Aventures missionaire

Les jeunes Japonais dans le monde du travail

Publié le 09/11/2018




Par le P. Pierre Perrard, MEP

Chez les jeunes Japonais au travail, rien n’est comme « chez nous » ! Ici, on vit pour travailler, pour se donner un rôle dans la société,
un objectif de vie et se fondre dans la société. Ce que l’on sait moins, c’est que beaucoup de Japonais aiment être débordés.

Yukio, 30 ans, marié, un enfant, travaille dans une entreprise de construction, comme responsable d’une petite équipe d’électriciens. Il rentre à la maison à 10 heures du soir. Au Japon, pour ceux qui ont un emploi régulier (CDI en France), 10 heures du soir, c’est normal. C’est l’heure où le mari rentre à la maison. Et encore, c’est souvent 11 heures du soir ou 1 heure du matin. Parfois, il ne rentre pas du tout.

Comment s’occuper des enfants ? La femme et les enfants dormant à son retour. C’est le quotidien de beaucoup de familles. La famille souffre d’un père souvent absent, débordé de travail. Comment venir à la paroisse, ou participer à une réunion, dans ces conditions ? C’est impossible ou alors il faut une bonne dose de motivation. « Débordé de travail » est une expression qui légitime tout, les retards à une réunion, le non-respect d’une promesse de rendez- vous. Pour ce motif, tout est permis et pardonnable. La grande différence entre les Français et les Japonais, c’est une différence de mentalité, de culture. Le rapport au travail est différent, les priorités sont différentes. En France, on travaille surtout pour vivre, pour se payer des vacances et prendre du bon temps. Selon mon expérience, je peux affirmer que le travail représente la priorité absolue des Japonais. Bien avant le couple et la famille. Pour eux, c’est avant tout une source de fierté, d’épanouissement. Le travail les définit, leur donne une identité.

Il est très mal vu de quitter son lieu de travail le premier. Mais puisqu’il faut forcément un premier, il existe une expression spéciale pour s’excuser: « O-saki ni shitsurei-shimasu,お先に失礼します » (je suis vraiment navré de partir avant tout le monde). Cette situation donne ainsi lieu à des concours absurdes de « celui qui partira le plus tard », juste pour montrer toute sa dévotion envers l’entreprise.

À part l’épuisement des employés, la vie privée est reléguée au second plan. Pour les hommes, cette dévotion au travail est aussi leur façon d’assumer leur rôle du « chef de famille ».

Celui qui ramène l’argent pour faire vivre son petit monde, quitte à ne jamais voir son épouse ou ses enfants – ou juste quand ils dorment, remplit sa mission – l’honneur est sauf… le reste importe peu.

40 % des jeunes Japonais vivent dans la précarité

La protection sociale au Japon ne prend en charge que ceux qui payent, mais un jeune qui ne gagne que 130 000 yens par mois (1 000 €) et doit subvenir à ses besoins, peut-il payer 14 000 yens (113 €) de cotisation? Ceci n’est pas le fait de quelques individus en marge : auparavant, les hommes bénéficiaient d’un emploi stable. Maintenant plus de 40 % de la population active est en contrat précaire. Les écarts de salaires entre contractuels ou intérimaires et salariés à temps plein peuvent aller du simple au double. Pour les plus démunis il existe un système équivalent au RSA : 1,6 % seulement de la population en bénéficie, en raison des difficultés rencontrées pour y accéder.

La semaine de travail de 100 heures, ça existe au Japon

« Burnout » en français. « Karoshi » en japonais. Ces maladies très contemporaines existent bel et bien dans les deux pays, mais il semble qu’au Japon la dimension soit légèrement différente. Quitter le bureau un lundi matin à 3 heures du matin pour y retourner vers 7 heures après avoir pris une douche et bénéficié de quelques heures de sommeil, (d’autant que cela laisse supposer que l’on ait travaillé le dimanche, forcément) ça ressemble à un cliché mais il s’agit pourtant de la triste réalité.

Yukio affirme ne pas avoir eu le choix : « Si j’ai un travail à faire et que je peux le finir en huit heures, alors je peux partir. Si je ne peux pas, je dois rester ». La situation de Yukio n’est pas rare: le Japon est le pays des heures supplémentaires (souvent non payées). Yukio a dû aller à l’hôpital pour une opération de l’estomac. Je suis allé lui rendre visite et je suis tombé sur un de ses chefs, venu lui rendre visite aussi. Le chef lui demandait de revenir au plus vite au travail. Je crois que Yukio n’a pas pris tous les jours de convalescence autorisés. Il a fait aussi par la suite, une dépression nerveuse. Il n’arrivait plus à dormir. « Je suis devenu si fatigué, disait-il, aussi bien physiquement que mentalement que je pleurais sans raison, sans savoir pourquoi mes larmes coulaient ». Pour beaucoup de salariés japonais, ces heures supplémentaires (souvent non payées) sont considérées comme un devoir, comme le sacrifice de soi, où la performance de l’entreprise est mise au-dessus de l’individu lui-même.

Des solutions politiques

Le gouvernement japonais a décidé de lutter contre ce fléau des longues heures de travail, en préparant une loi pour « forcer » les travail-leurs à prendre cinq jours de congé minimum par an. Si elle est votée, la loi n’entrera cependant en vigueur que l’an prochain. La nouvelle loi ne concerne toutefois pas les salariés à temps partiel.

Au Japon, les travailleurs ont en principe 20 jours de congés payés par an, s’ils ont au moins six ans et demi d’ancienneté. Toutefois, moins de la moitié de l’ensemble des vacances sont prises par les salariés.

La réputation de « besogneux » des Japonais n’est pas un mythe. Nombreux sont les salariés qui culpabilisent à l’idée de s’absenter de leur entreprise, redoutant d’être perçus comme « celui qui se repose en laissant trimer les autres à sa place ». Ces conditions de vie changent sous la pression des relations internationales, mais très lentement, les mentalités aussi changent mais c’est encore plus lent. Les jeux olympiques de 2020, à Tokyo, pourraient avoir un effet bénéfique. Ne pas perdre la face en regard de tous ces visiteurs étrangers qui prennent leurs jours de congé pourrait être un ressort puissant de changement. Marcel Kauss, dans son article parle des « dépen  dants de l’alcool » et des « drogués ». On pourrait parler, ici, des « drogués de travail ».