Eglises d'Asie

Les autorités s’inquiètent de l’apparition sur leur sol de groupuscules revendiquant une affiliation avec l’Etat islamique en Irak et au Levant

Publié le 25/03/2015




Le 23 mars, au petit matin, des unités de lutte anti-terroriste de la police nationale ont mené des raids dans trois localités de la région de Djakarta pour procéder à l’arrestation de cinq personnes soupçonnées de recruter et d’envoyer des volontaires pour aller combattre en Syrie et en Irak …

… aux côtés de l’Etat islamique en Irak et au Levant (Daesh ou ISIS selon l’acronyme anglais).

Selon le quotidien Kompas, il est reproché aux cinq hommes d’avoir aidé au convoyage de 37 Indonésiens en Turquie, pays de transit pour ces voyageurs cherchant à partir en Irak ou en Syrie. Vingt-un de ces Indonésiens seraient parvenus à leurs fins, tandis que les seize autres (un homme, quatre femmes et onze enfants) ont été interceptés par la police turque et sont détenus dans ce pays depuis janvier dernier.

Les autorités indonésiennes s’inquiètent non seulement du nombre de leurs ressortissants qui partent combattre aux côtés de Daesh mais de l’implantation sur leur sol de groupes se revendiquant de cette organisation. Le 22 mars, dans une interview au quotidien japonais Asahi Shimbun, le président indonésien Joko Widodo a annoncé qu’il préparait un « perppu » (Peraturan Pemerintah Pengganti Undang-Undang, décret présidentiel) pour déclarer l’interdiction de Daesh en Indonésie. « Il n’y aura pas de compromis avec l’extrémisme et le radicalisme. Je tiens à souligner que l’islam en Indonésie a toujours été pacifique et tolérant. Par conséquent, les partisans de l’ISIS et les extrémistes seront dissous », a déclaré le président, précisant que ces militants extrémistes étaient « très minoritaires » en Indonésie.

L’ampleur des départs vers le Moyen-Orient est difficile à chiffrer. Selon les données communiquées par la police, 514 Indonésiens sont partis aux côtés de Daesh, dont des femmes et des enfants ; quatre d’entre eux au moins auraient été tués dans des combats. Toutefois, ce chiffre de 514 personnes remonte à la fin 2014. Depuis, plusieurs dizaines d’autres Indonésiens auraient pris le chemin du départ vers le Moyen-Orient.

Un débat existe dans les sphères politiques et policières indonésiennes sur la nécessité de renforcer le dispositif législatif en place pour lutter contre ce phénomène. Certains soulignent que le pays a su faire face à la menace qu’a représentée dans les années 2000 la Jemaah Islamiyah, groupe terroriste actif en Asie du Sud-Est qui revendiquait son affiliation au réseau Al-Qaida et qui, à l’origine, avait été fondé par des djihadistes vétérans de l’Afghanistan. D’autres mettent en avant que les lois en vigueur ne permettent pas de poursuivre les personnes qui font la propagande de l’ISIS en Indonésie. Dans un rapport publié en septembre 2014 par l’IPAC (Institute for Policy Analysis and Conflict), un think tank consacré aux questions sécuritaires, on peut lire : « L’Indonésie a besoin de lois plus fortes pour mettre en œuvre son engagement à combattre l’ISIS. Par exemple, aujourd’hui il n’est pas illégal pour un Indonésien de se rendre à l’étranger afin d’y suivre un entraînement militaire ; or, cela devrait l’être. »

Selon le spécialiste des milieux terroristes Rohan Gunaratna, de l’Université Nanyang, à Singapour, sur 27 groupes islamistes répertoriés en Asie du Sud-Est, 19 ont fait allégeance à l’ISIS. Selon la police, les cinq hommes arrêtés ce 23 mars appartiennent à un groupe lié à l’ISIS fondé par l’idéologue islamiste Aman Abdurrahman. Ce dernier est actuellement détenu dans la prison de haute sécurité de Nusakambangan, située près de Cilacap, dans la province de Java-Centre, mais il aurait profité de sa détention pour traduire de l’arabe en indonésien toute une littérature faisant la propagande de l’ISIS et appelant à la mise en place d’un califat jusqu’en Asie du Sud-Est.

Quelle que soit la réalité de l’influence de ces groupes sur la population musulmane du pays (85 % des 245 millions d’Indonésiens se déclarent musulmans), la perspective de voir les quelques centaines de personnes parties en Irak ou en Syrie revenir en Indonésie pour y perpétrer des actions terroristes inquiète à Djakarta. Le 17 mars dernier, les services de renseignement indonésiens ont déclaré travailler avec le ministère de l’Information et des Communications afin de bloquer sur Internet une vidéo récemment apparue ; dans un courte séquence de deux minutes, ce film montre des enfants, apparemment âgés de moins de 15 ans, s’exprimant en indonésien pour réciter le Coran et maniant des armes automatiques.

Le 19 mars, le chef d’état-major des armées indonésiennes, le général Moeldoko, recevait l’ambassadeur des Etats-Unis à Djakarta, Robert O. Blake. A cette occasion, le chef militaire a annoncé que l’Indonésie et les Etats-Unis travaillaient ensemble pour combattre l’ISIS, qualifiée par lui de menace potentielle pour l’existence même de la République unitaire d’Indonésie, la dénomination officielle du pays. Il a aussi déclaré qu’il était en contact avec les responsables religieux musulmans indonésiens et d’autres responsables de la société civile pour établir un consensus sur le caractère néfaste de l’ISIS. Il a enfin précisé : « Nous sommes décidés à ne pas laisser l’ISIS se développer sur un quelconque point du territoire de l’Indonésie. C’est pourquoi les TNI (les forces armées indonésiennes) vont mener des exercices d’importance significative à Poso car j’ai observé Poso et je ne veux pas que cette région devienne un lieu où l’ISIS se sentirait à l’aise pour s’implanter, en s’appuyant sur le retour de combattants revenus de Syrie et d’Irak. »

Sur l’île de Célèbes (Sulawesi), Poso et sa région ont été le théâtre d’affrontements particulièrement graves entre chrétiens et musulmans, qui ont fait plus de 2 000 morts, entre 1999 et 2001. Les heurts avaient commencé après qu’une organisation musulmane eut diffusé des vidéos montrant des atrocités contre des musulmans aux Moluques, atrocités imputées à des chrétiens. La Jemaah Islamiyah avait été très impliquée dans les combats, avant que des accords soient finalement signés en décembre 2001 et février 2002 et ramènent le calme au sein des différentes communautés religieuses.

(eda/ra)