Aventures missionaire

Au cœur du pays Karen

Publié le 06/12/2018




Maetan est une petite ville frontière au nord-ouest de la Thaïlande. Une rivière nous sépare de la Birmanie et nous sommes entourés par les montagnes, à l’ouest du côté birman, à l’est, les villages karens dont j’ai la charge en tant que curé du secteur. J’ai pris mes fonctions il y a trois semaines, tout d’abord au centre de la mission, puis, peu à peu, dans les villages que je visite.

Le centre de Maetan comprend un pensionnat pour les lycéens de la montagne, qui, n’ayant pas d’école près de chez eux, viennent résider à temps plein ici, accompagnés par une équipe de sœurs (Les Filles de la Croix) et un couple karen. Les jeunes vont étudier à l’école publique de Maetan tous les jours et ils trouvent un complément au centre avec une formation spirituelle et humaine forte. Le gouvernement a ouvert un pensionnat dans la ville, il arrive que certains jeunes de nos centres choisissent d’y aller, les exigences éducatives étant plus fortes chez nous, et un adolescent, karen ou pas, reste un adolescent : pas de téléphone  portable dans le centre, prière quotidienne, travail à la rizière. Mais, les compensations sont nombreuses : sorties, camps avec les autres centres, et visites dans les villages de la montagne certains week-ends.

Le chef chrétien

Il existe dans mon secteur une grande diversité entre les villages. Dans certains, toutes les familles sont catholiques, dans d’autres, on trouve des protestants, des bouddhistes, des animistes. Parfois, la communauté est chrétienne depuis plusieurs décennies, parfois,les premiers baptêmes sonten cours.

Comment s’organise le travail missionnaire dans les villages ? Chaque communauté chrétienne se dote d’un chef chrétien, qui dirige la prière en l’absence du Père. Il y anormalement des catéchistes qui visitent les villages pour la prière dans les maisons et la formation spirituelle des villageois ; ils sont les principaux soutiens du Père. Je dis « normalement » car, en ce qui concerne mon secteur, il n’y en a plus. C’est un handicap très lourd pour moi, car je ne peux pas compenser le travail des catéchistes : parce que je ne peux pas être partout à la fois; mais aussi parce que les catéchistes sont Karens et ils comprennent des choses que je ne peux saisir, mon niveau de Karen étant encore rudimentaire.

La question de l’enseignement

Il existe aussi une barrière sociale et culturelle : les villageois sont extrêmement accueillants, et sont heureux des visites qu’on leur rend mais un village karen est une grande famille qui expose difficilement son linge saleà autrui, tout prêtre qu’il fut.En revanche, un catéchiste ou une sœur karen… Bref, ici la collaboration entre laïcs, prêtres et sœurs est vitale.J’ai donc commencé mes tournées comme je pouvais :parfois accompagné de la Sœur Diane, infirmière dans les montagnes, un volontaire, des anciens catéchistes qui reprennent du service pour l’occasion. Quelle ne fut pas ma joie de découvrir que dans les villages qui me sont affectés, la grande majorité des villageois et chefs chrétiens ne parlent quasiment pas le thaï, je n’utilise quasiment que le karen, que j’ai étudié pendant six mois seulement. Et, comme il s’agit de très jeunes communautés chrétiennes, la questionde l’enseignement est pri-mordiale. Cependant, peu à peu, les villageois prennentconscience de ces défis et je pense que de bonnes volon-tés ne vont pas tarder à se manifester.

Anciens animistes

Parmi les baptisés des dernières décennies, on trouve beaucoup d’animistes : par des sacrifices d’animaux et des offrandes, ils se protègent des esprits des morts qui continuent à hanter une personne, une maison, un champ. J’ai eu beaucoup de difficultés à combler mes lacunes sur le sujet car si l’on interroge un villageois lambda, il ne sait pas grand- chose, si ce n’est la pratique des offrandes qu’il est tenu de faire. Quant à soutirer des informations au sorcier, il me faudra encore de longues années avant de gagner laconfiance de l’un d’entre eux. Il est pourtant indispensablede connaître ce terreau de laculture karen. Je crois quel’Évangile leur parle car c’est une parole simple et profonde. Cependant, la suite du Christ comporte un certain nombre d’exigences que tous ne comprennent pas spontanément malgré leur attirance pour le Christ. C’est là que les choses se corsent de mon côté : pourquoi est-ce qu’on ne peut pas continuer à faire des offrandes aux esprits ? Peut-on être bouddhiste et chrétien en même temps ? Sil’on s’est marié selon la cou- tume, peut-on en épouser une autre à l’église ? Y a-t-ilune tolérance pour l’opiumdans certains cas ? Les conseils de mes confrères et des vieux catéchistes karens sont précieux. Une grande bienveillance et beaucoup de pédagogie s’imposent car une seule parole mal reçue peut détourner tout une famille de l’Évangile. Plusieurs exemples récents illustrent les enjeux spirituels et culturels qui animent notre quotidien. Des moines bouddhistes viennent de finir un Shedi (sanctuaire) dans un village chrétien ; jusque-là tout allait bien. Mais, pour la deuxième fois, ils convoquent tous les villageois pour assister aux offices et faire des offrandes aux moines devant la maison du chef chrétien. Certains chrétiens sont gênés, jeteur réponds qu’ils n’ont aucune obligation légale de leur obéir et qu’ils peuvent rester à la maison. Mais, la réalité est plus complexe : les Karens ont souvent un complexe face aux Thaïs et l’autorité d’un groupe de moines est incontestable.Il leur est culturellement très difficile de tenir tête et les moines bouddhistes ne voient peut-être pas le problème. Je vais donc probablement m’y rendre et discuter avec les moines pour tenter de clarifier les choses, les relations sont bonnes avec les moines karens, gageons qu’il en sera de même avec ceux-là.

Conseils d’anciens

La drogue reprend du terrain dans un village. Tout le monde connaît les consommateurs mais aussi les vendeurs. Ces derniers ont des responsabilités et ils sont chrétiens, ils sont cousins, frères, amis de tous les villageois. Mais, quand j’évoque le sujet, on me répond que c’est triste mais qu’on a peur, qu’on n’y peut rien ; et pas question de faire appel à la police ! Dans cette situation, je fais remarquer que le village est condamné, car les jeunes sont nombreux ce laisser prendre. Silence autour de moi. Je veux bien mettre les pieds dans le plat mais pour quel résultat ? Il y avait autrefois des conseils d’anciens qui servaient de juges dans les villages, il ne semble plus y en avoir dans mon secteur. Pas de solution pour le moment, mais l’Esprit Saint souffle.

Il s’agit certes de défis importants mais ils rendent la mission d’autant plus passionnante. Car, derrière chaque problème se cache un enjeu culturel et spirituel majeur qui me fait connaître le monde karen plus intimement. Et quel bonheur de les connaître ! Merci à chacun pour les prières et le soutien matériel.

Hauts les cœurs !

P. Antoine Meaudre, MEP