Inauguration d’une chapelle de brousse en mai 2025. Au centre, le père Gabriel.
Après sept années d’envoi en mission à Madagascar, quel est votre lieu de mission actuel et vos activités ?
Depuis février 2024, je suis vicaire de la paroisse Sainte Famille, dans la petite ville de Mandritsara, dans le nord-est de Madagascar. Notre paroisse dessert une petite soixantaine de villages éparpillés, dans lesquels une petite communauté chrétienne naissante se rassemble régulièrement pour prier. Le travail est immense à tous les niveaux : apprendre à prier et témoigner de l’Évangile de Jésus-Christ, enseigner, éduquer, accompagner les milliers et milliers de villageois de brousse qui sont les grands oubliés à Madagascar. Ni l’État, ni les ONG, ni les différentes Églises chrétiennes ne se préoccupent vraiment d’eux. Accès à l’eau potable, santé, écoles, pistes et chemins, agriculture, infrastructures… tant de chantiers passionnants qui pourraient, chacun d’eux, vous occuper pour toute une vie.
Par où commencer ? Comment travailler ? Sur quelles personnes s’appuyer ? Et sur quelle structure ?
Nous sommes un peu obligés de toucher à tout, lorsque nous sommes en mission. Il faut « se démerder », comme ils disent ici, en malgachisant l’expression bien française : « Mila mi-demerde isika ! » Ce que je préfère, c’est de pouvoir partir en brousse dans ces villages éloignés, isolés. Très souvent, nous partons avec une petite équipe de chrétiens. À pied, généralement. Et chaque instant de ces tour- nées est une aventure, une rencontre avec la providence en personne !
Face aux difficultés structurelles et culturelles de l’île, comment faire avancer la jeunesse vers un avenir meilleur ?
Nous ne manquons ni d’espérance ni de courage, mais nous sommes un peu dépassés. L’Église même est dépassée. Il y a énormément de jeunes et les cellules familiales sont souvent déstructurées, brisées. Les antennes 4G pullulent jusque dans les lieux les plus reculés, les réseaux sociaux bombardent leur flux d’informations et d’images. C’est très violent pour ces jeunes de brousse qui n’ont rien. L’éducation dans les écoles est limitée. Les anciens et les parents ont de moins en moins d’autorité et semblent, parfois, baisser les bras. Les jeunes voient très souvent leur avenir bouché, sans débouchés.
Alors, que faire ?
Il y a une grande vitalité, une force immense chez les jeunes que je côtoie. Et, en même temps, plus dissimulée, une grande souffrance. Je souffre de voir que l’Église ne réussit pas à les accom- pagner comme ils devraient l’être. Mais comment faire ? Comment ? Avec si peu demoyens. Assurément, la providence – elle encore – le sait bien mieux que nous. Souvent, la prière est notre meilleure solution. Car prier, c’est reconnaître ses limites et, surtout, reconnaître que Dieu est bon et qu’il règne sur le monde.
Comment, de façon plus générale, se poursuit la mission MEP à Madagascar ?
Notre réunion entre confrères MEP dans l’océan Indien vient de se terminer. Nous avons beaucoup échangé sur nos missions, nos défis et les chantiers qui nous attendent. Nous sommes parfois un peu déboussolés car les prêtres, les religieux et les religieuses sont nombreux et font, souvent, un bon travail dans nos diocèses de mission. Alors, nous nous demandons où est notre place. Mais, lorsque nous sommes les deux pieds et les deux mains dans la mission, nous comprenons que nous avons tous notre place et toute notre place. Il faut apprendre à travailler avec l’Église locale, surtout sans perdre notre originalité et notre esprit missionnaire de défricheurs.
Après avoir mené le chantier de la mosaïque de la Divine Miséricorde, quels sont vos nouveaux chantiers et projets ?
Le grand projet de la mosaïque sur le sanctuaire de Port-Bergé a été le déclencheur d’un superbe projet encore plus grand. Quelques jeunes, qui se sont formés pour cette première mosaïque, ont désiré poursuivre l’aventure de création et de réalisation artistique au service de la mission de l’Église, pour annoncer l’Évangile. Le petit atelier Mandrakizay, installé à Antananarivo, a pour vocation d’évangéliser avec ses mains, grâce aux œuvres qu’il réalise. Des peintures, des mosaïques, des petits vitraux, etc. Rien de grandiose, beaucoup d’incompétence, mais, dans un si grand pays qui découvre depuis peu la force de l’image, il faut que l’art prenne, petit à petit, sa juste place. Et pas n’importe quel art : celui qui se réalise dans la patience, dans la maîtrise de belles techniques, dans l’amour du travail bien fait. Tant de grands défis que je veux transmettre aux quelques jeunes qui se forment dans cet atelier et qui, je l’espère, pourront, un jour, trouver leur voie et faire entendre leur voix et, ainsi, toucher des âmes par le travail de leurs mains. Quel plus grand cadeau pourrais-je espérer transmettre à la jeunesse malgache ? Décidément, la providence sait ce qu’elle fait.
Propos du P. Gabriel de Lépinau, recueillis par la rédaction
- Tournée en brousse dans la région de Mandritsara
- Inauguration d’une chapelle de brousse en mai 2025. Au centre, le père Gabriel.
CRÉDITS
E. Frécon / MEP