Jean Moriceau, 93 ans, était de passage en France au mois d’avril pour être soigné d’une mauvaise chute. Mais pas question pour lui de rester ici, il compte bien être de retour en Indonésie pour l’ordination sacerdotale de six jeunesdiacres indonésiens.
Son lieu de mission se trouve au sud-ouest de l’île de Sumatra, en Indonésie. La grande province de Bengkulu compte seulement deux paroisses : celle de Bengkulu, qui couvre six départements et s’étend sur 563 kilomètres de long, va bientôt être divisée en deux paroisses distinctes et celle, plus petite, de Curup dont il fut longtemps le seul curé.
Le Père Jean Moriceau vit aujourd’hui retiré à Sindang, un petit village à trente kilo- mètres au sud-est de Curup le chef-lieu du district. C’est un village de montagne qui culmine à 1 000 mètres et fait partie de la chaîne montagneuse Bukit Barisan qui s’étend d’un bout à l’autre de l’île de Sumatra. Il est construit sur les contre- forts est de la « Bukit (col- line) Kaba » un volcan en veilleuse depuis des dizaines ou des centaines de milliers d’années.
L’interreligieux au quotidien
Le village de Sindang est peuplé très majoritairement de familles migrantes d’origine javanaises installées à partir des années 1950. L’église est à quarante mètres de la mosquée qui se trouve en contrebas.
Le village compte 137 familles chrétiennes, 712 familles musulmanes et 49 familles bouddhistes. Le Père Moriceau qui connaît si bien les habitants de son village a parfaitement les chiffres en tête, dans ce pays où par ailleurs la religion de chacun est inscrite sur sa carte d’identité, même si cette mention obligatoire a été levée depuis peu.
Il souligne la bonne entente entre habitants des différentes confessions. Cette harmonie se manifeste dans les événements de la vie – mariages, naissances, décès – comme dans la vie de tous les jours. Tout le monde est invité et tout le monde aide aux préparatifs des fêtes : décoration, cuisine, construction d’abris en bambous qui serviront pour la réception.
Les trois grandes fêtes religieuses, l’Idul Fitri qui marque la fin du jeûne du Ramadan pour les musulmans, la fête du Waisak pour les bouddhistes et Pâques pour les chrétiens, sont célébrées dans les lieux de culte respectifs pendant plusieurs jours. À ces occasions, toutes les familles se rendent visite : « À la fin du Ramadan, tous les chrétiens vont chez les musulmans et à Pâques, les musulmans vont chez les chrétiens ». Les enfants parcourent le village s’arrêtant quelques minutes dans chaque maison pour manger des friandises. « C’est vraiment la fête, dit-il, avec beaucoup de convivialité et de joie vécues dans le respect mutuel. Les festivités qui entourent la célébration de Pâques sont exceptionnelles à Sindang ». Le Père Moriceau reçoit lui-même les habitants du village dont beaucoup de musulmans chez lui chaque année à Pâques.
Si cette harmonie du quotidien est bien réelle, il y a par- fois des tensions au sujet des mariages mixtes. « La question du mariage est toujours très critique, admet le Père Jean, si on n’est pas de la même religion, le mariage ne sera pas reconnu au civil ». La loi indonésienne ne reconnaît pas les mariages entre les membres des différentes confessions. Lorsque la question se pose, l’un des conjoints doit se convertir à la religion de l’autre. Cela rend l’acceptation de ces mariages plus difficile pour les familles. « Certains musulmans ont le courage de se couper de leur milieu traditionnel pour épouser un chrétien ou une chrétienne, mais cela reste un gros problème » regrette-t-il.
Il lui arrive de baptiser des adultes à l’occasion de leur mariage : « Avant, il y avait des musulmans qui devenaient chrétiens, mais c’est moins fréquent aujourd’hui, sauf dans les grandes villes où il est plus facile de se convertir ».
Le dynamisme chrétien
« Le 7 janvier a été célé- bré le 50e anniversaire de la paroisse de Curup où je suis resté plus de 39 ans ! » sou- rit le Père Jean. Pour l’occasion, il y avait là sept prêtres diocésains (dont trois sont originaires de l’île de Flores) ainsi que les six diacres qui vont être ordonnés prêtres à l’église Saint-Joseph et douze religieuses indonésiennes membres de la Congrégation des Sœurs de Jeanne Delanoue qui se trouvent à Sindang. « Quand j’étais à Curup, j’étais le seul prêtre pour toute la paroisse », précise-t-il. Quand il est arrivé en 1976 dans le diocèse de Palembang, il n’y avait aucun prêtre diocésain indonésien. Aujourd’hui, Palembang est devenu un archidiocèse qui va bientôt compter quarante-deux prêtres locaux et il y en a quarante dans le diocèse voisin de Tanjung Karang qui correspond à la province du Lampung. « Vous savez, un des buts des Missions Étrangères de Paris est de former un clergé local » rappelle-t-il. La mission semble pleinement réussie, aujourd’hui, le clergé local a entièrement remplacé
les missionnaires étrangers. Cette recrudescence rapide des vocations a entraîné des besoins nouveaux. En 1997, son évêque lui avait demandé de bâtir un centre dédié aux
retraites et à la formation des chrétiens de la région : « Avec l’aide des MEP, nous avons fait à Sindang une maison pour des récollections, des retraites, des sessions, des conseils paroissiaux des réunions de novices et de séminaristes. On y réunit tous les mois les prêtres des onze paroisses des deux provinces de Bengkulu et de Jambi. Ce projet était devenu absolu- ment nécessaire. » Le centre de récollections de Sindang tourne maintenant à plein régime.
Toujours enthousiaste en détaillant les festivités qui vont entourer les ordinations et toutes les activités du centre de récollection, le Père Jean Moriceau s’apprête à repartir pour ce coin d’Indonésie qu’il nomme lui-même « un petit paradis ».