Voeux 2023 du père Vincent Sénéchal

Publié le 20/12/2022




Chers confrères, chers amis,

Une nouvelle année s’ouvre à nous. Je formule le vœu qu’elle vous soit bonne et heureuse. Une nouvelle année est un cadeau, un temps nouveau pour découvrir l’amour du Père manifesté en son Fils, notre Sauveur. Pour découvrir aussi la force de son Esprit qui agit dans le monde et se manifeste d’une manière particulière dans la vie des témoins de l’évangile.

Pour cette lettre commune de Noël et du nouvel an, permettez-moi de revenir sur l’assemblée générale que nous avons vécu en juillet dernier. Comme de coutume tous les six ans, elle nous a permis de faire le point sur l’œuvre missionnaire. Dans la foi, un double regard a occupé cette assemblée générale : celui porté sur notre monde et celui sur notre société missionnaire dans les pays où nous œuvrons.

Concernant les grands changements du monde durant ces dernières années, en dehors des guerres et du nouveau conflit majeur en Ukraine, j’ai souligné dans mon rapport au début de l’assemblée quatre grands changements récents à l’échelle planétaire qui impactent collectivement nos vies [1]. J’avais d’abord développé l’idée que nous sommes entrés dans l’ère du consentement et d’un accroissement de la judiciarisation des conflits interpersonnels. S’il faut se réjouir que le respect des personnes et des règles éthiques vienne au premier plan aujourd’hui, il nous faut être conscients de ce changement d’ère et travailler en tant que MEP la question de la juste relation pastorale et missionnaire. Le deuxième changement concernait le reflux de la mondialisation qui s’accompagne d’une hyperconnectivité par bulles d’affinités. Un retour à la souveraineté nationale comme valeur refuge (« America first », politique de « sinisation », Brexit etc) est observable et il s’est accentué après la crise Covid (relocalisation des productions industrielles stratégiques). Cependant, en parallèle, on observe aussi une hyperconnectivité numérique en deux zones, l’américaine et la chinoise. Une lucidité par rapport à cet état de fait est nécessaire pour discerner notre utilisation du numérique et les éventuelles visions biaisées qui sont véhiculées à tous niveaux, c’est-à-dire pour distinguer ce qui construit la communion ou qui la blesse. On le sait, « on peut donner des claques avec des clics », comme nous le disait le Cardinal Aveline dans la retraite préparatoire à l’assemblée générale. Un troisième changement majeur est le défi énergétique et écologique. Les jeunes volontaires MEP nous poussent en ce domaine, et rejoignent sur ce point le Pape François qui, voyant plus large, parle d’une écologie intégrale, c’est-à-dire qui intègre aussi l’écologie humaine. Enfin, j’avais évoqué en juillet un dernier changement crucial, celui de l’accroissement des migrations, phénomène qui ne peut être réduit aux personnes qui traversent la Méditerranée car il est aussi massif en Asie, et doit intégrer les migrants internes et les migrants écologiques. Tels sont à mes yeux quatre grands changements de ces dernières années qui impactent et impacteront durablement le cadre dans lequel nous vivions notre mission. C’est au cœur de ces changements que se joue l’instauration de la communion signe du Royaume des Cieux annoncé par le Christ.

Concernant le regard porté sur notre société missionnaire et les pays où nous œuvrons, l’assemblée générale a écouté de nombreux rapports et remontées du terrain. Cela nous a permis de rendre grâce et partager la joie de l’activité missionnaire accomplie au sein d’Eglises locales bien vivantes. L’annonce de l’évangile en Asie et dans l’océan Indien progresse globalement. Le service des pauvres, la fondation de communautés chrétiennes et la formation d’un clergé local, le dialogue interreligieux, le soin des minorités éthniques ou des migrants, et tant d’autres actions accomplies dans un soutien multiséculaire et fidèle au pays et à l’Eglise locale où sont implantés les missionnaires des Missions étrangères continuent d’être notre quotidien. Nous avons aussi partagé notre souci concernant la guerre civile en Birmanie, la situation à Hong-Kong et celle des catholiques de Chine. Nous avons réfléchi et débattu des décisions à prendre pour que nous soyons toujours fidèles à la nature de notre société, ses buts et sa vocation dans l’Église. En fait, ce temps d’assemblée en juillet a constitué un moment fort d’un processus initié en janvier 2021 avec les consultations et remontées individuelles ou par groupes, et qui s’est poursuivi par l’élaboration du programme de l’assemblée par une commission, son amendement par les conseils permanent et plénier et la remontée du positionnement des confrères sur les sujets au programme jusqu’aux délégués élus début 2022. Désormais, le compte-rendu des travaux de l’assemblée a été communiqué à tous les confrères. Nous sommes maintenant dans le temps de la réception. Il s’agit en particulier de mettre en œuvre les chantiers décidés. J’en profite pour remercier tous les confrères de la société pour leur contribution au travail élargi de l’assemblée, plus particulièrement ceux qui ont été délégués et y ont siégé, ceux qui ont été membres des conseils permanent et plénier durant le dernier sexennat, et ceux qui composent ces conseils aujourd’hui. Nous allons de l’avant pour la 365e année de notre existence (2023), confiants que le Seigneur qui fait « toutes choses nouvelles » nous accompagne dans la nouvelle page de six années qui démarre.

Pour cette nouvelle page, nous pouvons prendre appui sur le message de l’assemblée générale à tous les confrères qui est intitulé « Il portera du fruit en son temps » [2]. J’invite vivement tous les confrères à travailler ce message, en particulier dans les groupes et délégation missionnaires. Il nous replace comme MEP devant notre identité qui est « résolument celle de l’annonce de l’Évangile de Jésus-Christ à tous les hommes », selon les modalités de la devise Ad Vitam, Ad Extra, Ad Gentes, Cum Ecclesia. Il dégage aussi quatre enjeux importants pour notre société : 1- travailler encore et toujours la qualité de notre insertion dans les Églises locales qui nous accueillent ; 2- veiller à la qualité de la formation et du discernement de nos membres avant l’envoi et durant les trois premières années de mission ; 3- maintenir une fidélité constante à notre devise, et en particulier vivre la tension entre le Ad Gentes et le Cum Ecclesiadans une « obéissance créatrice » ; 4- accompagner l’équilibre personnel de chaque missionnaire et son épanouissement vocationnel.

Un paragraphe est au centre de ce message de l’assemblée. Il décrit, dans une formulation nouvelle, la spiritualité de l’incarnation que nous vivons depuis les origines de notre société : « L’humilité, première vertu du missionnaire, se trouve éprouvée par le temps long de formation et de rencontre du peuple et de l’Église locale, ainsi que par la relation avec l’ordinaire dont il reçoit sa mission et l’attente du développement plein de ses charismes. Cette humilité, « chaîne qui relie et maintient toutes les vertus entre elles » (Saint Jean-Marie Vianney), et qui permet l’émergence d’une fraternité universelle chère au Pape François, c’est tout au long de sa vie et jusqu’au grand âge que le missionnaire est appelé à la vivre, en demeurant dans la disposition du serviteur inutile (Lc 17, 10), engagé gratuitement au service de l’Église et de la mission. L’attention particulière aux pauvres et aux défis du monde entraîne une conversion de ses ambitions personnelles. Quitter son pays et se quitter soi-même. Ce chemin pascal reste porteur d’espérance et de vie, à l’image du grain de blé tombé en terre, qui ne produit du fruit qu’en mourant (Jn 12, 24). En effet, rien ne saurait éteindre l’énergie (δυναμις) de l’Évangile, l’énergie de l’Esprit qui nous anime, Lui « le premier protagoniste de la mission »[3].

L’humilité dont il est question ici, si elle rejoint le mystère pascal, peut également être reliée au mystère de l’incarnation. En Jésus, Dieu se dépouille de sa toute-puissance pour rejoindre humblement un peuple. Avec saint Paul, on peut parler ici d’abaissement, ou de kénose de Dieu. Ce mystère parle à tout missionnaire. La mission, c’est la prolongation du mystère de Noël dans toutes les nations. Que cette nouvelle année 2023 nous permette d’en voir les développements.

 

P. Vincent Sénéchal
Supérieur général des Missions Etrangères de Paris

 


[1] Rapport du supérieur général, Mep-infos n. 209 (juillet 2022), p. 14-15.

[2] Cf Mep-infos n. 209 du 29 juillet 2022 ou livret des travaux de l’assemblée

[3] Redemptoris Missio, 21.


CRÉDITS

MEP