Mgr Jean Cassaigne, figure emblématique du mois missionnaire extraordinaire

Publié le 10/10/2019




Afin de renouveler l’ardeur missionnaire des communautés chrétiennes dans le monde entier, à l’occasion du Mois Missionnaire Extraordinaire d’octobre 2019, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples a choisi de mettre en lumière vingt-cinq figures de la mission ad gentes. Parmi ces témoins figure Mgr Jean Cassaigne (1895-1973), dont l’engagement missionnaire est intimement lié à la région de Saïgon au Vietnam.

Par la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples

Monseigneur Jean Cassaigne est né à Grenade-sur-Adour, dans le département des Landes, en France, le 30 janvier 1895. Il perdit prématurément sa mère et fut envoyé par son père en Espagne, pour suivre ses études dans un collège des Frères des Écoles Chrétiennes, exilés à Lez, près de Saint-Sébastien. Revenu en France vers l’âge de 17 ans, il travailla avec son père, mais il se sentait attiré par les missions et fit part de son désir de devenir missionnaire. C’est précisément au moment où il se préparait à entrer au séminaire de la Rue du Bac qu’il apprit la nouvelle de la déclara- tion de guerre entre la France et l’Allemagne. Il s’enrôla alors à l’âge de 19 ans. Il passa cinq ans comme agent de transmission, participa à la bataille de Verdun et fut décoré de la Croix de Guerre. Une fois démobilisé, il entra en 1920, au séminaire des Missions Étrangères de Paris, fut ordonné prêtre le 19 décembre 1925, et partit en Indochine, le 6 avril 1926. Il fut d’abord envoyé à Cai Mon (Vietnam), importante communauté chrétienne de la province de Ben Tre, pour apprendre le vietnamien.

Arrivé à la mission, Jean Cassaigne, comme les autres, consacra les premiers mois de sa vie missionnaire à l’étude de la langue et des coutumes locales et fut introduit à la pastorale en milieu vietnamien dans la grande paroisse de Cai Mon. L’année suivante, il fut envoyé par son évêque, Mgr Dumortier, à Djiring (Di linh) dans les hauts-plateaux du haut Dong Nai, pour y fonder une nouvelle communauté chrétienne parmi les popuations des montagnes de cette région, habitée par les Srés, appelés aussi Kohos. À l’époque, la région de Djiring était presque exclusivement habitée par des minorités ethniques, car les Vietnamiens ne s’étaient pas encore établis dans les hauts-plateaux.

Dès son arrivée, Jean Cassaigne fit beaucoup d’efforts pour apprendre la langue locale, très différente du vietnamien, et arriva assez rapidement à rédiger un lexique et un manuel de conversation. Le jeune missionnaire commença à prendre contact avec les populations animistes qui, cependant, se montraient méfiantes vis-à-vis de cet étranger barbu qui, probablement, les effrayait. Il était bien possible que les hommes de la forêt (appelés Moïs, c’est-à-dire « sauvages ») n’aient jamais vu un Européen à la peau blanche. Peu à peu, avec son sourire et son amabilité, Jean Cassaigne réussit à les approcher.

Il découvrit alors la misère de ces hommes, contraints par divers événements à s’éloigner de leur milieu naturel. Obligés de quitter la forêt où ils trouvaient habituellement de quoi se nourrir, sous-alimentés, sans vêtements, ils devenaient des proies faciles pour toutes sortes de maladies. Et, parmi eux, Jean Cassaigne découvrit les plus malades et les plus malheureux de tous : les lépreux, chassés de leurs familles, abandonnés dans la forêt, sans abri ni soins, en n’attendant plus que la mort mette fin à leurs souffrances. Ces pauvres gens, exclus de la société, provoquèrent une profonde émotion dans son cœur de missionnaire. C’est alors qu’il prit l’engagement de consacrer toutes ses forces à leur service. Peu à peu, les Moïs acceptèrent sa présence et commencèrent à venir le trouver.

À cette époque, de nombreux patrons de plantations français, qui avaient obtenu du gouvernement colonial des concessions de terrain à défricher sur le haut-plateau de Djiring, demandèrent à la mission la création d’une communauté chrétienne. Les Missions Étrangères de Paris trouvèrent la proposition intéressante et digne d’être accueillie favorablement. Mgr Dumortier, de son côté, y vit une occasion providentielle d’entre- prendre l’évangélisation dans cette région. Dès lors, la Mission acquit une maison, qui faisait aussi office de résidence pour le missionnaire et d’école pour les enfants des populations des montagnes. Avec l’aide de quelques hommes, Jean Cassaigne construisit pour eux la petite localité de Kala, non loin du village de Djiring. Formée de cabanes sur pilotis, comme en construisaient les habitants du pays, il l’appela « Cité de la Joie ». Puis, peu à peu, il réunit les lépreux autour de lui. Il les considérait comme ses enfants, les nourrissait et les soignait chaque jour. En 1929, le village des lépreux s’était agrandi et comptait déjà cent malades.

En 1930, le père Cassaigne avait baptisé ses premiers catéchumènes et plusieurs familles demandaient à devenir chrétiennes. Au centre du village se trouvait une infirmerie où, trois fois par semaine, le missionnaire allait prodiguer des soins et distribuer des médicaments. Il soignait lui-même les lépreux et, grâce à une instruction religieuse à leur portée, il les préparait à mourir en chrétiens. Il y avait une chapelle des lépreux dans un coin du village où, le dimanche, les prières étaient récitées en langue koho et où se déroulaient les leçons de catéchisme.

En 1935, avec l’aide de son fidèle catéchiste Joseph Braï et la collaboration de cent lépreux, Jean fonda à Kala, près de Djiring, un village auto- nome pour rassembler et soigner les Moïs lépreux de la région. Quelques mois plus tard, il eut la joie de baptiser vingt-six catéchumènes dans une chapelle entièrement neuve. Ce fut le début de la première communauté chrétienne des populations des montagnes, qui allait continuer à se développer à l’avenir. En 1936, ils étaient deux cents.

En 1937, la Visitatrice des Filles de la Charité, sœur Clotilde Durand, touchée par le dévouement du missionnaire qui soignait personnellement les lépreux, lui promit l’aide des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Quatre Filles de la Charité arrivèrent au village au mois de février 1938 et commencèrent à soigner les lépreux.

En 1941, un télégramme de Rome arracha Jean Cassaigne à ses lépreux. Le Pape le nommait évêque et responsable du vicariat apostolique de Saigon. Malgré son mépris des honneurs, il dut accepter de « descendre » à Saigon. Il reçut l’ordination épiscopale durant la fête de la Saint-Jean, le 24 juin. Une foule de 3 000 personnes se pressa dans la cathédrale de Saigon pour la cérémonie et, parmi elles, une importante délégation des populations des montagnes en costume traditionnel, venue représenter la communauté chrétienne de Djiring.

À Saigon, Mgr Cassaigne imposa son style personnel. Il ne manqua certes pas à ses responsabilités et respecta les usages de son ministère, mais, dans la vie quotidienne, il resta le père Cassaigne, homme simple et accueillant. Il laissait toujours sa porte ouverte : tous pouvaient être reçus sans être annoncés, pauvres et riches, sans distinction de race ni d’extraction sociale. Il conserva cette lourde charge pendant quinze ans et dut affronter de nombreuses difficultés, aussi bien pendant l’occupation japonaise que pendant la guerre franco-vietnamienne. Durant cette période agitée, il mit ses énergies au service de tous, en organisant aides et secours pour les plus nécessiteux, sans faire de préférences ni d’exceptions. Les Japonais eux-mêmes rendirent hommage à l’amour du prochain et au dévouement dont fit preuve Mgr Cassaigne.

Cependant, il n’avait en son cœur qu’un unique désir : celui de retourner vivre parmi ses gens des montagnes. Quand il apprit qu’il avait contracté la lèpre, il présenta sa démission de vicaire apostolique de Saigon au Saint- Siège. Le Pape l’accepta et il eut ainsi la joie de pouvoir retourner parmi ses lépreux, en décembre 1995. À partir de ce moment-là, il ne les quitta plus.

Revenu à Djiring, son unique préoccupation fut d’assurer une assistance matérielle à ses gens et surtout de leur offrir une grande aide spirituelle pour les rendre heureux. Il les aima à tel point, il fut si proche d’eux, il se mêla si intimement à eux que, frappé lui-même de la lèpre, il accepta de vivre avec eux les mêmes souffrances. Et, à la fin de sa vie, malgré les douleurs et contraint à garder le lit, il conserva sa joie, une joie radieuse et communicative qui lui fit dire, un jour, à ses amis : « Le bon Dieu m’aime, parce qu’il a choisi la meilleure prière, qui est la souffrance et qu’il réserve à ses amis. »

Mgr Cassaigne mourut le 31 octobre 1973 et, selon son désir, fut enterré dans le petit cimetière de la léproserie, là où il avait lui-même creusé la tombe de son premier converti. La gratitude des lépreux vis-à-vis de Mgr Cassaigne fut exprimée de façon émouvante le jour de son enterrement par un des lépreux, qui prit la parole au nom de ses frères malades et lui adressa ce message :

« Ô Père, tu nous as montré le véritable chemin du ciel et cette léproserie est ton œuvre. Grâce à toi, nous n’avons manqué de rien : nourriture, vêtements, médicaments, tu allais les chercher pour nous… Très cher Père, privés de tout comme nous le sommes, nous ne pouvons que te remercier et prier le Seigneur pour toi. Aujourd’hui, nous voulons vivre ton enseignement, conserver vivant parmi nous le lien de la charité et la façon dont tu nous as aimés, souffrir dans notre chair de douleur, comme tu nous as appris à souffrir durant ta vie parmi nous. Père, quand tu étais vivant, tu as voulu t’identifier à nous, tu as désiré contracté la lèpre comme nous, souffrir de la malaria, souffrir dans ton corps de chair comme nous et mourir au milieu de tes enfants. Voici notre dernière supplique, c’est à toi que nous l’adressons : prie pour nous afin qu’un jour le Seigneur nous considère, nous aussi, dignes de te rejoindre dans son paradis, dans le Paradis de l’unité. »