Aventures missionaire

La culture locale au service de l’interreligieux

Publié le 29/05/2019




Le Père Agustinus Handi, né le 26 août 1980, et ordonné prêtre le 23 juillet 2008, est curé de la paroisse Saint-Michel, à Gombong, dans le diocèse de Purwokerto. Avec sa troupe de théâtre de marionnettes « Hamangun Sih », il œuvre au rapprochement entre les personnes de différentes religions.

Dans le diocèse de Purwokerto à Java Centre, comme dans la plupart en Indonésie, les chrétiens sont très minoritaires. Nous vivons avec les croyants d’autres religions, surtout musulmans. Les chrétiens et les musulmans ont des bonnes relations. Malheureusement, depuis quelques années, cette relation harmonieuse se détériore face à la montée de l’intolérance et des fondamentalistes musulmans. Bien que très minoritaire, cette frange radicale est active sur les terrains politique et média- tique. Si bien que beaucoup de chrétiens, à cause de leur mauvaise expérience, en viennent à douter de la pertinence du dialogue islamo-chrétien.

Malgré la montée de ces actes d’intolérance de la part des musulmans, l’Église persiste dans son dialogue avec les musulmans. Loin d’être envisagée comme un obstacle, cette situation pousse l’Église en Indonésie à prendre conscience que le dialogue est, plus que jamais, une nécessité, voire, une urgence. Il ne s’agit pas d’imaginer que les chrétiens sont obligés de dialoguer avec les musulmans pour exister. Ce dialogue est urgent, en premier lieu, parce qu’il fait partie de la mission de l’Église entant que sacrement du Royaume de Dieu. L’Église est en train d’accomplir sa mission quand elle travaille avec d’autres à la construction du Royaume de Dieu dans le sens de la justice, de la paix, de la réconciliation et de la fraternité et ce, entre tous les hommes.

Enjeux existentiels

Étant donné l’urgence du dialogue, l’Église catholique cherche des moyens pour construire la relation avec d’autres fidèles, surtout avec les musulmans. Le dialogue que l’Église développe n’est pas un dialogue entre religions ou institutions, mais entre des personnes qui appartiennent à des religions différentes et reconnaissent leur égale dignité humaine. Le dialogue est une rencontre qui devient parole, où il y a un respect et une écoute réciproques, et qui comporte des enjeux existentiels. Ce n’est ni une négociation sur le contenu de la foi, ni un débat où on chercherait à marquer des points, ni une tentative de convertir l’autre. C’est une attitude profonde marquée par le désir de rencontrer l’autre dans sa différence. Pour un chrétien, elle s’enracine dans sa foi en Dieu qui a pris lui-même l’initiative du dialogue avec l’humanité. Construire ce type de dialogue n’est pas tâche facile. Mais, nous avons des points de départ qui peuvent nous aider.

L’un d’entre eux, c’est la culture locale. En effet, les chrétiens, les musulmans et toutes les autres religions dans notre région partagent la même racine culturelle. Il s’agit de la culture javanaise influencée par l’hindouisme. Cette culture peut servir le dialogue interreligieux.

Théâtre d’ombres

Le Père Agustinus Handi Setyanto, un prêtre du diocèse Purwokerto, a saisi cette opportunité. Il se sert de cet art pour bâtir le dialogue avec les non chrétiens et, en même temps, pour annoncer l’Évangile. Il forme un groupe, ou plutôt une communauté, de Wayang kulit. Le « Wayang » ou théâtre d’ombres est un spectacle populaire en Indonésie, surtout à Java. Le mot « Wayang » signifie « ombre ». Sur l’île de Java se sont développées plusieurs variantes du théâtre d’ombres. La forme la plus populaire est celle du Wayang Kulit Purwa originaire du centre de Java. Les marionnettes sont généralement fabriquées à partir d’une peau de buffle montée sur des bâtons de corne. Elles sont manipulées par le dalang, le maître marionnettiste, qui joue avec la lumière pour moduler les ombres de ses figures. Les spectacles de Wayang Kulit Purwa sont invariablement basés sur les adaptations des épopées indiennes sanskrites, le Mahabharata et le Ramayana.

Dans ce groupe, le Père Handi joue le rôle du maître marionnettiste (dalang). Le dalang est à la fois le conteur, le chef d’orchestre (Gamelan), le porte-voix de tous les protagonistes et le marionnettiste. Le dalang doit donc connaître les techniques manuelles et vocales qui lui permettront de faire vivre ses marionnettes. Le dalang doit ensuite maitriser l’orchestre javanais (gamelan) puisqu’il est le chef d’orchestre. Un spectacle de wayang kulit est porté par de la musique javanaise (gamelan) ainsi que des chanteuses. La particularité du wayang du Père Handi se trouve dans l’histoire que présente le dalang (i.e. Père Handi). Il se sert du wayang comme d’un moyen pour catéchiser. Au lieu de raconter l’histoire de l’épopée du Ramayana ou Mahabarata, le Père Handi utilise le wayang pour présenter les récits bibliques. Les marionnettes du Père Handi sont des personnages bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le Père Handi n’est pas le premier à avoir eu cette idée. Ce type de wayang existe déjà depuis quelques décennies.

On l’appelle « wayang wahyu ». Le mot wahyu signifie « révélation ». Wayang wahyu est donc wayang qui interprète l’histoire biblique (révélation).

Bien que le Wayang soit un outil de catéchisme, la plupart des membres de sa communauté sont des musulmans. Les membres de son équipe, musiciens et chanteurs, ne sont pas des professionnels mais des amateurs. Ce sont des voisins et des voisines du presbytère de la paroisse du Père Handi.

Construire la charité

Sa paroisse possède des instruments du gamelan. Amateur de cette musique traditionnelle, le Père Handi a invité les riverains à apprendre à jouer du gamelan. Ils ont ensuite formé un groupe d’orchestre auquel il a donné le nom « hamangun sih », un nom javanais qui signifie « construire la charité ». La relation avec les non chrétiens se tisse et, indirectement, le dialogue interreligieux s’établit.

Un autre dialogue s’est construit entre le Père Handi et les artistes qui dessinent les marionnettes. Le Père Handi a commandé la confection des marionnettes des personnages bibliques.

C’était une première : comment dessiner Jésus, Marie, Moïse, Abraham, la Croix, en style wayang javanais ? Or, les artisans sont majoritairement non chrétiens. Pour y arriver, des discussions ont lieu entre les peintres et le Père Handi. Avant de créer les marionnettes, les artisans doivent connaître les épisodes de leur vie. Les échanges portent sur l’aspect esthétique et artistique des marionnettes. Mais, indirectement, les discussions sont aussi d’ordre théologique, les marionnettes doivent montrer le physique du personnage, mais également, à travers son physique, son caractère. Père Handi a dû expliquer  le caractère de ces personnages de manière détaillée. C’est sur cette base que les artisans réalisent les marionnettes.

Depuis son premier spectacle, il y a dix ans, le groupe du Père Handi a joué plusieurs fois dans la plupart des paroisses du diocèse et ailleurs. Les non chrétiens savent bien que le wayang wahyu est un catéchisme, pourtant, il y a beaucoup de spectateurs non chrétiens qui assistent aux représentations et les apprécient. Les membres de la troupe qui ne sont pas chrétiens ne voient pas, eux non plus, d’obstacle à prendre part à cette collaboration. Même s’ils ne se convertissent pas pour autant au christianisme, ils peuvent ensuite donner des témoignages parmi leurs proches de leur relation avec les chrétiens.

À première vue, le travail du Père Handi avec son groupe de wayang Wahyu n’a pas une importance décisive pour le dialogue interreligieux national. Mais, il peut être une source d’inspiration grâce à la manière dont il utilise la culture javanaise pour bâtir la relation entre les membres des différentes confessions.

Par le Père Bagyo Purwosantosa, ancien prêtre étudiant aux MEP