Saint Pierre Dumoulin-Borie

Il étudia tout d’abord au collège de Beaulieu, puis au Petit Séminaire à Servières où il tomba malade et déclara : « Si Dieu me fait grâce de me guérir, je le servirai tout de bon ! ». Ce qui se réalisera ensuite, et il décida de devenir missionnaire, décision rejetée catégoriquement par son père, puis médecin et trappiste : refus tout aussi catégorique.

Il entra donc au Grand Séminaire, à Tulle, tout en avertissant son père que rien ne pourra l’empêcher de suivre sa voie « fut-ce même aux missions étrangères ».

Son zèle missionnaire le conduisit, durant les vacances d’été, à visiter une octogénaire malade et qui avait congédié le curé du lieu auparavant. L’abbé Borie se présenta à elle, munie d’une bouteille de vin blanc, et cela marqua le début d’une série de rencontres qui la conduisirent à redécouvrir le Christ et à quitter ce monde réconciliée avec son curé. Démarche inhabituelle que de se présenter une bouteille à la main auprès d’une malade, mais c’est bien ce zèle qui caractérisera le jeune missionnaire dans ses pérégrinations en Extrême-Orient.

L’année suivante, il du préparer son père à la mort, et lors de son engagement définitif, le jour de son ordination au sous-diaconat, une épreuve supplémentaire se présenta à lui : il s’agissait de convaincre sa mère du bien-fondé de sa décision de partir pour les missions. Finalement, laissant une lettre d’adieu, Pierre Borie quitta sa maison de nuit.

Le 8 octobre 1829, l’abbé Borie arriva au Séminaire des Missions Etrangères, à Paris, et passa une année de formation et de longues discussions avec sa mère qui voulait toujours le dissuader de poursuivre son cheminement. En 1830, lors des émeutes à Paris, il faillit se faire lyncher entouré par la foule qui le prenait pour un Suisse, mais son accent le sauva.

Pierre Borie, diacre, partit pour le Tonkin le 2 novembre 1830 mais avant cela, il fut ordonné prêtre le 21 novembre 1830 et embarqua, le 1er décembre, au Havre, sur « La France » à destination de Macao. Son périple le mena au Cap de Bonne-Espérance, à l’île de France (Maurice), à l’île Bourbon (La Réunion), à Batavia (Djakarta) avant d’arriver à Singapour et d’embarquer sur un navire anglais qui déposa ses passagers le 18 juillet 1831, où Borie fut accueilli par le père Legrégeois, procureur des missions.

De là, Pierre Borie fut envoyé au Tonkin et écrit au supérieur du petit séminaire de Servières : « C’est la plus florissante de nos missions. Elle compte 200 000 chrétiens, 800 religieuses, 80 prêtres indigènes, 1 200 catéchistes ; mais il n’y a que 7 prêtres européens. Que je suis impatient d’aller partager leurs fatigues ! ». Son enthousiasme et sa détermination allaient lui être nécessaires, car le père Legrégeois ne manqua pas de lui donner de bonnes nouvelles de toutes les missions, sauf de celles du Tonkin et de Cochinchine, dont le nouvel empereur, Minh Mang, luttait contre le christianisme. Comme il était interdit aux étrangers de débarquer sur le territoire de l’empire, les nouveaux missionnaires devaient s’en remettre aux contrebandiers chinois. Attendant une occasion d’entrer dans le pays, Borie embarqua à destination de la Cochinchine début 1832.

Les deux royaumes de Cochinchine et du Tonkin avaient été réunis, au début du siècle, en un empire : le Vietnam. Les vastes rizières et la majorité de la population se trouvaient aux deux extrémités : delta du Mékong et delta du fleuve Rouge, à 1 600 kilomètres les unes des autres, reliées par le couloir annamitique resserré entre les montagnes et la mer, peu cultivé et peu peuplé ; et au milieu du couloir, la capitale impériale, Huê.

Début février, Pierre Borie débarqua à Saigon où il fut l’hôte du Père Cuenot pendant près de deux mois en attendant une occasion pour se rendre au Tonkin. Notons qu’en Basse Cochinchine, le vice-roi n’appliquait pas les consignes de l’empereur à l’encontre des chrétiens. Ainsi, Borie embarqua pour la quatrième fois, remonta toute la côte de Cochinchine, dépassa Huê, et débarqua au sud du Tonkin le 15 mai 1832, dix-huit mois après avoir quitté la France !

Aussitôt informé de son arrivée par le Père Masson, l’évêque, Mgr Havard, lui demanda de rester dans la partie sud, là où se déroulera sa vie missionnaire. Puis, Pierre Borie se mit à apprendre la langue et la culture du pays. Cette partie méridionale comptait 58 000 chrétiens, dont 24 000 à Nghe-an, 16 500 à Ha-tinh et 17 500 à Bo-chinh.

Alors que la paix était de mise depuis trente ans, le 6 janvier 1833, l’empereur Minh Mang publia l’édit de persécution générale. C’est alors que commença la période de camouflage des chrétiens, d’errance et de changements de résidences pour les prêtres d’origine étrangère.

Après plusieurs semaines de vie cachée, Pierre Borie décida de risquer un passage de l’autre côté des montagnes, vers un royaume appelé le Laos… des « terrae incognitae » en blanc sur les cartes. Mais l’abbé Borie dû se rendre à l’évidence du danger d’une telle entreprise et il revint sur ses pas.

Au fil des semaines, les mandarins devinrent moins enclins à appliquer l’édit de l’empereur et, moyennant quelques arrangements, il fut à nouveau possible pour les missionnaires d’exercer un ministère. C’est alors que Pierre Borie se vit confier le district le plus méridional du Tonkin, à la frontière de la Cochinchine.

Deux dysenteries plus tard, les mandarins s’inquiétaient de ce que pouvait être découvert les « arrangements » à l’égard des missionnaires. De plus, dans le district de Borie, des chrétiens furent roués de coups, et un prêtre tonkinois, le Père Tuy, subit le martyre. Borie lui-même échappa à l’arrestation car dénoncé pour quelques pièces d’argent, mais l’affaire fut étouffée moyennant un autre « arrangement » de la part d’un non-chrétien aisé.

Huit jours après le martyre du Père Tuy, on apprit celui de Gagelin. Ainsi, un prêtre vietnamien et un missionnaire venaient de tomber coup sur coup. Gagelin avait été étranglé à Huê, la capitale, et Borie eut l’idée de se rendre auprès de l’empereur pour lui expliquer ce qu’était le christianisme. C’est le Père Jaccard, en résidence forcé dans la capitale impériale, et qui avait connu l’empereur en qualité d’interprète, qui l’en dissuada. En effet, selon Jaccard, l’empereur connaissait fort bien la religion et tout ce que risquait Borie, c’était la torture.

C’est alors au tour du Père Khoa et deux séminaristes d’être arrêtés, et en même temps la décision avait été prise de rechercher le Père Borie. Ce dernier fut arrêté, incarcéré avec les pères Diem et Khoa, interrogé et transféré à Dông-Hoi, chef-lieu de la province du Quang-binh, pour comparaître devant le préfet. S’en suivirent trente coups de rotin dont les blessures furent cicatrisées avec du sel. Le mandarin lui demanda ensuite de signer un «billet d’apostasie» et de marcher sur la croix. Le missionnaire refusa de se soumettre et demanda l’indulgence pour les chrétiens locaux.

Peu de temps après, c’est en prison que Borie, âgé de trente ans, reçu sa nomination en tant qu’évêque et Vicaire Apostolique du Tonkin occidental. En effet, en vertu d’un Bref du 31 juillet 1832, qui lui permettait de nommer son coadjuteur et de le sacrer évêque d’Acanthe, Mgr Havard l’avait choisi et avait exprimé sa volonté, dans une lettre du 30 janvier 1836, qu’il confia, ainsi que le Bref de 1832, au Père Masson, avec ordre de ne remettre qu’après sa mort ces deux pièces à leur destinataire. Quand il vit la persécution s’accentuer et la maladie l’atteindre gravement, il fit une autre lettre, datée du 2 juillet 1838, nommant sous condition Borie comme son successeur ; peu après il mourut.

Dès que Masson apprit la mort de l’évêque, il expédia à Borie les premières pièces datées de 1836. L’élu venait d’être arrêté et emprisonné. Quand il comprit qu’il serait condamné à mort, il nomma Masson supérieur de la mission, Retord provicaire, et écrivit au Séminaire des Missions étrangères et à Mgr Cuenot d’agir à Rome, afin d’obtenir la nomination du Père Masson comme Vicaire apostoliqu

Durant quatre mois d’emprisonnement, Pierre Borie se plia aux interrogatoires et le préfet envoya son rapport à l’empereur. Le préfet notifia la sentence prononcée par l’empereur : la décapitation. Le condamné dit alors : « Depuis mon enfance, je ne me suis encore prosterné devant personne, que devant Dieu. Maintenant, je remercie le grand mandarin de la faveur qu’il m’a procurée, et lui en témoigne ainsi ma reconnaissance » Puis il s’agenouilla, se disposant à accomplir la grande prosternation selon la coutume. Le préfet l’en empêcha.

Le 24 novembre 1838, lors de l’exécution, près de la citadelle de Dong-Hoi, le soldat qui s’était enivré, car admiratif de Pierre Borie, dû recommencer à sept reprises son geste muni de son sabre. Le mandarin, qui présidait à l’exécution sur un éléphant, était furieux à l’encontre de son soldat et le fit fouetter devant la foule.

Le même jour, deux prêtres vietnamiens furent exécutés et enterrés sur place. Quant au corps de Pierre Borie, il fut enterré sur le lieu même de l’exécution ; l’année suivante, au mois d’octobre, par les soins du Père Masson, ses ossements furent transportés à Ke-gom dans le Nghe-an ; au mois de juin 1842, ils furent envoyés à Macao, d’où le procureur général des Missions étrangères, le Père Libois, les expédia en France par le vaisseau « Orient » ; ils arrivèrent au Séminaire de Paris en 1843, et le 3 août, une commission composée d’ecclésiastiques et de médecins en fit la reconnaissance.

Après la Béatification du Martyr, qui eut lieu en 1900, sous le Pontificat de Léon XIII (le bref est du 7 mai et les solennités à Saint-Pierre de Rome du 27 du même mois), ses ossements ont été placés dans une châsse sous l’autel Sainte-Anne, dans la crypte de l’église du Séminaire des Missions Étrangères.

C’est ainsi que nous perpétuons la mémoire de celui qui a réconcilié une personne âgée et malade en commençant par lui offrir une bouteille de vin et qui, quelques années plus tard, toujours empreint du même zèle missionnaire, voulu franchir les montagnes pour se rendre au Laos, sans oublier le fait de vouloir se rendre auprès de l’empereur pour lui expliquer, en pleine persécution, ce qu’est la foi chrétienne. Plein d’audace et de zèle, Pierre Borie fut une «précieuse alliance de la force et de la douceur» au service du Seigneur.