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Comprendre le dialogue interreligieux en Indonésie

Publié le 21/04/2023




Le père Dimas Danang Widayanto est actuellement prêtre étudiant aux Mission Étrangères de Paris. Il est Indonésien, du diocèse de Purwokerto, sur l’île de Java.

 

Dialogue interreligieux

Un prêtre lors de la réunion avec les chefs religieux musulman, bouddhiste et confucianiste.

 

 

Propos recueillis par François-Xavier de Lépinau

 

Qu’est-ce que le dialogue interreligieux ? Que signifie-t-il, pour vous ?

Il s’agit essentiellement d’une rencontre. Une rencontre avec une personne d’une autre religion ou confession pouvant se produire à trois niveaux. Dans la vie quotidienne et tout ce qu’elle comporte de fondamental : la culture, l’entraide, etc. Par l’échange théologique, c’est le lieu de la compréhension intellectuelle. Ou encore par l’échange spirituel.

 

Quelles sont les relations entre les croyants de religions différentes dans votre pays ?

Pour comprendre comment le dialogue interreligieux s’insère dans la vie quotidienne dans mon pays, il faut mesurer la portée dupremier principe du Pancasila. Celui-ci fait rentrer dans la vie de la cité la croyance en un Dieu unique, celui de l’une des six religionsreconnues officiellement en Indonésie (l’islam, le catholicisme, le protestantisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme).De ce principe fondamental découle le devoir de choisir librement sa confession.

Il est clair que la croyance est une part essentielle de la vie des Indonésiens. La religion fait donc partie de la vie du peuple indonésien, elle n’est pas cantonnée à la vie privée. D’ailleurs, cette ouverture à l’autre dans son altérité — nécessaire au dialogue interreligieux — préexiste à la fondation de la nation indonésienne et fait partie de notre culture. Il est donc fréquent d’aborder la question de la foi, et ce, dès l’enfance. Ce n’est pas tabou ! « Comment priez-vous ? » « Qu’est-ce que la Trinité ? » « Jésus est-il vraiment mort et ressuscité ? » Ces questions font partie de notre quotidien.

 

Vous-mêmes, comment avez-vous été sensibilisé à ce dialogue ?

Mon père est musulman et ma mère catholique, chacun pratiquant sa religion respective. Le dialogue interreligieux s’épanouit jusque dans la vie de ma famille. En effet, nous pratiquons autant le jeûne prescrit lors du ramadan que celui indiqué lors du carême. À l’école publique, les enseignants pouvaient m’interroger sur ma foi catholique en dehors même des enseignements religieux, d’ailleurs obligatoires.

Lorsque j’étais vicaire, à l’occasion des grandes fêtes musulmanes, nous visitions, avec les prêtres de ma paroisse, tous les chefs religieux de notre district. Inversement, les grandes fêtes chrétiennes, comme celle de Noël, permettent d’organiser des événements œcuméniques auxquels les chrétiens convient les fidèles du district de toutes les confessions.

Il y a aussi des liens entre les associations caritatives musulmanes et catholiques, au service du bien commun. L’un des meilleurs exemples est que le service socio-économique de mon diocèse aide tout le monde, indépendamment de sa religion.

 

Comment cela se passe-t-il aujourd’hui ?

À partir de 1998, la décentralisation du pouvoir accroît l’indépendance des régions, permettant ainsi l’émergence de lois régionales pouvant entrer en contradiction avec la Constitution. Certaines de ces lois peuvent donc être favorables à la majorité religieuse de la région, oppressant par là même les minorités. Ainsi, certains districts obligent les femmes musulmanes à porter un voile, tandis que les non-musulmanes doivent porter des vêtements couvrants.

Autre fait marquant : un décret établi entre deux ministres indonésiens rend nécessaire, pour la construction d’un édifice religieux, l’accord de l’ensemble des chefs religieux de la zone et l’apposition d’au moins soixante signatures des habitants les plus proches. La construction d’églises catholiques est, par conséquent, devenue difficile dans mon diocèse, où nous ne représentons que 0,4 % de la population.

Enfin, depuis les années 2000, le dialogue interreligieux est institutionnalisé – auparavant, il était le résultat d’initiatives personnelles. Ce changement s’accompagne de dérives comme la politisation du dialogue interreligieux et peut altérer la spontanéité et la simplicité des liens entre les différentes communautés.

 

Comment se passent les échanges théologiques avec l’islam ?

L’échange théologique avec les musulmans est laborieux. Nous n’avons pas la même conception du dialogue. Nous autres, les catholiques, exposons et partageons la compréhension que nous avons de notre foi. Les musulmans sont plutôt dans un rapport de force, il s’agit d’un débat où l’enjeu est de convaincre l’autre.

Je me souviens d’une rencontre théologique entre catholiques et musulmans organisée dans le cadre de notre cursus sur la christologie trinitaire, lorsque j’étais encore au séminaire. Cette rencontre avait dégénéré, les musulmans nous attaquant en affirmant que notre foi n’était pas en un seul Dieu mais en trois et, par conséquent, en inadéquation avec le premier principe de la Pancasila. Ils n’étaient pas dans l’écoute. Dans la vie quotidienne, culturelle et sociale, les rapports avec les musulmans sont fluides et simples, mais, quand nous entrons dans le partage théologique, des tensions peuvent survenir aisément.

En fait, la confrontation à l’autre, en ce qu’il a de fondamentalement différent, sa foi, est une épreuve. Mais c’est cette rencontre aussi, douloureuse parfois, qui permet d’enraciner sa foi en la questionnant.

 

Alors, comment ancrer le dialogue spirituellement ?

Le dialogue spirituel est d’une réelle intensité. Je le conçois comme un partage sur l’expérience personnelle de la foi.

C’est le moment du témoignage : comment je vis ma rencontre personnelle avec Dieu ? Qu’est-ce que ma foi change en moi ? Quel héritage laisse-t-elle ?

Pour arriver à ce niveau de dialogue, il faut des conditions particulières. Tout d’abord, il faut que, moi-même et mon interlocuteur, nous ayons une vie de foi profonde. Il ne peut s’agir d’une foi dogmatique ou purement intellectuelle. De plus, une culture commune – la culture javanaise dans mon cas – nous unissant a priori est aussi un élément précieux. En somme, la culture peut être la porte d’entrée vers le dialogue de l’intériorité.

Je remarque, en effet, que cette relation toute particulière est possible avec certains musulmans de mon île, qui incarnent leur religion dans notre tradition culturelle. Ces moments sont rares et d’autant plus précieux.

Il me vient à l’esprit une autre forme de dialogue spirituel originale : elle naît à l’occasion du décès d’un proche. Chez nous, ce sont des événements très importants, durant lesquels la famille, quelle que soit sa croyance, se réunit autour du défunt pour prier. Et c’est devant le mystère de la vie – et de la finitude –, dans cette humble union de prière bariolée de croyance, qu’émerge une union spirituelle qui nous transcende. Peut-être que dans ces moments uniques où nous nous tenons humblement devant Dieu vers qui nos prières montent, sans parasitage (orgueil, peur), une vraie unité peut surgir ; au-delà de nos différences.

 

 

 


 

L’Indonésie en quelques repères

La nation indonésienne est née en 1945. Auparavant, elle était morcelée en plusieurs royaumes et ethnies indépendants. Pour les bâtisseurs de cette jeune nation, l’enjeu fut de discerner ce qui pouvait être facteur d’unité à travers cette hétérogénéité culturelle et géographique ‒ plus de 700 langues et plus de 300 ethnies ou tribus différentes ‒, et donc participer au fondement d’une identité nationale. Cinq principes (le Pancasila) décrivant la cohérence de la nation Indonésienne ont ainsi été retenus. Ce sont ces principes qui ont inspiré la Constitution : 1. La croyance en un Dieu unique ; 2. Une humanité juste et civilisée ; 3. L’unité du peuple indonésien ; 4. Une démocratie guidée par la sagesse à travers la délibération et la représentation du peuple ; 5. La justice sociale pour tout le peuple indonésien.

 

 

 


CRÉDITS

MEP