Aventures missionaire

Eloge du trait chinois

Publié le 12/11/2025




Pour les Chinois, la calligraphie est un art à part entière qui ne peut être dissocié de la peinture et de la poésie. Et les jeunes s’y adonnent volontiers.

 

Un calligraphe aujourd’hui en Chine

 

 » Au commencement était le trait ! » Ainsi semble naître la civilisation chinoise, par la trace d’un simple trait, sur du papier ou de la soie que laisse le pinceau que l’on a mis pour la première fois dans la main d’un jeune inculte, d’un illettré. Il lui est impossible de se douter qu’il vient d’écrire le pictogramme chinois le plus simple: 一 (yi), qui signifie « un ». Bien sûr, tout au long des siècles de l’histoire de la Chine, les traits se sont multipliés, leurs tracés se sont complexifiés pour donner naissance à la civilisation de l’empire du Milieu : harmonieuse, généreuse, sage et endurante, mais compliquée à loisir. L’écrit joue un rôle clé dans la communication entre les innom- brables dialectes que compte le pays, dans l’éducation et dans la transmis-sion de la sagesse ancienne.

Avouons-le tout bonnement, même ceux qui, parmi nous, les Européens, de plus en plus rares, ont appris à l’école primaire à faire des pleins et des déliés avec leur porte-plume trempé dans l’encre, nous sommes des nains en graphisme, par rapport aux Chinois, pour lesquels la calligraphie est un art à part entière. Cette discipline qui consiste à apprivoiser son pinceau ne peut d’ailleurs pas être dissociée de deux autres arts : la peinture et la poésie.

 

La calligraphie et l’éternité sont-elles des sœurs ?

À la question que posent souvent les étrangers, apprentis en caractères chinois : « Combien faut-il de temps pour devenir un bon calligraphe ? » Beaucoup de Chinois n’osent pas leur répondre la vérité, de peur de les décourager : « Il faut une vie entière ! » Souvent, lors de grandes cérémonies comme les mariages, les funérailles ou diverses célébrations, à la porte d’entrée, on tend aux invités un pinceau trempé dans l’encre de Chine pour qu’ils signent leur nom, ou citent un vieux proverbe de bon auspice, sur une énorme pièce de soie, une sorte de livre d’or, qui sera conservée pour faire mémoire de l’événement. Votre niveau de culture calligraphique apparaît alors en plein jour et vous êtes jugé sur la façon dont vous maîtrisez le pinceau. La formation des caractères ne doit pas seulement être correcte, c’est-à- dire dans le bon ordre des traits, elle doit aussi être porteuse de sens et esthétiquement agréable à l’œil.

La calligraphie chinoise comporte de nombreuses contraintes. Pourtant celles-ci ne paralysent ni l’imagination ni la fantaisie. Quand on possède bien cet art, on accède à une nouvelle forme de liberté qui permet de mettre en valeur des sentences parallèles 1 , une expression ou un caractère.

Les lettrés compétents jouent avec les pressions ou les relâchements du pinceau pour densifier ou alléger les traits. Ils insufflent vie au texte et lui procurent une respiration par le jeu des espaces blancs et des espaces encrés. Par allusion, la peinture est évoquée comme une poésie sans paroles, les vers sont calligraphiés comme une peinture non illustrée. Là où le texte s’avère impuissant à rendre le sens, l’illustration prend la relève.

 

La véritable nature de la calligraphie

La calligraphie n’est pas un métier spécialisé ni une technique de haut niveau. C’est une discipline spirituelle pratiquée par l’élite intellectuelle et sociale des lettrés chinois. Ils trouvent, dans cette activité, le moyen d’expression et d’accompagnement d’une expérience intérieure dont le but est le perfectionnement de soi et la réalisation d’une communion avec l’univers. Les plus anciennes traditions chinoises prêtent à l’écriture un pouvoir magique. À cette époque, l’écriture était considérée comme une prise de possession de l’univers dont elle sondait et perçait les secrets.

 

Une douloureuse rupture

Hélas, beaucoup de gens sont habitués à taper des caractères sur leur ordinateur, à les griffonner au stylo-bille. Ils ne savent plus vraiment les écrire. Plus grave encore : la calligraphie, art traditionnel chinois, n’est plus enseignée et pratiquée dans les écoles, mais seulement par des spécialistes et dans de rares endroits où cette spécialité est confinée : souhaits de mariages ou de promotion professionnelle, annonces officielles, règlement, textes funéraires, etc.

 

Pouvoir du calligraphe

Jusqu’à une époque récente, toute organisation sociale (famille, usine, bureau, commerce, entreprise) comportait, en son sein, une ou un calligraphe âgé qui s’est imposé au long des années. La personne est reconnue non seulement pour son habilité à tracer à l’encre de Chine bien noire de beaux caractères, mais aussi à discerner ce qui est raisonnable et sage d’écrire dans, par exemple, une annonce officielle (revendications, grèves, excuses), elle sait qu’elle sera jugée, à terme, long et sinueux, sur la justesse de ses vues.

C’est ainsi que l’on voit, dans des régions d’influence chinoise, des jeunes venir solliciter des sages chinois, leur demandant d’écrire quelques caractères calligraphiés. Certes, il faut qu’ils annoncent à leur entourage un message bien spécifique, mais ils ont surtout besoin de dialoguer avec le vieux savant. Ils veulent prendre une leçon de philosophie chinoise 2 et se baigner, durant quelques heures, dans la culture de leurs ancêtres.

 

P. Pierre Jeanne, MEP

 


 

1. Les sentences parallèles (對联, duilian), sont des formules de bon augure, traditionnellement écrites à l’encre noire sur des bandes de papier rouge qui sont collées de part et d’autre de la porte d’entrée au moment du Nouvel An chinois (la fête du Printemps 春莭), signes extérieurs de renouveau.

2. Notons que le mot « philosophie » n’existait pas en chinois avant l’arrivée des étrangers. La philosophie occidentale est considérée comme une conception générale, une vision du monde et de la vie, toujours en évolution. Celle-ci n’existait pas en Chine. Les lettrés vivaient dans un environnement qui évoluait peu, faits d’anciennes traditions qui venaient du taoïsme, du confucianisme, du bouddhisme et surtout du Livre des mutations Yi Jing (易經). Ces courants d’idées très anciens datent de plusieurs siècles avant J.-C.

Le Yi Jing, qui est l’un des textes fondamentaux de la civilisation chinoise, ne peut être considéré comme un ouvrage philosophique.


CRÉDITS

Revue MEP