Aventures missionaire

Toute crise contient en germe une opportunité

Publié le 23/10/2020




L’épidémie de Covid-19 a bouleversé le quotidien du Père Gérald Vogin et celui de ses paroissiens. Nouvelle organisation, utilisation des réseaux sociaux, publication d’une revue, réunion en petits groupes… L’Église cambodgienne s’adapte.
revue MEP Cambodge

En petit groupe à Ko Andaeuk, août 2020

La littérature sur le Covid-19 remplit nos téléphones, nos télévisions et nos publications. Ce petit virus a imposé son pouvoir sur l’homme ! Il a pour ainsi dire touché toutes nos réalités qu’elles soient sanitaires, sociales, économiques, culturelles, religieuses et que sais-je encore… Beaucoup voudraient faire de cette crise une occasion pour changer de paradigme et vivre autrement, avec plus de relationnel, plus d’écologie, plus de spiritualité. La question du sens de l’existence est posée. Mais plus certainement, l’inertie étant la marque de notre faiblesse inhérente, nous repartirons de plus belle, « comme en 14 », par les chemins que nous avons toujours connus. Néanmoins, pour quelques-uns d’entre nous, cela peut devenir une opportunité, non pas une calamité subie mais la possibilité de poser un choix libre. De fait, à Ko Andaeuk et à Neak Loeung, le visage de l’Église a changé. Je voudrais donc vous parler de notre vie ici, et bien sûr, je ne peux le faire sans évoquer comment cette pandémie nous a affectés.

 

De nouvelles habitudes

Le 16 mars le gouvernement du Cambodge a ordonné la suspension immédiate de toutes les activités publiques dans les écoles, les bars et les restaurants, ainsi que tous les grands rassemblements festifs ou religieux. Les étrangers, principaux vecteurs du virus dans le pays, ont été priés de s’auto-confiner, ce qu’ils ont en général fait bien volontiers, d’autant plus que les gens étaient effrayés par notre présence. Cependant il faut préciser tout de suite que l’épidémie n’a pas frappé ce pays comme partout ailleurs : environ 200 cas ont été recensés (juillet 2020) et il n’y a pas eu de décès. Mais quoi qu’il en soit, l’impact psychologique sur la population a bouleversé la façon dont je vivais ainsi que mes habitudes. La première chose que j’ai faite a été de bien organiser mon emploi du temps quotidien, hebdomadaire et mensuel. J’ai une chance inouïe, celle de vivre dans une petite fraternité avec une catéchiste chevronnée (Line), un étudiant en terminale (Vissal), une grand-mère (Chantha), un volontaire français (Paul) et un garde pour la nuit. Chaque jour nous avons de moments de prière en plus de la messe, du travail manuel (jardin, bricolage, peinture, etc.) et du travail intellectuel (j’en ai profité pour finir une traduction du livre de Frère Roger, La Source de Taizé, et mettre au propre un cours sur saint Marc, soit 200 pages quand même) ! Les jeunes ont, quant à eux, étudié sur Internet (e-learning). Une autre activité entièrement nouvelle pour moi et pour beaucoup de mes paroissiens plus âgés a été de nous mettre aux médias sociaux et à leurs outils : apprendre à utiliser Facebook, Messenger, WhatsApp, KineMaster, à faire des directs, à gérer des comptes, à faire des vidéos pour le suivi des liturgies (pascales par exemple), poster des commentaires bibliques tous les jours, notamment pour catéchiser à distance les catéchumènes qui doivent se préparer pour leur baptême (soit 35 personnes pour mes paroisses sans compter les petits enfants). Une fois de temps en temps, pendant le carême, nous avons arrangé une retraite en silence complet (sans téléphone !) avec même un repas jeûné. Finalement, sur le plan occupationnel, c’est plutôt réussi !

 

Dieu laisse carte blanche à la nature

Intérieurement ce n’est pas toujours facile. On se dit que si l’épidémie vient, la mort peut être une possibilité à envisager… Dans quelques jours, on ne sera plus là ! Il y a aussi l’inquiétude de transmettre le virus à ses proches. Et puis la peur que si l’économie s’effondre, le pays s’enfonce dans le chaos, l’insécurité et l’anarchie. Il y a enfin cette question lancinante pour beaucoup : « Pourquoi Dieu a-t-il créé le virus Corona ? »Le scandale du mal, encore une fois. Ma réponse est celle-ci. Au septième jour de la Création, Dieu se retire du monde… On comprend d’abord que Dieu laisse à l’homme sa liberté et sa responsabilité. C’est lui qui doit continuer à gérer la Terre et l’Univers, à les entretenir, et à y préserver la vie en eux. L’homme devient lieutenant de Dieu, c’est-à-dire tenant lieu de Dieu ! Et la nature ? Je crois que c’est un peu la même chose. Dieu, après l’avoir créée, lui laisse carte blanche pour son évolution, elle est libre aussi. Bien sûr l’homme et la nature sont parties prenantes, l’un dans l’autre, et les abus de l’un (son péché) ne sont pas sans conséquences sur l’autre. Mais si Dieu se retire, cela ne veut pas dire qu’il reste impassible. Au contraire, Jésus étant devenu un avec l’homme dans sa chair, tout ce qui touche l’homme et la Création touche Dieu parallèlement.

 

Dieu se manifeste de trois manières

La vie de mes paroisses a beaucoup changé. Les gens ne peuvent plus venir à l’église ni participer aux liturgies. Or il se trouve que l’eucharistie est pour ainsi dire la seule activité par laquelle la plupart des chrétiens pouvaient se ressourcer, creuser leur foi et approfondir leur relation avec le Seigneur. Aussi sommes-nous en train d’essayer plusieurs voies pour renouveler notre façon d’être et donc permettre à tous d’avoir accès aux trésors de la foi. L’Évangile nous rappelle les trois lieux de la présence réelle du Seigneur que sont l’eucharistie mais, tout aussi importants, l’écoute de la Parole de Dieu et la communion des frères (et sœurs !) dans une même Église.

 

Partager autrement

Très rapidement, quand on a vu que les choses allaient durer, on a commencé par distribuer les livres de messe aux gens pour qu’ils puissent avoir des supports pour leur prière. Pour la lecture quotidienne de la Parole de Dieu, nos lectionnaires sont d’une utilisation beaucoup trop compliquée. Les anciens ne sont pas à l’aise non plus avec les smartphones (complexité des manœuvres, petitesse des formats de police). Comment faire pour que la Parole rejoigne les gens en plus grand nombre ? En mai donc, nous avons commencé à éditer un bulletin du même genre que les revues Prions en Église ou Magnificat pour donner à tous l’occasion de lire l’Écriture. Ainsi pour chaque jour, il y a le texte de l’Évangile, une méditation ou des questions et une courte oraison. Nous le publions en khmer et en vietnamien. Le travail de composition est assez long puisqu’il faut rassembler les textes et les prières puis les traduire. Diffuser des vidéos de messes, aussi belles soient-elles, n’est qu’un pis-aller, un sérum pour maintenir une survie artificielle ! Il vaut mieux des petites célébrations ensemble chez soi, en y mettant tout son cœur à prier le Seigneur.

 

Faire communauté

Le deuxième problème majeur est de maintenir un esprit communautaire dans l’Église. Non seulement chacun doit faire un effort pour prier personnellement mais aussi en famille ou en voisinage. Comme je le rappelle plus haut, on a tendance à oublier le « sacrement du frère ». Saint Vincent de Paul rappelait à ses sœurs que de l’eucharistie au pauvre, c’était toujours le même Christ qui se manifestait et qu’elles servaient. Aussi nous avons divisé notre grande assemblée en petites communautés. À Ko Andaeuk, nous avons pu faire six groupes de six ou sept personnes par village. À Neak Loeung, c’était plus compliqué car il a fallu faire 43 groupes de trois à sept familles. Ceci nous permet de respecter les consignes du gouvernement visant à éviter les grands rassemblements et, bien sûr, c’est le moyen de vivre une certaine proximité ou convivialité qui n’existait pas auparavant. Chaque groupe est pris en charge par un coordinateur. Il se réunit une fois par semaine et peut suivre pour cela le programme fixé par le bulletin mensuel. Nous sommes encore en phase d’essai. Espérons que les chrétiens comprennent le sens de cette démarche et y adhèrent avec sincérité !

 

Institution d’un groupe d’acolytes

Enfin, en ce qui concerne la communion au Corps du Christ, c’est elle qui manque le plus aux catholiques ! Aussi délaissent-ils les deux autres que sont la Parole et la communauté ecclésiale. J’espère que le Covid-19 nous donnera cette chance de découvrir Jésus vivant, non seulement sous les espèces du Pain et du Vin mais aussi sa Parole proclamée et de son Corps rassemblé en son Église. Pour distribuer la communion, nous avons institué un groupe d’acolytes qui reçoivent cette mission de l’Église paroissiale (avec l’accord de notre administrateur apostolique, le Père Bruno Cosme). C’est très touchant de voir avec quelle dévotion ils accomplissent leur charge. Chacun est responsable pour cinq à dix groupes en fonction du terrain. Le but est d’essayer d’atteindre tout le monde au moins une fois par mois.

Pour ce qui est de moi, je vais célébrer la messe dans les maisons le soir vers 18h30, au moment de la veillée (en général autour de la télévision !), c’est-à-dire après que tous soient rentrés du travail, lavés et rassasiés (les enfants surtout), la télé éteinte. Un ou deux groupes peuvent s’y joindre en veillant que les participants ne soient pas trop nombreux. J’aimerais tant qu’ils découvrent que la messe est un tout, et pas seulement un rite ennuyant au cours duquel on patiente avant de recevoir enfin le Pain de Vie ! Chaque crise est une opportunité. Elle nous enjoint d’être créatifs. J’espère pouvoir continuer sur cette lancée pendant quelque temps afin de créer un esprit nouveau dans les paroisses, de renouveler la foi des chrétiens pour qu’ils perçoivent entre autres la richesse sacramentelle de la vie en Église. Ainsi, cette année de la Parole aura finalement produit des fruits inespérés…

 

P. Gérald Vogin , MEP

 

 


CRÉDITS

G. Vogin