DEPARTS I

Aussitôt passé le point d’orgue de la préparation missionnaire que constitue la cérémonie des adieux, les partants gagnent rapidement leur port d’embarquement, Bordeaux, Marseille ou Le Havre. Avant l’ouverture de canal de Suez en 1869, le voyage pour l’Asie par le Cap de Bonne Espérance dure au minimum six mois, mais souvent davantage en raison des aléas de la navigation, surtout au temps de la marine à voile. Echouages et escales forcées occasionnées par des avaries ou des tempêtes sont des incidents fréquents, qui obligent parfois les missionnaires à jeter une partie de leurs bagages par-dessus bord. Mais globalement, les pertes humaines sont très faibles puisque sur 4260 partants on ne compte que dix-huit décès en mer, dont plusieurs de maladie, et un seul naufrage : celui du Mercedès qui disparut dans la mer de Chine à la fin de 1860 avec à son bord huit jeunes missionnaires destinés au Japon et à la Mandchourie.

Epreuve physique avec les inévitables crises de mal de mer et parfois les premières atteintes de maladies exotiques, la traversée constitue souvent aussi, après la séparation familiale, la deuxième grande épreuve morale du missionnaire débutant. L’ennui, la perte des repères habituels, les changements climatiques, les dangers potentiels ou réels de la navigation portent de rudes coups à l’enthousiasme du départ. La solidarité et l’entraide jouent alors un rôle essentiel pour les missionnaires qui voyagent généralement par petits groupes : prière individuelle ou collective (l’état de la mer ne permettant pas de célébrer régulièrement la messe), étude (en particulier initiation aux langues) et divertissements convenables occupent l’essentiel de leur temps.

Certains d’entre eux font leurs premières armes apostoliques sur les membres de l’équipage en essayant de les amener à la confession, expérience délicate compte tenu de la moralité souvent approximative de la plupart des marins de base dont les plus endurcis s’ingénient à les brimer, surtout lors des périodes de politique anti-cléricale en France. En fait, le confort moral du voyage dépend beaucoup des convictions du capitaine et du degré de protection qu’il accorde à ses passagers.

En Asie, les lieux de débarquement sont principalement Pondichéry pour les missionnaires de l’Inde, et Macao, puis à partir de 1842 Hong-Kong, pour ceux d’Extrême-Orient. Dans ces villes, les procures leur offrent un abri provisoire qui leur laisse le temps d’organiser la partie la plus difficile du voyage, celle qui les mènera jusqu’à leur mission. Avec l’acclimatation à la langue, à la nourriture et aux conditions atmosphériques un nouvel apprentissage commence, celui des usages locaux, et pour beaucoup celui de la clandestinité. À partir de là le missionnaire, venu au service des chrétiens autochtones, devient dépendant d’eux. Il ne survivra qu’avec leur aide et parfois mourra avec eux.

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