Aventures missionaire

Tha Rae, berceau et refuge des pères MEP persécutés

Publié le 14/02/2024




Moins connu en France que les fameux villages karens, Tha Rae demeure un lieu célèbre pour les missionnaires MEP en Thaïlande. Ce village de 10 000 habitants, où Claire et Paul-Amaury ont été envoyés, respectivement en juillet et août 2023, abrite, en effet, la plus grande communauté catholique du pays.
En mission avec les Soeurs de la Charité

En mission avec les Soeurs de la Charité

 

L’histoire rocambolesque de ce village de pêcheurs établi au nord d’un des plus grands lacs de la région est étroitement liée à celle des MEP. En effet, au début de la mission au Laos et au Siam à la fin du XIXe siècle, les pères MEP Guego et Prodhomme fondent à Sakhon Nakhon – la grande ville au sud du lac – une communauté catholique rassemblant émigrés vietnamiens, marginaux et esclaves affranchis. Pour des raisons politiques, les autorités de Sakhon Nakhon voient d’un mauvais oeil l’émergence de cette communauté et interdisent tout contact entre les fidèles locaux et les prêtres français. S’ensuivent des persécutions, puis les catholiques décident, au mois de novembre 1884, de prendre le large. Une nuit, démantelant les planches de leurs maisons en bois, ils assemblent des radeaux et traversent les onze kilomètres qui les séparent de la rive nord du lac. C’est là qu’ils fondent le village de Tha Rae en y construisant immédiatement une chapelle en l’honneur de saint Michel Archange. Cent cinquante ans plus tard, cette chapelle est devenue la cathédrale Saint-Michel de Tha Rae et sa forme élancée comme la proue d’un navire rappelle aux habitants l’histoire de leurs origines. Soucieux de prendre soin de cette communauté prometteuse qui comptait, en 1885, quelque 150 catholiques et environ 700 catéchumènes, les MEP envoient à Tha Rae un jeune prêtre de 23 ans, Joseph Combourieu. Celui-ci, tout droit arrivé de son Cantal natal, restera à Tha Rae jusqu’à sa mort en 1939, occupant à la fois le rôle de prêtre, d’urbaniste et de chef du village. Évidemment, le père Combourieu est devenu une légende locale et sa photo figure en bonne place à l’école de Tha Rae, où nous enseignons.

 

Avec les soeurs de Saint-Paul de Chartres

Notre mission, qui renoue avec la présence des MEP dans ce diocèse, nous permet d’imaginer l’étonnement qu’ont vécu nos glorieux prédécesseurs. En effet, dès notre arrivée, nous sommes plongés dans le bouillonnement de ce microcosme catholique en terre bouddhiste. Les soeurs de Saint-Paul de Chartres, qui nous accueillent, ont pris soin de nous présenter à la quasi-totalité du clergé local, en expliquant fièrement que nous venons des Missions Étrangères de Paris. Après cinq mois à rencontrer des ecclésiastiques du diocèse et de tout ordre confondu – Dominicains, Rédemptoristes, Capucines, Amantes de la Croix, etc. – nous commençons enfin à nous repérer dans la complexité de l’Église ici. Souvent, en apercevant les croix que nous portons autour du coup, les taquineries vont bon train : « Pourquoi n’es-tu pas au séminaire ? As-tu pensé à la vocation de religieuse ? » Autant de questions que les Thaïs n’ont pas peur d’aborder en public, mettant un grand coup de simplicité dans des questions que nous tendons, en bon Français, à examiner avec des pincettes.

Il faut dire que le sentiment d’appartenance à une communauté est très fort ici, car la foi catholique dans ce pays implique de renoncer à un bouddhisme teinté d’animisme, omniprésent. Bien que les vocations consacrées déclinent ici comme ailleurs, le petit séminaire compte des dizaines de membres et la plupart des religieuses que nous rencontrons s’occupent de cohortes de novices. Dans toutes les maisons chrétiennes que nous visitons, un portrait de la Vierge Marie trône au-dessus de la porte, accompagné parfois du pape ou de l’évêque, ainsi que de la famille royale si importante en Thaïlande. Le coeur de notre mission, cependant, n’est pas la visite du diocèse mais l’enseignement à l’école Saint-Joseph de Tha Rae. Dans cette institution privée catholique gérée par les soeurs de Saint-Paul de Chartres, nous enseignons l’anglais et le français aux quelque huit cents élèves. C’est une grande chance d’être en binôme, car nous ne sommes pas trop de deux pour comprendre le fonctionnement de cette grosse école au milieu des rizières, où nous travaillons aux côtés d’une soixantaine de professeurs thaïs et philippins. Après les cours, nous passons nos soirées avec la quarantaine de pensionnaires, alternant entre leçons d’anglais et jeu de cartes.

 

Soeur Stella

Impossible de décrire notre mission sans vous parler de notre légendaire partenaire locale. « Masoeur », comme on l’appelle ici, qui s’est battue pendant des mois contre la bureaucratie thaïlandaise pour accueillir à l’école les deux volontaires MEP que nous sommes. Native de la région, elle possède, du haut de ses 79 ans, une énergie débordante qu’elle met depuis longtemps au service de l’éducation. Grâce à l’attention maternelle qu’elle nous porte, aucun jour en mission ne se ressemble. Par exemple, un soir, après avoir prié ensemble les vêpres en français, la voilà qui nous demande simplement de diriger la chorale de Noël de l’école. Rien de moins que le plus grand spectacle de l’année à Tha Rae. Bien embarrassés, car nous n’avons ni l’un ni l’autre d’expérience en la matière, nous avons relevé le défi. Vingt jours plus tard, nous chantions Il est né le divin enfant devant la foule thaïe curieuse de voir deux jeunes farang intégrés Soeur Stella de l’école Saint-Joseph de Tha Rae. à ce festival régional.

 

Paul-Amaury Brault et Claire Arnal, volontaires MEP

 


CRÉDITS

C. Arnal