Saint Jean-Charles Cornay

Auparavant, il fut élève du collège de Saumur, du petit séminaire de Montmorillon et du grand séminaire de Poitiers, puis il entra comme sous-diacre au Séminaire des Missions Étrangères le 13 octobre 1830 où il se trouva immédiatement plongé dans une atmosphère de persécution. En effet, lors de la révolution de 1830, il y eut le sac de l’archevêché et la profanation de Saint Germain l’Auxerrois. Jean-Charles écrit alors : « Hier on a pénétré dans notre séminaire et l’on a affiché sept ou huit billets portant : ‘Mort aux jésuites de la rue du Bac avant vingt-cinq jours’. Et un poignard pour signature. On avait même essayé de mettre le feu à la maison. Force fut de disperser ici et là les séminaristes pendant quelque temps ». Plus tard, le 4 avril 1831, il fut ordonné diacre en secret ; ce qui lui permit d’expliquer à ses parents qu’il y avait finalement autant de risques à Paris qu’en Chine ! Ainsi, le 11 août 1831, il déclara : « Je vous aime et je suis obligé de me séparer de vous peut-être pour toujours. Lundi dernier on m’a averti de me préparer à partir et c’est pour le 21 ; il faut que nous soyons arrivés à Bordeaux le 25 ».

L’abbé Cornay quitta Paris le 22 août 1831 et embarqua à Bordeaux, le 17 septembre, dans le ‘Cambacérès’ à destination du Sichuan, sa mission, et cela lui faisait entrevoir la perspective d’un nouveau voyage interminable après six mois de navigation qui l’avait amené à Macao. Cependant, treize ans auparavant, un évêque missionnaire avait découvert un itinéraire plus rapide que la remontée du Si-Kiang ou du Yangzi – le fleuve Rouge. Toutefois, il fallait traverser tout le Tonkin, partie nord du Vietnam où la persécution menaçait.
Une jonque chinoise amena Cornay au Tonkin, mais les coursiers qu’on avait envoyés pour lui servir de guides moururent à Hanoï. Ainsi, attendant une occasion de se remettre en route, il resta au Tonkin occidental.
Rappelons qu’en 1833, l’empereur Minh-Mang rédigea un édit de persécution contre les chrétiens.

Le 20 avril 1834, l’évêque du Tonkin occidental, Mgr Havard, l’ordonna prêtre dans le secret. Il fut placé dans une paroisse des montagnes, y apprit l’annamite, et commença son ministère.
En janvier 1836, le vicaire apostolique du Sichuan lui écrivit qu’il était impossible de lui envoyer de nouveaux guides, et lui donna à choisir entre rester au Tonkin, ou retourner à Macao pour le rejoindre par d’autres voies. Il préféra demeurer au Tonkin, mais n’oubliait pas pour autant sa « destination » : l’Ouest chinois.
Cornay écrivit alors à ses anciens condisciples de Poitiers : « Nous sommes depuis trois mois dans une situation des plus sévères ; il ne reste pas sur pied une seule église ; on force les chrétiens à donner des billets d’apostasie ; on en veut aux prêtres du pays, et surtout à nous ».

L’acclimatation des jeunes missionnaires n’était jamais facile, et ce fut particulièrement une épreuve pour le jeune Jean-Charles, il eut même de sérieux ennuis de santé. Ainsi, il adressa ces mots à ses parents : « Tous les jours mes yeux refusent de plus en plus à faire leur service. Je n’ai que trop à craindre d’être tout à fait aveugle dans moins de deux ou trois ans. S’il plaît à Dieu de me laisser au Tonkin, je souffrirai avec résignation jusqu’à ce qu’il me délivre des maux de cette vie, car le retour dans ma patrie est bien le dernier remède que je le prie d’employer ».
Puis, en janvier 1837 : « J’ai reçu hier vos lettres de 1835. Pour vous répondre, il va falloir mettre ma tête et mes pauvres yeux à la torture. Il faut leur arracher jour par jour ces lignes ; encore suis-je obligé de leur donner relâche presque à chaque ligne pour les presser avec mes mains et comprimer par un bain d’eau froide l’ardeur qui les brûle. Il m’est impossible depuis longtemps d’ouvrir un livre et de soutenir une conversation… Me voilà donc devenu ermite et contemplatif au lieu de missionnaire ».

Pendant ce temps, la persécution commençait à se faire sentir et le père Cornay fut obligé de trouver refuge sur un radeau qui, selon lui, « a servi à aller jouer sur l’eau et à visiter les montagnes. Après cinq mois d’absence, je suis venu habiter mon ancien gîte où je suis tranquillement assis toute la journée, ne pouvant faire autre chose que de célébrer la sainte messe et d’aller aux malades pendant la nuit ».

Cette première série d’épreuves fut considérée comme le « premier martyre » de Jean-Charles Cornay. Ce sont probablement les raisons qui le décidèrent à rester au Tonkin. Puis, il passa les premiers mois de l’année 1837 de manière plutôt paisible et récupéra quelques forces qui allaient lui être fort utiles. En effet, un hors-la-loi nommé Duc venait d’être arrêté dans un village voisin de Bau-nô, la chrétienté où se cachait Cornay. Pour faire preuve de collaboration avec les autorités, Duc dénonça la présence d’un missionnaire européen et révéla les noms des principaux chrétiens du village. Il fit également enterrer un fusil près de la maison de Jean-Charles. Dans la nuit du 19 au 20 juin, plusieurs centaines de soldats, guidés par la femme de Duc, investirent Bau-nô.
Cornay et de nombreux villageois s’étaient enfuis dans la campagne ; mais, vers quatre heures de l’après-midi, le jeune Jean-Charles dut sortir des buissons qui lui servaient de cache et se rendit aux soldats. Il fut alors interrogé et mit dans une cage de bambou, puis envoyé à Son-Tây, le chef-lieu de la province. Enchaîné et enfermé dans une cage plus spacieuse, il fut confronté à Duc qui l’accusait de l’avoir confessé et d’avoir commandité les actes de brigandages qui lui étaient reprochés. Après ces entretiens, le gouverneur envoya son rapport à Huê, la capitale, et attendit la sentence de l’empereur.

Dans la perspective d’une attente de plusieurs mois, il obtint l’autorisation de lire et d’écrire notamment à son confrère le plus proche géographiquement, le père Marette, afin de lui transmettre des informations au sujet de sa situation. Ces lettres furent transmises grâce à des gardiens complaisants qui remirent à des chrétiens les documents à envoyer.

Durant son incarcération, il reçut la visite de nombreuses personnes y compris des mandarins qui s’interrogeaient sur la provenance de la « résistance intérieure » du prisonnier. En effet, lors des interrogatoires, malgré les séries de cinquante coups de rotins, il refusa de marcher sur la croix donc d’apostasier et de reconnaître qu’il préparait une rébellion armée. Face à ces refus d’avouer, les autorités entreprirent d’interroger Duc. Lorsqu’un officier le lui apprit, Cornay répondit : « C’est au gouverneur de découvrir la vérité. Qu’on cesse de tourmenter ce pauvre Duc. Pour moi, je lui pardonne ». Et il poursuivit : « Voilà où nous en sommes. Dans un pays de persécution, le démon nous envie jusqu’à la gloire du martyre ; il faut mourir comme un malfaiteur !».

Le 20 septembre 1837, un courrier royal de Huê fit savoir que le tribunal annamite le condamnait à être « lang-tri », c’est-à-dire à avoir toutes les articulations des membres coupées, et ensuite la tête tranchée ; le roi Minh Mang ratifia la sentence. Jean-Charles Cornay était ainsi reconnu « coupable comme chef d’une fausse secte et chef de rébellion ». Pendant qu’on le conduisait à la mort, le confesseur de la foi chantait et priait. Contrairement à la sentence, il fut d’abord décapité et ensuite ses membres furent tranchés. Le bourreau lui arracha le foie, en prit un morceau et le mangea, témoignage que les Annamites rendaient à ceux qu’ils considéraient comme des héros, « parce que, disent-ils, en mangeant leur foie, nous deviendrons courageux comme eux ». C’était le 20 septembre 1837, dans un champ non loin de la citadelle de Son-Tây.

Ses restes furent placés dans un cercueil et inhumés près du lieu de l’exécution ; on les transporta plus tard dans l’ancien emplacement de l’église de Chieu Ung ; aujourd’hui ils reposent dans l’église de cette paroisse, où les fidèles vénèrent Jean-Charles Cornay. Il a été déclaré Vénérable le 19 juin 1840, Bienheureux par Léon XIII, le 27 mai 1900. Enfin, il a été canonisé le 19 juin 1988 par le pape Jean-Paul II.

Le Séminaire des Missions Etrangères possède des reliques et des souvenirs du martyr, entre autres des cheveux, les cordes qui servirent à l’attacher au moment de son arrestation, le tapis sur lequel il fut exécuté et qui est teinté de son sang, un tableau peint au Tonkin et qui représente son exécution. La chambre qu’il avait occupée au grand séminaire de Poitiers fut transformée en chapelle, jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l’État qui amena la spoliation du séminaire. À Mauroc, propriété et campagne du grand séminaire, on lui éleva une statue en 1904. Le Musée de la Propagation de la Foi, à Lyon, possède également des reliques et des souvenirs, ainsi que les actes de son martyre ; on y remarque une pièce en caractères chinois, presque entièrement écrite par le greffier du tribunal de Son-Tây dont les mandarins le condamnèrent à mort ; seules les dernières pages sont de la main d’un chrétien. Ces actes ont été envoyés par le père Marette, le missionnaire qui avait recueilli et caché son corps.

L’exécution de Jean-Charles Cornay diffère de celles d’Isidore Gagelin (1833) et de Joseph Marchand (1835). Celles-ci marquaient le début de la persécution à outrance ; elles se déroulaient dans la capitale, Huê, à l’ombre de l’empereur.

La province de Son-Tây, en revanche, est éloignée de Huê et la manière d’appliquer l’édit de l’empereur était fonction des responsables. Pendant ses trois mois de détention dans la citadelle, Cornay fut continuellement visité dans sa cage par des mandarins, des soldats, des curieux qui aimaient l’entretenir et le traitaient sans malveillance.

Au final, Duc, le hors-la-loi qui avait dénoncé et accusé Cornay, fut relâché en récompense de sa délation. Il ne tarda pas à reprendre ses activités illégales. Arrêté de nouveau, il fut décapité.

La nouvelle du supplice de Jean-Charles causa une vive émotion en France. De plus, le premier à qui le jeune Cornay se confia en ce qui concerne sa vocation missionnaire, l’abbé De Larnay, devint directeur de l’œuvre de la Propagation de la Foi pour le diocèse de Poitiers. D’après les renseignements du père Marette, il publia une brochure intitulée ‘Notice sur la vie et la mort de Jean-Charles Cornay’.

A Saint-Loup-sur-Thouet (diocèse de Poitiers), un jeune chevrier de neuf ans faisait paître sa chèvre en compagnie d’une dame qui exerçait la même activité. L’enfant lisait à haute voix la brochure du père De Larnay. Quant il eut terminé, il s’écria : « Et moi aussi je veux aller au Tonkin ! Et moi aussi je veux être martyr !».
L’enfant s’appelait Théophane Vénard. Il ira au Tonkin ; il y mourra martyr vingt-trois ans plus tard.