Pour chaque jeune missionnaire MEP, les trois premières années sont l’occasion de mettre tout son cœur et son énergie dans l’apprentissage de la langue et de la culture de son pays de mission. Après un peu plus de deux ans dans les universités de Hong- Kong à apprendre le cantonais, j’ai eu la joie de continuer cet apprentissage en passant un semestre dans une grande ville du sud de la Chine. Par l’intermédiaire d’un ami chinois, j’ai été mis en contact avec une grand-mère calligraphe qui, à ma demande, a accepté de m’apprendre les fondements : la tenue du pinceau, le maintien, la concentration, le contrôle du souffle, un état d’esprit paisible. Mon premier professeur, je lui dois beaucoup ! J’allais régulièrement dans son appartement pour lui montrer mes lignes d’écritures et me faire corriger, recevant critiques et encouragements.
Petit à petit, j’y ai pris goût tout en réalisant à quel point la calligraphie est une excellente façon d’entrer plus profondément dans la culture chinoise et le cœur des Chinois.
De retour à Hong-Kong, je suis nommé vicaire dans la paroisse Holy Redeemer et je trouve rapidement un cours de calligraphie hebdomadaire en soirée dans le centre culturel du quartier. Surprise pour le professeur et les autres élèves de voir arriver un Occidental parlant cantonais. Très vite, je suis intégré au groupe.
Comment écrire ?
L’écriture chinoise est composée de milliers de caractères et chacun correspond à un son et à un mot. Il y a plus de 50 000 caractères chinois répertoriés, mais 4 000 à 5 000 caractères environ suffisent pour la langue courante.
L’écriture de ces caractères doit suivre des règles strictes pour être lisible et équilibrée. Chaque caractère doit tenir dans un carré imaginaire et les traits doivent être tracés dans un sens et un ordre précis, en respectant un certain équilibre par rapport au centre de gravité. De manière générale, on trace les traits dans cet ordre : d’abord, le ou les traits du haut, ensuite le ou les traits du milieu, puis ceux de gauche, ceux de droite et, en dernier, le ou les traits du bas. On retrouve les huit types de traits principaux dans le caractère 永 yong, qui veut dire « éternité », et que tous les étudiants en calligraphie connaissent immanquablement.
Pour écrire, un calligraphe se doit d’avoir les Quatre trésors du Cabinet du Lettré (文房四 寶). Il s’agit du pinceau筆, du papier墨, de l’encre 紙et de la pierre à encre硯. Tout cela ne se choisit pas à la légère et il faut un peu d’expérience pour repérer les bonnes qualités de pinceau et d’encre. L’encre se présente sous forme de bâtonnet que l’on frotte sur la pierre à encre avec de l’eau pour obtenir une encre fluide. Maintenant, on peut trouver l’encre en bouteille, même si cela ne permet pas d’avoir toutes les densités voulues.
« C’est celui qui sait la calligraphie ! »
Les caractères font partie du quotidien, on les rencontre partout, écrits de diverses manières, soit dans le mode standardisé facile à lire pour tout le monde, soit dans un mode de calligraphie libre, plus difficile à déchiffrer mais bien plus beau et artistique. Chaque Chinois passe de nombreuses années pour les apprendre et les mémoriser. Cependant, avec l’apparition des claviers et la possibilité de taper les caractères à partir de la romanisation des caractères le pinyin, de nombreux Chinois ne savent plus très bien écrire. Beaucoup n’ont pas eu l’occasion d’apprendre la calligraphie avec de l’encre et un pinceau. Ainsi, j’ai pu remarquer que, même avec un niveau encore débutant, pouvoir calligraphier les caractères donne tout de suite une certaine légitimité. « C’est celui qui sait la calligraphie ! » ai-je parfois entendu de personnes me présentant à d’autres et voulant me mettre en valeur alors que je n’en suis encore qu’au tout début !
Ce n’était pas mon but premier mais savoir qu’un étranger sait écrire les caractères et apprend la calligraphie, cela touche beaucoup de personnes et cela a déjà été l’occasion de nouvelles rencontres. En plus des poèmes et d’expressions chinoises en quatre caractères 成語, il n’est pas interdit de calligraphier des versets de l’Évangile ou de la Bible et de les offrir en cadeau ! D’ailleurs, mon professeur a gentiment accepté de calligraphier les trois premiers versets du cha- pitre 60 d’Isaïe qui sont lus pour la fête de l’Épiphanie : « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi… ». Très belle calligraphie qui orne désormais l’entrée de la maison MEP de Hong-Kong.
Pour fêter le Nouvel An chinois, ce professeur m’a invité à une soirée de gala avec plus de deux cents élèves. Devant tout le monde, il m’a présenté comme prêtre catholique et bon élève ! Une belle occasion de quitter les cercles catholiques pour rencontrer un autre public et témoigner que foi et culture chinoise sont compatibles !
P. Nicolas de Francqueville, MEP