La Cérémonie d’envoi en mission à travers les siècles

Publié le 06/08/2018




Dans la chapelle du 128 rue du Bac, le passant pourra contempler un immense tableau, intitulé « Le départ des missionnaires ». Exposé au Salon de 1868, et signé Charles de Coubertin, on y voit un rite propre à la cérémonie de l’envoi telle qu’elle existait pendant au moins deux siècles – du milieu du XVIIIe jusqu’au milieu du XXe siècle à peu près. En référence à la parole du Prophète Isaïe (LII, 7 : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds du messager qui proclame la paix, qui annonce de bonnes nouvelles, qui proclame le salut ! »), la tradition des Missions Etrangères voulait en effet que les Partants – comme on les appelait – reçoivent de la part de tous les présents un baiser sur les pieds.

 

Le départ des Missionnaires

 

Nous possédons ainsi le témoignage de Jacques Chastan, en 1827. Cet aspirant, tout juste arrivé du séminaire de Digne – et futur saint martyr de Corée – raconte :
« Deux de nos confrères sont partis, il y a quelques jours, sur un vaisseau qui va à Pondichéry, lieu de leur destination. Nous assistâmes, la veille de leur départ, à la touchante cérémonie du baisement des pieds. Si elle avait lieu dans le séminaire, je suis persuadé qu’un grand nombre de séminaristes s’empresserait d’éprouver les saints transports qu’elle fait naître dans ceux qui s’attendent à partager dans peu le bonheur de ces envoyés de Dieu, qu’on contemple avec admiration, disant un éternel adieu à la Patrie. Nous les accompagnâmes jusqu’à la voiture et, en les embrassant, il n’y en avait aucun, parmi nous, qui ne désirât être parmi eux ».

L’impact émotionnel de cette cérémonie, typique des Missions Etrangères, est toujours sensible, en 1983, dans la mémoire d’un autre missionnaire, Christian Simonnet, parti pour le Tonkin en 1939 :
« La cérémonie MEP par excellence était le Départ, dont le baisement des pieds constituait le rite essentiel. Mais, à partir de 1852, quelque chose s’y ajouta : le ‘Chant du départ pour les missionnaires du Séminaire des Missions Etrangères’, sur une musique de M. Ch. Gounod. Ah ! quand on se tenait debout sur les marches du maître-autel, la tête dans les nuées, les yeux un peu embués, qu’on voyait s’approcher et se prosterner devant nous nos supérieurs, et qu’on entendait l’orgue préluder sèchement la première mesure : ‘Partez, hérauts de la Bonne Nouvelle…’, pas de doute : on sentait un petit courant froid vous descendre le long de la moelle épinière… ».

Avec le temps, le cérémonial va s’enrichir, surtout après l’annonce de la mort des premiers martyrs du Vietnam et de Corée entre 1833 et 1839. Vers 1844 est ainsi construit l’oratoire dédié à la Vierge, au fond du jardin de la rue du Bac. Il deviendra un lieu de prière avant le départ – comme pour se mettre sous la protection de ceux qui, avant, sont déjà partis.

Outre les adieux déchirants avec une famille que bien souvent il était peu probable de revoir un jour, les adieux entre camarades des MEP étaient tout aussi douloureux et poignants. C’est ainsi que le jeune Just de Bretenières, futur martyr de Corée lui aussi, pouvait écrire en 1862 que « la charité fraternelle unit et rattache tellement les uns aux autres tous les aspirants, que la séparation occasionnée par chaque départ est beaucoup plus pénible au cœur, et coûte beaucoup plus, qu’il n’en a coûté à chacun de nous pour quitter sa ville natale et ses parents ». Chacun quittait un frère de vocation, sans aucune assurance de le revoir un jour.

Une idée plus claire encore demeure de ce que devait être la cérémonie du départ sous le supériorat de Mgr de Guébriant, entre 1921 et 1935. Un peu avant trois heures de l’après-midi, les Partants, à l’appel d’une cloche chinoise, se réunissaient au fond du jardin, devant l’oratoire de la Sainte Vierge, pour y chanter le Magnificat, cantique de reconnaissance pour l’insigne grâce de la vocation apostolique. Puis, afin d’obtenir un bon voyage, l’Ave Maris Stella. Après quoi ils se rendaient à la chapelle où la foule des parents et des amis les attendait. C’est durant la cérémonie, entre exhortations et prières, qu’avait lieu le baisement des pieds. Après s’être agenouillés devant Mgr de Guébriant et reçu de lui une affectueuse et paternelle bénédiction, les Partants se rangeaient debout sur le premier degré de l’autel, et les rôles s’inversaient : Mgr s’avançait seul, baisant les pieds de chacun et leur donnant l’accolade. Tous ensuite, directeurs de séminaire, aspirants, amis, famille, défilent ainsi – pendant souvent plus d’une heure. Dans le silence ému et fort de la chapelle du 128 retentissait alors le Chant du départ, comme un ultime envoi de la part du peuple chrétien de France à leurs frères d’Asie : « Partez, Hérauts de la Bonne Nouvelle ! ». Le soir venu, après le dernier repas pris avec la communauté, les Partants se rendaient une dernière fois à la Chapelle pour prier ensemble. Leurs voitures les attendaient à la sortie, dans la cour d’entrée… pour l’Asie.

La tradition de la cérémonie du départ, ultime rite de passage de la vocation missionnaire, se continuera jusqu’au XXe siècle. Elle disparaîtra dans les années 1960 – principalement en raison de la diminution des envois, le grandiloquent d’une telle cérémonie nécessitant une certaine « masse critique ».

Cette cérémonie du baisement des pieds a donc disparu. Elle accompagnait, à l’époque, tout un langage entre séminaristes des MEP, tourné tout entier vers le départ et la mission. Ainsi se souhaitait-on d’ « avoir la pipe, la barbe et le bateau » : les symboles du départ. « L’appel à la barbe » autorisait en effet, avec accord du Supérieur, les séminaristes en fin de formation à laisser pousser leur pelage. Les photos qu’il nous reste des missionnaires des temps passés semblent bien montrer qu’ils ne le quittaient plus.

(d’après un article de Thibault Autric pour la Revue des Missions Etrangères N°530 de Septembre 2017)

 

 


CRÉDITS

Le 08 septembre prochain, 3 missionnaires seront envoyés à vie, à Taïwan, en Inde et à Madagascar. Si la cérémonie d’envoi se fera dans une joie sobre, sans retour à des traditions maintenant disparues, quelques éléments peuvent néanmoins être rappelés concernant ladite « cérémonie de l’envoi » : une manière d’en comprendre un peu mieux l’esprit qui, au-delà des rites parfois envolés, demeure.