P. Emmanuel Kermoal avec des paroissiens de son quartier
Je suis arrivé en Corée comme missionnaire, en septembre 1974. Cela va faire cinquante-et-un ans cette année. Mais je n’ai pas vécu tout ce temps en Corée, ayant été rappelé à Paris deux ou trois fois pour l’animation missionnaire et d’autres travaux. J’ai vécu une bonne quarantaine d’années dans ce pays qui est un peu devenu le mien aujourd’hui.
À Séoul, j’habite dans un quartier ordinaire qui n’est ni très riche ni très pauvre. Les gens que je rencontre dans la rue sont des gens ordinaires. Des sans-grade, mais qui sont tellement humains, tellement humbles, qu’on ne peut que les aimer. C’est sur eux que j’écris ces quelques lignes sans prétention parce que je les aime et qu’eux aussi m’aiment sans doute, même si nous n’employons jamais ce mot lorsque nous nous croisons dans la rue.
Il y a un peu plus d’un an, j’ai été opéré du col du fémur. Après être resté une semaine à l’hôpital, je suis rentré à la maison. Durant deux mois, j’ai dû marcher dans la rue avec un déambulateur. Au début, les gens ont été étonnés de me voir ainsi, marcher avec ce déambulateur. Ils s’arrêtaient et me demandaient : « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? » Et, depuis ce temps-là, dès qu’ils me voient, ils me demandent des nouvelles de ma jambe, de mon fémur, car les petites gens de la rue s’intéressent à notre santé, à notre vie tout court et ils veulent toujours nous aider.
Dans ma rue, il y a aussi ma coiffeuse. Un jour que mes cheveux avaient bien poussé, je suis entré chez cette jeune coiffeuse que je ne connaissais pas. Je ne l’avais jamais vue. Je rentre donc dans sa boutique et je m’assois dans le fauteuil. C’est alors que j’aperçois un petit autel avec une petite croix discrète, un chapelet et une image de la Sainte Vierge. Aussi, je lui ai demandé : « Vous êtes catholique ? » Elle m’a dit : « Oui, je suis catholique et je m’appelle Maria. Je travaille tous les jours, sauf le mercredi qui est mon jour de congé. Je suis de la paroisse d’à-côté. » Je lui ai dit que j’étais prêtre en retraite et nous avons bavardé un petit moment. Au moment de partir, elle m’a fait 50 % de réduction. Je ne voulais pas, mais rien à faire. Ainsi Maria est devenue ma coiffeuse. Les petites gens de la rue ont du cœur pour embellir notre journée.
Lorsque je reviens de la messe à l’hôpital gratuit de la Sainte-Famille, il y a un endroit où je rencontre des personnes âgées, surtout des grands-mères, qui poussent des petites charrettes où elles ont rangé des cartons, des journaux, des morceaux de ferrailles parfois. Cette place est un dépôt où elles entreposent les produits qu’elles ont récoltés. En échange, elles reçoivent quelque argent car ces personnes âgées n’ont pas de retraite. Le gouvernement leur donne une petite somme d’argent qui est loin de subvenir à leurs besoins. Ces cartons, ces journaux et autres, c’est un petit plus qui leur permet peut-être de boucler des fins de mois difficiles. Lorsque je rentre de la messe, je suis heureux de les rencontrer avec leur grand sourire. Elles me demandent toujours d’où je viens et je leur réponds toujours la même chose : « Je viens de célébrer la messe à l’hôpital de la Sainte- Famille. » C’est devenu un peu un rite. Mais, au fond de moi, je les remercie car, grâce àelle, les rues sont propres, les cartons jetés sont ramassés, ainsi que tout ce qui traîne. Les « Petites gens de la rue » savent rendre notre quartier plus beau, plus agréable à vivre. Au fond de moi, je les en remercie.
Dans ma rue, je rencontre encore d’autres personnes qui donnent aussi de la vie au quartier : il y a les enfants qui reviennent de l’école en s’amusant, il y a les livreurs qui ont toujours l’air pressés et fatigués car ils ont beaucoup de colis à livrer, il y a aussi des grands jeunes qui passent et qui, eux aussi, ont l’air pressés, et il y a encore bien d’autres personnes, comme notre voisin qui habite la villa juste en face de chez nous. Il est souvent hors de sa maison, fumant la cigarette et il me salue tout le temps en demandant : « Où allez-vous aujourd’hui ? Couvrez-vous bien car il fait froid. Bonne journée à vous. » Ainsi les petites gens de la rue, mine de rien, savent nous prodiguer de bons conseils.
Il y a quelque temps, c’était encore l’hiver et, une après- midi, il est tombé beaucoup de neige. J’ai laissé la neige tomber et, quand la neige s’est arrêtée de tomber, je suis sorti pour nettoyer le trottoir devant chez nous. J’avais à peine commencé, voilà qu’une jeune femme est arrivée avec ses outils pour déblayer la neige. Je ne la connaissais pas. Elle m’a dit : « Laissez-moi faire. Reposez-vous. Ce sera vite fait. » Malgré mes protestations, elle s’est mise à déblayer la neige avec énergie et, une fois fini, elle est partie avec ses outils et je ne l’ai plus revue. Et je me suis dit : « Les Petites gens de la rue sont parfois étonnants. D’où leur vient cette bonté, cette sympathie qu’il y a en eux, qui les poussent à faire du bien à leurs voisins. »
J’aime bien les « Petites gens de la rue ». Ils sont sans prétention, leur sourire amical nous réchauffe le cœur. Pour moi, qui suis missionnaire en Corée depuis cinquante ans, à travers ces « Petites gens de la rue », je retrouve le visage du Christ qui nous dit : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. »
P. Emmanuel Kermoal, MEP
- P. Emmanuel Kermoal avec des paroissiens de son quartier
- Personnes âgées ramassant les poubelles dans un quartier de Séoul, Corée
CRÉDITS
MEP / E. Kermoal