En arrivant au Japon, je me suis senti dans une société impénétrable et autoréférentielle. Ses citoyens y assument leur place dans un cadre méticuleusement organisé, où chacun semble, au moins apparemment, trouver sa fierté dans le rôle qui lui est assigné et qui contribue au bon fonctionnement du « tout ». Mais derrière cette solide façade, le pays est menacé dans son existence même, notamment sur le plan démographique. Avec un taux de natalité parmi les plus bas au monde et un âge moyen de la population très élevé – 48,6 ans, le plus haut au monde –, le pays perd désormais presque un million d’habitants par an.
Vie publique et vie privée
Prêtre en formation au Japon, je constate une dichotomie dans la vie, notamment des jeunes adultes. Entre la vie publique, à l’université ou au travail où l’on participe avec responsabilité et dévouement à la construction de la société, et la vie privée, lieu d’une satisfaction affective, de plus en plus recherchée de manière mécanique et individualiste, par la consommation d’expériences numériques qui se substituent au monde réel, le fossé est énorme. Les progrès de la « réalité augmentée » et du « métavers » sont tels que, dans un futur proche, il est possible que beaucoup de personnes soient appelées à répondre à la question : pourquoi choisir de vivre dans le monde réel ?
L’Église demeure dans cette réalité
L’Église au Japon se tient debout face à cette question, non pas à force d’arguments mais par sa réalité : celle d’une expérience non « virtualisable », qui ne peut pas être saisie et déplacée en bloc dans l’univers numérique. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20) ; « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui » (Jn 6, 56), affirme Jésus, en faisant de ces deux événements, dont on a du mal à en penser de plus concrets, les deux racines de la relation avec lui. L’Église demeure dans cette réalité puisqu’elle est la seule réalité créée par Dieu, la seule porteuse d’une complexité infinie et d’une infinité d’expériences humaines, chacune unique et irremplaçable, dans lesquelles la voix du Sauveur peut parler aux êtres humains de tout temps et lieu. Tout comme le terme ousia, en grec, la parole « réalité » cache, dans son étymologie, une référence au « bien », à la « richesse ». Cette richesse repose sur l’imprévu, ce qui se passe hors de l’horizon de l’imagination et des projets humains, et qui est divin précisément parce qu’il les excède. Il en fut ainsi au début du ministère public de Jésus, avec une poignée de pêcheurs absorbés par leur travail et appelés abruptement par un Maître inconnu à le suivre. Il en demeure ainsi maintenant.
P. Luca Benzo, MEP
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