« Je sais en qui j’ai mis ma confiance »

Le père Maria Paschal George avec les soeurs salésiennes, Ile Maurice

Je me souviens distinctement de ma première messe après l’ordination. Mon oncle, évêque, a débuté ainsi : « De la baie Bleue aux Blue Hills (pour dire que je sortais du bord de la mer à un autre diocèse situé sur la montagne Blue). Aujourd’hui, je veux le dire différemment : de la baie Bleue de l’autre côté de l’océan Indien, de l’extrémité de l’Inde, à la baie Bleue, de ce côté de l’océan Indien, à l’île Maurice. » C’était en 1970, alors que l’été touchait à sa fin. Avec une grande appréhension, j’ai gravi les marches de la cure et timidement frappé à la porte. Le curé est apparu et m’a scruté : « Eh bien… Qu’est-ce qui t’amène ici ? » Tremblant, j’ai commencé :  « Je souhaite entrer au séminaire. » Son visage s’est illuminé et il m’a accueilli comme s’il m’attendait. Il a continué : « C’est ton père qui t’envoie ? » « Non, c’est moi qui viens… » Il n’a posé aucune question, se conten- tant de me dire : « Prépare-toi pour la sélection dans deux semaines. » C’est ainsi que tout a commencé. À l’âge de 13 ans, je suis entré au petit séminaire. Tout en résidant là-bas, j’ai poursuivi mes études secondaires. La joie et la paix m’habitaient, mais quelque chose me troublait. J’ai alors trouvé le courage de confier à mon directeur de séminaire mon désir de devenir missionnaire dans le nord de l’Inde. Mes parents étaient réticents en raison des persécutions de toutes sortes là-bas. Après avoir passé mon Higher School Certificate (HSC), en 1973, j’ai formulé ma demande auprès d’un autre diocèse, celui d’Ootacumund, situé à près de 700 km de chez moi, dans le même État du Tamil Nadu. L’évêque de ce diocèse m’a accueilli avec grande joie. Peut-être parce qu’il était le directeur du grand séminaire où mon frère étudiait. Il m’a envoyé à l’université pour poursuivre mes études. Après avoir terminé mes études de philosophie à l’université de Madurai, j’ai intégré le grand séminaire de Saint-Pierre, à Bangalore, pour étudier la théologie. Et voilà le grand jour ! Le 25 avril 1984, le Seigneur m’a consacré de son onction.

Mission dans le diocèse

Juste après mon ordination, j’ai été nommé vicaire dans une paroisse dédiée à Marie. C’était une immense joie, pour moi, de me retrouver sur le terrain, visitant les familles, encadrant les jeunes, et accomplissant fidèlement toutes les tâches confiées par mon curé. Au bout de deux ans, mon évêque m’a nommé curé d’une autre paroisse. Cette nomination si rapide m’a surpris, mais je me suis rappelé que « celui qui m’a appelé était toujours avec moi ». Mettant ma confiance en lui, j’ai commencé mon ministère. Ce fut une expérience enrichissante dans une petite paroisse, où je me suis battu pour les droits des plus démunis, souvent opprimés par les familles de haute caste qui y résidaient. Trois ans plus tard, mon évêque m’a muté dans une autre grande paroisse, puis, deux ans après, dans une autre. Malgré ces changements, ma proximité avec mon peuple m’a apporté beaucoup de joie. Mais, une fois de plus, j’ai ressenti un vide, comme celui que j’avais connu au petit séminaire. Après beaucoup de prières et de réflexions, j’ai exprimé à mon évêque le désir d’être envoyé « ailleurs », en tant que missionnaire. À ma grande surprise, il a accueilli ma demande avec joie, affirmant : « Même si cela signifie un manque de prêtres, je ne m’opposerai jamais à ceux qui veulent travailler pour notre Église-sœur. » Ces paroles m’ont grandement encouragé, et après un certain temps, il m’a envoyé en France en tant qu’aumônier des catholiques indiens à Paris.

Celui qui m’a appelé est toujours avec moi

En arrivant à Paris, j’ai constaté que l’aumônier émérite avait déjà quitté son poste sans aucune transition. Je devais tout chercher moi-même. C’était un grand défi, mais celui qui m’a appelé était toujours présent. Sa présence m’a constamment fortifié. Petit à petit, j’ai commencé à rencontrer les familles de la communauté indienne, les découvrant et les rencontrant dans différentes régions. Mon ministère s’étendait. Résidant à Paris, je courais de Strasbourg à Marseille, d’Angers à Reims, pour les rencontrer, les soutenir, les relever. C’était une belle expérience, me rappelant saint Paul qui avait fondé plusieurs petites Églises au cours de ses voyages. À la fin de mon mandat d’aumônier, j’ai rencontré feu père Raymond Rossignol, supérieur des Missions Étrangères de Paris, et lui ai exprimé mon désir de partir vers une autre mission, vers l’inconnu.

« Tu m’as appelé…Me voici »

Quelques semaines plus tard, le père Rossignol m’a appelé et m’a dit : « Il y a une demande de l’île Maurice. Veux-tu partir ? » Ouuuaaah ! Est-ce cela que mon cœur cherchait ? Mon cœur exultait au plus profond de moi. Sans savoir où cela se trouvait, sans savoir où j’irais, j’ai dit : « Oui, mon Père. » Et j’ai confié tout cela entre les mains de Marie, qui m’accompagne depuis le début de mon parcours.

La porte d’un nouvel horizon s’ouvre

J’ai atterri à l’île Maurice le 3 décembre 1997, le jour de la fête de saint François-Xavier. Ce jour a fait surgir en moi de nombreuses émotions, car c’est lui qui est venu chez nous proclamer l’Évangile. Nos ancêtres étaient issus de saint François-Xavier. Ce qu’il nous a donné, nous le transmettons fidèlement à notre tour. J’ai été très chaleureusement accueilli par le père Henri Petitjean, le père Guichoux et le père Joseph Viot. Cette chaleur d’amitié et de fraternité ne m’était pas étrangère. Je les avais connus pendant plus de cinq ans à la Maison MEP à Paris. À la suite, j’ai rencontré notre évêque, Mgr Maurice Piat, qui m’a nommé vicaire de la paroisse du Sacré-Cœur à Rivière-des-Anguilles, aux côtés du grand âme, le père Robert Giraud. Je suis arrivé le 20 décembre et, le 24 décembre, j’ai célébré ma première Noël. Les gens m’ont accueilli avec beaucoup de sourires, mais aussi avec un air sombre. « Li ene Indian li. Li ene monper hindou li… Li ene malbar baptisé, li ene madras baptisé… » Chacun exprimait ses sentiments. Mais cela ne dura que très peu de temps. Ma visite aux familles avec Désiré Esther, le président de la paroisse, fut une grande grâce. Cela a dissipé tous les doutes. La pastorale prenait une autre envergure. Je me suis mis à réfléchir sur mon parcours. De l’Inde, en passant par Paris, pour finalement atterrir à l’île Maurice. « Oui, lui seul m’a conduit par un chemin de détours » (Dt 33, 10). Après mes débuts en Inde, j’ai toujours cru qu’on ne pouvait jamais oublier sa première paroisse et son premier curé. Oui, une fois de plus, c’est vrai. Je rends grâce à Dieu chaque fois que je pense à mes débuts à Rivière-des-Anguilles. « […] Et chaque fois que je prie, je le fais avec une grande joie »(Ph 1, 3-4). Avec un cœur lourd, en 2003, ils m’ont laissé partir quand notre évêque m’a nommé à Sainte-Anne, Stanley. « Celui qui m’a envoyé est toujours avec moi » (Jn 8, 29). Une nouvelle expérience sur le terrain de Sainte-Anne et Sainte Odile. Entouré de ces deux patronnes, j’ai trouvé beaucoup de joie dans mon ministère. Les visites aux familles m’ont toujours apporté courage, réconfort et force. Quinze ans à Sainte-Anne. C’est la première fois que je vis un ministère aussi long. Et, en 2018, j’ai reçu ma nouvelle nomination à Sainte-Marie-Madeleine, à Pointe-aux-Sables. Cette nouvelle nomination m’a rapproché de Marie-Madeleine que je ne connaissais que de nom. Une merveille, une nouvelle
aventure sur le chemin de Marie-Madeleine qui nous montre la seule chose nécessaire : « Ne pas regarder ses chutes, mais fixer son regard sur le Christ qui nous tend la main. » Découvrir cette sainte femme est devenu une grande passion et une grande joie pour moi. Aujourd’hui, mon plus grand bonheur, c’est parler et prêcher à son sujet et guider mon peuple pour trouver, en elle, une raison d’espérer.

 Ma force est en lui…

Je regarde mes quarante ans de vie avec beaucoup de gratitude. Un chemin parcouru avec beaucoup de joie et un ministère accompli avec une grande confiance dans le regard miséricordieux du Christ. Ma deuxième force est la joie de mon peuple, confié à ma charge. Son sourire est toujours ma force, celle qui me relève. Sans me laisser décourager, je continue à marcher sur le chemin de celui qui m’a appelé, puisant dans la grâce du Seigneur et dans le beau sourire de mon peuple. Je sais en qui j’ai mis ma confiance. Je revois mes quarante ans de service à l’Église. Une vie de témoignage de dévouement, de persévérance et de foi profonde. C’est un parcours marqué par des hauts et des bas, des moments de joie et de difficultés, mais, surtout, par un engagement constant envers les valeurs et les enseignements de l’Évangile. Cela offre l’opportunité de réfléchir sur les nombreuses façons dont la foi a été mise à l’épreuve, renforcée et enrichie. C’est un moment pour se rappeler des leçons apprises, des relations nouées, des expériences spirituelles vécues et des bénédictions reçues. C’est également un moment pour exprimer ma gratitude envers ceux qui m’ont soutenu et accompagné tout au long de ce voyage : les membres de ma famille, mes amis, mes autorités ecclésiastiques et tous ceux qui ont partagé leur témoignage et leur amour. Enfin, atteindre quarante ans de service dans l’Église est l’occasion de se tourner vers l’avenir avec un esprit de reconnaissance et de détermination renouvelée. C’est un moment pour continuer à servir mon Seigneur et mon Église, ma mère avec zèle et joie.

P. Maria Paschal George, MEP