Aventures missionaire

Dans la jungle avec Kou Sopheap

Publié le 08/06/2022




Dans le cadre d’un programme gouvernemental, le père Will Conquer s’est engagé pour la préservation de la jungle de Prey Lang avec les bonzes locaux et une ONG américaine. Un bel exemple de coopération interreligieuse en faveur de l’environnement.

Le père Will Conquer avec le vénérable Kou Sopheap dans la fôret de Prey Lang

Depuis le début de sa présence au Cambodge, l’Église catholique s’est souciée du bien commun du peuple khmer. Certaines figures comme Mgr Jean-Claude Miche ont pu contribuer à la diplomatie du peuple khmer, d’autres, plus récemment, comme le père François Ponchaud ou Mgr Enrique Figaredo, se sont engagées dans un combat pour la justice et pour la paix, pour aider les Cambodgiens à survivre aux événements tragiques de leur histoire. Ce prophétisme de l’Église catholique au Cambodge continue aujourd’hui. En 1997, la missionnaire catholique sœur Denise recevait le prix Nobel au titre de la campagne menée contre l’usage des mines anti-personnelles qui ont détruit tant de vies au Cambodge. Le monde a changé, et le Cambodge aussi. Si on peut rendre grâce pour la paix qui règne au Cambodge, on ne peut être indifférent à la crise écologique qui n’est pas seulement imminente, mais déjà présente. « Il n’y a rien en ce monde qui nous soit indifférent » (Laudato si’, 2). Le Cambodge est vraiment une merveille de la nature. Depuis bientôt trois ans que je suis arrivé ici, j’admire sa beauté naturelle. Mais, comme beaucoup, je suis préoccupé par l’avenir de ce bel environnement. Cette beauté et sa fragilité se trouvent rassemblées en un lieu qui est devenu un point d’achoppement pour tout un pays. Prey Lang est la dernière grande forêt pluviale de basse altitude sur le continent sud-est asiatique. La forêt couvre environ 5 000 kilomètres carrés et est située à l’ouest du Mékong, dans la partie nord du Cambodge. Elle abrite 250 000 habitants, dont beaucoup appartiennent au peuple autochtone Kuy du Cambodge, ainsi que de nombreuses espèces animales et végétales menacées.

 

Un écrin végétal aujourd’hui menacé

Que pouvons-nous faire pour entretenir la beauté de l’environnement et protéger les ressources naturelles au profit de tous les Cambodgiens ? Depuis plusieurs années, les missionnaires jésuites, et notamment le père Gaby des Philippines, ont participé à la constitution d’un réseau communautaire, le Prey Lang Community Network, pour aider les populations autochtones à se prémunir contre les dangers de la déforestation. Cet engagement au Cambodge n’est pas sans conséquences. Un jeune écologiste, Alejandro Gonzalez-Davidson, de l’ONG Mother Nature, a été condamné, in absentia, pour son engagement virulent en faveur des forêts du Cambodge et est devenu persona non grata dans le Royaume. S’engager pour une telle cause n’est donc pas sans risque au Cambodge.
Le ministère de l’Environne- ment du gouvernement royal a officiellement lancé une campagne de protection de Prey Lang le 22 septembre 2020. Cette campagne de communication, présidée par Sao Sopheap, secrétaire d’État du ministère de l’Environnement, les dirigeants du ministère et d’autres institutions concernées, avait pour but d’inciter à un changement de comportement social des Cambodgiens par rapport à leur forêt primaire.

On entend certains dire avec mépris que les Cambodgiens ne se soucient pas de leur environnement. Le modèle de vie des Cambodgiens, par nécessité due à la pauvreté mais aussi par attachement à la vie simple du village, révèle une sobriété heureuse que les grands esprits d’Occident redécouvrent dans les leçons de bon sens paysan du regretté Pierre Rabhi et dans la permaculture et l’ordinaire sans fioriture de la vie monastique. Pour autant, la pollution, les déchets plastiques, la déforestation ont impacté négativement ici aussi notre environnement. Dans l’esprit de Laudato si’, l’Église catholique a travaillé pendant de nombreuses années pour améliorer la situation. Nous avons un rôle à jouer dans ce changement, et être invité à participer à cette campagne de communication a été une occasion, pour moi, de commencer à poursuivre cette mission.

 

Fratelli tutti en action

Les 28 et 29 septembre 2020, l’Agence de développement et de coopération du gouverne- ment étatsunien (USAID) et le ministère de l’Environnement nous ont invités à poursuivre cette opération de communication avec des bonzes et des jeunes influenceurs cambodgiens. Nous avons pu visiter les activités de protection de la faune de Prey Lang menées directement par les gardes forestiers du sanctuaire de Prey Lang. La campagne visait à promouvoir la protection des forêts, la conservation de la biodiversité et la gestion des ressources. Le vénérable Kou Sopheap, véritable maître spirituel du Cambodge avec quatre millions de likes sur Facebook pour une population qui en compte seize, nous accompagnait avec d’autres bonzes de son entourage. Le ministère de l’Environnement, en collaboration avec l’USAID, des jeunes influenceurs du Cambodge, des bonzes et un prêtre : nous étions tous différents mais rassemblés pour protéger ensemble Prey Lang. Pour moi, ce fut une expérience merveilleuse. Je ne m’attendais pas à camper dans la jungle du Cambodge ! Je ne m’attendais pas à rire sous la pluie avec tous ces bonzes ! Je ne m’attendais pas à m’asseoir et à discuter avec eux du sens de notre vie. Est-ce de cette fraternité et de ce dialogue que le pape François nous parle dans Fratelli tutti ? Je crois.

 

Evangelii Gaudium dans l’espoir

Pourquoi les organisateurs voudraient-ils inviter des religieux comme Kou Sopheap et moi ? Bien sûr, Kou Sopheap est une célébrité. Mais pourquoi Sopheap voudrait-il partager des photos de nous deux lors de cet événement pour protéger notre environnement ? Pourquoi 60 000 personnes ont aimé cette photo sur Facebook ? La religion a sans doute quelque chose à dire sur la protection de l’environnement. Et, à le dire ensemble, ce message ne peut être que plus fort, même si les motivations peuvent être différentes. Le vénérable Kou Sopheap disait, lors d’un de nos échanges : « Quand il y a beaucoup de forêt, on n’a pas si chaud. À l’ère bouddhiste, le Bouddha est né dans la forêt, l’Illumination a eu lieu dans la forêt, le Nirvana dans la forêt aussi, et, quand le Bouddha a instruit les moines, il les a introduits dans la forêt, car la forêt est une beauté naturelle qui aide à calmer et le corps et l’esprit. » Je suis entièrement d’accord. Et moi de lui répondre, comme chrétien : « Je crois dans l’évangile de la Création. Dieu ne nous a pas créés pour la peur, qu’elle soit de l’enfer ou du changement climatique, mais pour le bonheur éternel. La conversion écologique doit avoir son premier moteur dans l’amour, un amour qui vient de la gratitude pour le Dieu créateur qui nous a donné la terre en partage. » Pour Kou Sopheap, aimer la terre, c’est s’aimer soi-même. Ainsi que les habitants de Pailin ont été victimes des pires épidémies de malaria après des décennies de déforestation et d’exploitation minière, ainsi nous devons penser que, pour nous protéger nous-mêmes, il faut protéger notre environnement. Protégeons-nous les uns les autres, avais-je envie de lui répondre.

La campagne de communication lancée par l’ambassade américaine a été fermée, pour différentes raisons. La menace sur Prey Lang est toujours là. Tout cela n’était-il qu’une vaste opération de communication par green-washing sur les réseaux ? Pour certains peut-être, mais pour nous deux, certainement pas. Nos échanges et notre amitié continuent. Récemment, à l’occasion d’une visite fraternelle dans sa pagode, au sud de Phnom Penh, nous sommes allés ensemble à la rencontre des jeunes, profitant de la fraîcheur à l’ombre des arbres plantés par les moines, afin de les encourager à prendre soin de ce bel environnement. Nos échanges vont se poursuivre, avec l’espoir d’aller bientôt à Rome ensemble, et à Assise, à la grâce de Dieu. Les missionnaires d’hier étaient des botanistes. Le père Jean-François Soulié, qui a donné son nom à plusieurs plantes, était un prêtre et missionnaire de notre Société au XIXe siècle. Dans l’esprit de saint François d’Assise, il aimait la nature. Il protégeait l’environnement avant que ce soit la mode. Sa mission botaniste était l’occasion et le prétexte de contacts privilégiés avec la population locale et la communauté scientifique. Qu’il soit un exemple pour nous ! Au XIXe siècle, certains missionnaires étaient botanistes. Au XXIe siècle, de nouveaux missionnaires pourraient être des écologistes.

 

P. Will Conquer, MEP

 


CRÉDITS

W. Conquer