent à démontrer une prétendue immigration illégale en provenance du Bangladesh voisin qui viendrait affaiblir la majorité bouddhiste et alimenter le terrorisme. « Les moines de Ma Ba Tha évoquent régulièrement le cas de Maungdaw, un township proche de la frontière du Bangladesh dans l’Etat de l’Arakan, l’une des rares régions à majorité musulmane de Birmanie. Ils en parlent comme d’un exemple où les bouddhistes sont devenus minoritaires sur leur propre terre », analyse le rapport. Ces discours alarmistes sont renforcés par une lecture de l’histoire selon laquelle les pays bouddhistes tomberaient irrémédiablement aux mains des musulmans, tels l’Indonésie, l’Afghanistan et le Pakistan, et qu’il faut lutter contre cette tendance mondiale.

Un public encore peu au fait des manipulations médiatiques

Ces thèses sont véhiculées par des moyens souvent fallacieux sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, qui est extrêmement populaire en Birmanie. Sticks and Stones évoque de nombreux exemples de montages photographiques mis en ligne par Ma Ba Tha et destinés à tromper l’internaute. Le rapport cite une information partagée sur Facebook en octobre 2012 faisant état d’une saisie d’armes sur le territoire birman, en provenance du Bangladesh. La photographie illustrant le court texte avait en fait été prise en Egypte l’année précédente. Le message a été partagé 42 700 fois jusqu’en octobre dernier. 8 400 internautes ont cliqué « j’aime » après avoir consulté la page en question.

La propagation de fausses informations, souvent insultantes, a parfois précédé des vagues de violence en Birmanie. Elle en a directement entraîné une. En juillet 2014, apparaît sur la Toile une rumeur au sujet du viol d’une femme bouddhiste par deux musulmans à Mandalay, la deuxième ville du pays. U Wirathu diffuse alors sur sa page Facebook le texte suivant : « Ils se rassemblent dans des mosquées de Mandalay sous le prétexte du Ramadan, mais en réalité ils recrutent et ils se préparent au djihad (…). Tous les Birmans doivent être prêts et ne pas tomber dans les pièges de ces musulmans. » Les émeutes à Mandalay ont fait deux morts et une vingtaine de blessés. La rumeur au sujet du viol de la femme bouddhiste était fausse.

Malgré leur grossièreté, ces falsifications et ces raccourcis « sont considérés comme vrais par un public relativement peu critique, qui, après des décennies d’isolement des médias, n’a pas toujours conscience de leur partialité ni des techniques de manipulation des images », relève encore le rapport du C4ADS.

Une défaite dans les urnes, mais des réseaux toujours très actifs

La menace que représenteraient les musulmans pour la souveraineté du pays, la pureté de la race birmane et les valeurs bouddhistes a inspiré la rédaction de quatre lois discriminatoires sur « la protection de la race et de la religion ». Leur adoption l’an dernier constitue la plus grande victoire politique à l’actif de Ma Ba Tha. Le groupe avait lancé une pétition nationale en faveur de ces textes. Il affirmait avoir recueilli plus de quatre millions de signatures, soit près de 8 % de la population du pays. Il dispose de relais efficaces sur la scène politique, y compris au Parlement. D’après le rapport, le parti des anciens militaires, encore au pouvoir jusque fin mars, a souvent laissé le champ libre à Ma Ba Tha, espérant profiter dans les urnes du regain de sentiments nationalistes que les bonzes suscitaient. Les autorités birmanes, politiques et judiciaires, se sont même parfois soumises aux exigences du groupe. En septembre dernier, le gouvernement local de la région de Mandalay a demandé aux musulmans de réduire le nombre de bœufs sacrifiés pour la fête de l’Eid, conformément aux requêtes de Ma Ba Tha, et citant la nécessité de « satisfaire les demandes de la majorité ».

Fort d’une organisation très décentralisée, d’une présence dans les médias traditionnels importante grâce à la publication de journaux bon marché, et de nombreuses contributions bénévoles de ses membres laïcs, Ma Ba Tha a de nombreux ressorts pour continuer à occuper une place de premier plan sur la scène politique. Aux législatives de novembre dernier, le Comité a soutenu le parti des anciens militaires au pouvoir, qui a subi une sévère défaite. Le C4ADS ne voit pas pour autant dans ce résultat électoral un désaveu de Ma Ba Tha de la part de la population birmane, mais davantage une sanction politique infligée aux anciens militaires et un cri d’espoir envoyé à l’opposition.

Les chercheurs concluent que le groupe extrémiste devrait demeurer influent. La Ligue nationale pour la démocratie (LND), qui a remporté les élections, s’est d’ailleurs montrée faible à l’égard de Ma Ba Tha. Elle n’avait présenté aucun candidat musulman aux législatives de novembre dernier pour ne pas froisser les bonzes radicaux. Après le scrutin, U Wirathu n’a pas changé de politique et il a fait preuve de la même détermination. « Si la LND forme un gouvernement et si elle essaie d’amender les lois sur la protection de la race et de la religion, elle devra faire face à Ma Ba Tha », a-t-il prévenu.

(eda/rf)