Extrait de l’homélie du père Emmanuel Kermoal, missionnaire MEP en Corée du Sud.
A l’occasion des 50 ans de sacerdoce des pères Michel RONCIN (23 juin 1973), François GLORY (30 juin 1973), Gérard ADAM (30 juin 1973) et Emmanuel KERMOAL (1er juillet 1973).
Chapelle de l’Epihanie,
le dimanche 4 juin 2023
Nous célébrons aujourd’hui la fête de la Sainte Trinité et en même temps, Michel, François, Gérard et moi-même nous célébrons nos 50 ans de sacerdoce. Cela tombe bien et juste. Le mystère de Dieu Trinité c’est le visage de Dieu parmi nous : un Dieu qui est communauté d’amour, Père, Fils et Esprit Saint. Ce Dieu d’amour a accompagné son Peuple dans le désert Il a partage ses peines et ses joies. Ce Dieu a été un compagnon, proche de son peuple « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous. » Nous 4 ici présents, durant ses 50 ans, avons aussi essayé d’être des compagnons des personnes qui ont croisé nos routes durant tout ce temps. Nous ne sommes pas des héros, nous n’avons rien fait d’extraordinaire, nous sommes des pécheurs comme vous tous, mais avoir été des compagnons avec tous ces gens rencontres, cela nous suffit.
Je voudrais revenir avec vous sur cette notion de compagnon, de compagnonnage et pour cela il nous faut revenir à l’Evangile. Car Jésus a été un formidable compagnon pour ses douze apôtres et ses nombreux disciples. En fait Jésus c’est le grand compagnon de nos vies. Rappelons-nous comment il a choisi ses apôtres qui étaient d’humbles pécheurs de Galilée. Il leur a dit simplement en les appelant à sa suite : ” venez et voyez “. C’est tout, pas de baratin. Et pendant de courtes années Jésus a formé ses disciples en marchant avec eux sur la route, en discutant avec eux et des débats ils en ont eu. Rappelons-nous, sur le chemin d’Emmaüs, après sa résurrection, Jésus marche un bout de chemin avec ses disciples. Il s’intéresse à leurs questions, à leur quotidien, et il les formés en leur expliquant les Ecritures. Et un jour Jésus a appelé ses disciples ses « amis »
Jésus a été un formidable compagnon pour ses douze apôtres même si cela s’est plutôt mal terminé, car au pied de la croix, seul Jean était présent avec quelques femmes courageuses. Tous les autres, pris par la peur étaient absents et le chef des apôtres, Pierre avait renié son maître trois fois. Comme quoi nous les humains nous ne pouvons jamais être sûrs que la réussite sera au rendez-vous.
Pour nous quatre ici présent cette figure du compagnon dont Jésus nous montre le visage dans l’Evangile nous semble importante aujourd’hui. Un compagnon c’est quelqu’un qui n’est ni devant ni derrière, ce n’est pas quelqu’un qui est au-dessus des autres ni en-dessous, mais c’est quelqu’un qui marche avec l’autre, qui est à ses côtés durant les moments difficiles et les moments où ça va mieux
Aujourd’hui, quelques jeunes prêtres de la nouvelle génération, et il y en aussi aux MEP, voudraient regarder plutôt vers le passé, avant même Vatican II, revenir au latin. Nous quatre, nous ne nous situation pas ainsi. Nous sommes les héritiers de Vatican II qui a dépoussiéré l’Eglise de ses vieux oripeaux.
Nous nous définissons comme des compagnons de tous ceux que nous rencontrons, qu’ils soient chrétiens ou non. Devenir compagnons de ceux que nous rencontrons, c’est aussi accepter que tous ces gens deviennent aussi nos compagnons à nous. Cette figure du prêtre comme compagnon nous a évité le cléricalisme, qui considère le prêtre comme ayant un pouvoir, qui se croit mis à part pour pouvoir dominer les autres. Ce cléricalisme a fait beaucoup de mal à notre Eglise. Nous nous situons résolument comme des compagnons de service, à égalité avec les gens que nous rencontrons et avec qui nous avons essayé de témoigner de la bonne nouvelle durant ces 50 ans et avec qui nous avons aussi construits des communautés chrétiennes : François c’est ce qu’il a fait avec ses compagnons des communautés de base dans la forêt amazonienne. Michel, Gérard et moi même, c’est que nous avons essayé aussi de faire à la mission ouvrière au Japon et en Corée. Notre vie missionnaire n’est pas un exemple de réussite ou de succès, mais nous sommes heureux d’être devenus des compagnons avec toutes ces personnes qui ont traversé nos vies et ces personnes sont aussi devenues pour nous des compagnons et nous ont aidé à vivre pleinement notre sacerdoce.
Pour finir, je voudrais vous citer quelques phrases de ces gens que nous avons accompagnés et qui nous ont aussi accompagnés durant ma vie missionnaire.
Il y a tout d’abord mon père qui m’a dit avant d’être ordonné. ; » Manu, tu vas être ordonné prêtre, alors n’oublie jamais ceci : Reste fidèle à ton engagement de prêtre jusqu’au bout. Si tu n’arrives pas à rester fidèle, ne reviens pas à la maison. La porte sera fermée pour toi. » Ce fut un coup rude, difficile à accepter. Mais cet avertissement de mon père à rester fidèle à mon engagement de prêtre m’a aidé au milieu des tentations qui ont pu traverser ma vie.
Voici ce que m’a dit maman « Manu, tu vas devenir prêtre. C’est très bien. Mais n’oublie jamais ceci : N’humilie jamais les gens qui viendront vers toi. N’humilie jamais personne, surtout les pauvres qui viendront vers toi. Car moi un jour j’ai été humilié par un prêtre. J’ai été humilié devant toute une assemblée par ce prêtre simplement parce que j’étais pauvre. Jamais, non, jamais n’humilie les pauvres qui viendront vers toi. » Ce conseil de maman m’a accompagné toute ma vie missionnaire,
Maria, jeune jociste travaillait dans une usine de textiles à Séoul 15-16 heures par jour. Avec ses compagnes de travail, elles sont allées un jour voir leur patron et elles lui ont dit : « Monsieur, À partir d’aujourd’hui nous refusons de travailler plus de 8heures par jour. Parce que la loi nous le permet. Nous ne sommes pas des esclaves. Après le travail, nous avons une autre vie : vie de famille, vie avec les amis, vie sociale. » Le patron les a écoutées et il les a mises toutes à la porte. Le témoignage de cette jociste est resté gravé en moi. Ces jeunes ont payé le prix fort pour défendre la dignité des travailleuses du textile. Cet engagement fort c’est l’Evangile en action. Ce fut pour moi un compagnonnage fort.
Et pour finir, je vous raconte ce qui m’est arrivé le premier jour où je suis arrivé sur la décharge publique de Séoul pour y travailler avec les plus pauvres de la société. Celui qui allait devenir mon copain, mon ami, mon compagnon, Changsu, bouddhiste, dont le bras gauche avait été arraché par une presse, m’a dit ceci alors que je prenais mon premier repas avec lui dans le restaurant minable situé sur la décharge. Fatigué, j’ai commencé à manger sans penser a rien, et voilà que mon compagnon me dit : « Hé. He, mon père. Tu n’as pas oublié quelque chose ? » Je lui réponds « Non, non, je ne sais pas ce que j’ai oublié. » Et il me dit en faisant un signe de croix : « Tu as oublié ça ? Tu as oublié de faire ta prière avant le repas, un prêtre doit prier avant le repas » Et voilà, ce cher compagnon de misère et de bonheur m’a rappelé que moi, prêtre, je devais toujours prier. Prier avant le repas. Priez toujours. Devenir compagnon, c’est aussi cela, c’est accepter d’être accompagné par les petits et les humbles qui nous entourent. Voilà ce que nous célébrons avec vous en ce jour de nos 50 ans de sacerdoce.
Priez pour nous. Amen
CRÉDITS
MEP