Eglises d'Asie

Marawi : les combats continuent, les responsables musulmans appellent au dialogue

Publié le 15/06/2017




Plusieurs centaines de morts, 300 000 civils déplacés, intenses combats de rue, bombardements aériens. Les opérations engagées par l’armée philippine à Marawi contre un groupe d’islamistes se revendiquant de Daech sont entrées dans leur quatrième semaine. Dans le Sud philippin, les responsables musulmans appellent au dialogue.

Selon un bilan publié par l’armée philippine ce 15 juin, les combats engagés depuis le 23 mai dernier à Marawi, chef-lieu de la province de Lanao del Sur, à Mindanao, ont fait 290 morts : 206 insurgés islamistes, 58 soldats et 26 civils. Le bilan réel pourrait être bien plus élevé étant donné le nombre de cadavres qui jonchent certaines rues de Marawi et qui ne peuvent être enlevés étant donné l’intensité des combats et l’omniprésence des snipers embusqués. Un bilan qui sera sans doute revu à la hausse à mesure que le temps passe et que les civils pris au piège des combats ou utilisés comme boucliers humains par les insurgés payent un lourd tribut à cette guerre qui se déroule en milieu urbain.

Appel à résoudre le conflit « de manière civilisée »

Dans ce contexte, l’appel lancé le 15 juin par les responsables religieux musulmans et des responsables civils de Mindanao résonne étrangement. « Les activités religieuses et socio-économiques de notre peuple ont été terriblement affectées », a ainsi déclaré en leur nom Abdul Hamidullah Atar, sultan de Marawi, qui a appelé le gouvernement philippin à résoudre ce conflit « de manière civilisée ».

Dans une lettre adressée au président Rodrigo Duterte, Abdul Hamidullah Atar précise que cette crise aurait pu être évitée si « les leaders traditionnels et religieux » avaient été écoutés avant que les hostilités ne soient déclenchées. « Nous aurions pu influencer ces radicaux, mais notre voix n’a jamais été reconnue par le gouvernement », poursuit le sultan dans son courrier. Selon lui, dans cette région du Sud philippin, les « conflits » entre les clans et les tribus de Mindanao sont normalement résolus « en ayant recours aux négociations traditionnelles ». En référence aux hommes du clan Maute qui, semble-t-il, constitue le noyau dur des djihadistes désormais terrés dans une fraction de la ville de Marawi, le sultan écrit encore que « d’une manière ou d’une autre, les radicaux respectent les anciens ». Signée par dix-huit chefs tribaux, la lettre du sultan se termine ainsi : « Nous souhaitons vous dire que la guerre n’est pas une option. Monsieur le Président, nous condamnons tous les actes de terrorisme mais il est nécessaire que vous nous écoutiez. »

De son côté, l’armée philippine met en avant le fait qu’elle combat un groupe ayant fait allégeance à Daech et que la libération de Marawi vise à empêcher l’implantation de l’Etat islamique dans le pays. Face aux critiques émises par les personnes déplacées qui craignent pour leurs proches restés piégés par les combats et soumis aux bombardements aériens mis en œuvre par les militaires, l’armée répond qu’elle agit avec « discernement ». Le 14 juin, le lieutenant général Carlito Galvez, en charge du commandement de Mindanao-Ouest, a ainsi déclaré : « Je suis un homme de paix. Nous ne bombarderons ni ne viserons aucune mosquée. » Il a aussi ajouté : « C’est la raison pour laquelle j’ai plus de cinquante [soldats tués au combat] et 297 autres [blessés au combat] : nos règles d’engagement sont extrêmement restrictives. »

Selon le général Galvez, les djihadistes utilisent les lieux de culte comme base arrière et de repli. Dans cette ville qui comptait plus de 200 000 habitants avant les combats et où les chrétiens étaient moins de cinq pour cent, les « terroristes » ont « tué sans merci des civils désarmés » ; ils ont « profané » la Grande Mosquée de la ville et son Centre islamique en les transformant en base opérationnelle. « Ils ne montrent aucun respect, ils ont détruits des lieux de culte qui sont chers à nos frères musulmans et chrétiens », a ajouté le haut gradé, dans une allusion au fait que dès le 23 mai, jour du début de la tentative d’occupation de la ville par les insurgés, ceux-ci ont profané, puis incendié la cathédrale, prenant en otage un prêtre catholique et une quinzaine de fidèles présents sur les lieux. Des témoignages ont depuis fait état de la chasse aux chrétiens à laquelle se sont livrés les hommes du groupe Maute.

Mobilisation des responsables religieux musulmans

Abdulmuhmin Alyakanie Mujahid, responsable du Darul Ifta, le Conseil de la fatwa de la Région musulmane autonome de Mindanao, a exprimé ses « plus sincères remerciements » à l’armée pour avoir choisi de ne pas bombarder les mosquées. A l’évidence, les responsables religieux musulmans de la région souhaitent afficher leur volonté de se démarquer du groupe Maute et de son affiliation à Daech. « Nous appelons tous les secteurs [de la société] à prendre au sérieux la diffusion du radicalisme et de l’extrémisme religieux », a déclaré le responsable musulman en ajoutant qu’une « guerre idéologique » devait être menée pour prévenir la diffusion d’« idéologies extrémistes » au sein de la Région autonome musulmane de Mindanao.

Alih Aiyub, secrétaire général du Conseil des oulémas des Philippines, est allé dans le même sens en déclarant que les oulémas mettraient en œuvre « des approches multidisciplinaires » afin de contrer l’extrémisme islamique. « Par les prêches dans les mosquées, les oulémas prendront en charge l’aspect spirituel afin de combattre le terrorisme et gagner les cœurs et les esprits de ceux qui se sont radicalisés », a-t-il affirmé. « Ces groupes extrémistes instrumentalisent le credo de l’islam. Nous ne pouvons pas permettre cela et nous ne le permettrons pas », a encore insisté Abdulmuhmin Alyakanie Mujahid, dénotant l’inquiétude des responsables musulmans dans la région face au risque de voir se transformer les combats circonscrits à la seule ville de Marawi en un affrontement généralisé entre musulmans et chrétiens à Mindanao.

Du côté des responsables chrétiens, on perçoit la même volonté de désamorcer tout risque d’un possible embrasement des relations entre chrétiens et musulmans. L’Association des supérieurs majeurs des Philippines a ainsi publié un message le 6 juin pour dénoncer l’imposition de la loi martiale, décrétée dès le 24 mai dernier par le président Duterte. L’Association « déplore les manœuvres malicieuses menées par des individus, des groupes ou des secteurs de la société pour décrire le conflit à Marawi comme une crise religieuse, opposant les musulmans aux chrétiens, alors que la situation est clairement la résultante d’actions terroristes qui ne font preuve d’aucune considération pour la race ou la religion ».

Au 13 juin, les services gouvernementaux philippins décomptait 65 198 familles déplacées par les combats, soit 316 684 personnes très exactement. Si les autorités civiles ont mis en place des infrastructures pour leur venir en aide, l’Eglise catholique s’est elle aussi mobilisée pour nourrir et abriter ces populations, très majoritairement musulmanes, dans un contexte rendu difficile par les prescriptions liées au ramadan. A Iligan, ville à majorité chrétienne située à une quarantaine de kilomètres au nord de Marawi, les bénévoles chrétiens et les membres de l’organisation Rural Missionaries of the Philippines partagent avec les familles musulmanes qui le souhaitent l’iftar, le repas de rupture du jeûne observé lors du ramadan.

A l’heure où nous écrivons, aucune nouvelle n’a filtré quant au sort du P. Teresito ‘Chito’ Soganub. Agé de 56 ans, il a été enlevé en compagnie d’une dizaine de catholiques lorsque les hommes de Maute ont investi la cathédrale de Marawi. Le 30 mai, il est apparu sur une vidéo diffusée par ses ravisseurs. Le 9 juin, un responsable militaire philippin a assuré qu’il était en vie. Mais aucune nouvelle de lui ou des autres otages n’a depuis filtré. Engagé de longue date dans le dialogue avec les musulmans, le P. Soganub est l’un des neuf prêtres que compte la prélature apostolique de Marawi.

(eda/ra)