TERRES NATALES

Aux XVII° et XVIII° siècles, le recrutement des Missions Etrangères, assez élitiste, était faible et concernait surtout la noblesse et la bourgeoisie. Au XIX° siècle, après l’hémorragie révolutionnaire, il se démocratise. La grande majorité des aspirants sont issus du milieu rural, de ces campagnes reculées où souvent des prêtres réfractaires ont entretenu l’esprit de résistance et la pratique de la clandestinité.

Quand le séminaire des Missions Etrangères est réouvert en 1815, les jeunes qui se présentent appartiennent presque tous à cette tradition. Quelques années plus tard, l’Oeuvre de la Propagation de la Foi va assurer la diffusion de la publicité missionnaire jusque dans les plus petites paroisses. Au fur et à mesure que les effectifs du clergé diocésain se reconstituent, les plus aventureux de ses membres se tournent vers les missions qui deviennent le grand exutoire des désillusions comme de l’enthousiasme de l’Eglise de France.

Issus de familles généralement très pieuses mais peu fortunées, qui ont souvent eu du mal à financer leurs études, beaucoup de candidats missionnaires se heurtent à l’opposition de leurs proches dès qu’ils annoncent leur projet. La rupture familiale, radicale et définitive, est une épreuve douloureuse pour tous, et dramatique pour certains qui doivent s’enfuir en secret, sans faire leurs adieux, si le refus de leurs proches est trop inflexible.

Néanmoins, quand la séparation est acceptée, ou quand, avec le temps, le sacrifice est consommé, des liens très forts subsistent entre les missionnaires isolés à l’autre bout de monde et leurs communautés d’origine : échanges de lettres qui transitent par le séminaire de Paris et les procures d’Asie, union de prières et surtout, de la part des missionnaires, pressants appels aux vocations auprès de leurs confrères restés au pays.

Dans ce domaine, les Martyrs sont les meilleurs recruteurs. La mort de chacun d’entre eux est généralement à l’origine de plusieurs départs en mission. Ainsi certains diocèses deviennent de véritables pépinières de missionnaires et de martyrs comme Besançon (Saints Isidore Gagelin, Joseph Marchand, François Néron et Etienne Cuenot) ou Poitiers (Saints Jean-Charles Cornay et Théophane Vénard). Inversement, dans des diocèses à faible recrutement missionnaire comme Digne, la mort d’un seul martyr, Saint Jacques Chastan en 1839, suscite une vague exceptionnelle de dix départs dans les années qui suivent. Les récentes canonisations de vingt-trois missionnaires martyrisés au Vietnam en Chine et en Corée ont renforcé les liens spirituels entre leurs diocèses d’origine et leurs pays de mission, liens concrétisés par des pèlerinages de plus en plus nombreux d’Asiatiques en France et de Français en Asie.