Cela fait quatre ans que je vis et que j’étudie en Corée. C’est une durée qui n’est ni très courte ni trop longue, mais elle m’a suffi pour apprendre beaucoup, comprendre, et aussi pour me permettre de vivre des expériences précieuses, de bons souvenirs sur les gens ou encore sur la culture d’un beau pays qui gagne à être connu : la Corée.
La diffusion de la culture sud-coréenne
La vague coréenne Hallyu – ce mot signifie que la Corée cherche à propager sa culture à l’international et à se présenter au monde au moyen de films, de groupes de musique comme la K-pop (BTS, BigBang) ou par des acteurs populaires comme Lee Min Ho, Song Jong Ki, ou Suzy – devient de plus en plus populaire dans le monde, y compris au Vietnam. Cette vague de Hallyu a créé chez les jeunes le rêve et le désir d’aller un jour en Corée pour rencontrer les idoles du cinéma coréen, ou assister une fois à leur concert. Pour ma part, je me souviens bien, lors de mon année de seconde au lycée, du film La Jeunesse joué par Nha Phuong et Kang Tae Ho. Il s’agit d’un film coréo-vietnamien qui raconte l’histoire de Thuy Linh – jouée par l’actrice Nha Phuong –, une jeune fille innocente qui est parvenue à réaliser son rêve de voyage en Corée pour étudier et assouvir sa passion pour la culture coréenne au pays de Kimchi (la Corée). Cette jeune fille a commencé une vie indépendante dans un pays étranger en obtenant une bourse dans une université. Le personnage principal mène une vie passionnante en Corée. Ce film a inspiré un public nombreux, en particulier les adolescents de 14-15 ans comme moi, et a nourri leur rêve d’aller découvrir et d’étudier dans un pays aussi romantique que la Corée. Pour moi, ce rêve est enfin devenu réalité. En 2017, après avoir décroché le baccalauréat, j’ai entamé les démarches pour obtenir un visa d’étude en Corée. Dès lors, j’ai quitté la protection de ma famille et de mes amis pour aller réaliser mon rêve, seule, dans un pays étranger. Je me suis sentie comme un « Robinson » dans la Corée moderne et active. De là, j’ai commencé à explorer la vie coréenne. Ce temps pour vivre, étudier et travailler au pays de Kimchi me permet d’acquérir de précieuses expériences, d’inoubliables leçons et de me faire grandir. J’ai l’impression que la fille fragile et maladroite que j’étais devient une fille plus solide et mature.
Les quatre saisons
En Corée, il y a quatre saisons. Je trouve que le printemps et l’automne sont doux, un peu frais le matin et le soir, et il fait bon le reste de la journée. L’été, chaud et humide, est similaire à l’été dans le nord et le centre du Vietnam. Parfois, la température peut aussi monter jusqu’à 30-35° C en été. L’hiver coréen est très froid et plus rigoureux que l’hiver au Vietnam, et la température peut descendre jusqu’à -10° C. Le premier jour où je suis descendue de l’avion en Corée, j’ai été gelée un moment à cause du froid. C’était un jour du mois de novembre, le temps n’était pas le plus froid, mais, pour une jeune fille du centre du Vietnam, habituée au vent chaud du Laos qui souffle toute l’année, j’avais l’impression d’être assise dans la glacière de ma mère à ce moment-là. En Corée, il neige beaucoup en hiver. Il y a des jours où tout le ciel est blanc. La neige couvre toute la surface, à tel point que nous ne voyons qu’elle. La route devient glissante et dangereuse. Mais, lorsque la neige fond, avec le vent froid, la peau devient sèche, l’environnement est humide et sale. Alors les premiers jours, j’ai eu du mal à m’adapter, je n’ai pas osé sortir et j’ai préféré rester dans ma chambre. Chaque fois que je devais sortir, je me suis emmitouflée complètement, sauf les deux yeux.
L’apprentissage du coréen
Avant de partir en Corée, j’ai eu très peu de temps pour apprendre la langue. C’est pourquoi, dans les premiers jours suivant mon arrivée, j’ai eu beaucoup de difficultés pour communiquer avec les Coréens et les professeurs. Même pour des choses très simples comme aller acheter quelque chose au supermarché, il me fallait beaucoup de temps pour chercher les produits et comprendre ce qui était écrit dessus. À l’école, je trouvais que l’enseignement des professeurs ressemblait aux sons du vent soufflant dans les oreilles. C’était très difficile. L’école de langue où j’ai étudié avait des horaires assez stricts par rapport aux autres écoles. Tous les jours, de 9 heures à 12 heures, les professeurs donnaient des cours et transmettaient des connaissances. De 13 heures à 16 heures, les étudiants devaient faire des devoirs et apprendre des listes de vocabulaire sous la surveillance des tuteurs ou tutrices. Au bout d’un an d’étude de la langue, j’ai réussi le niveau quatre sur six (examen de capacité en langue coréenne), alors que je partais de zéro et j’ai pu ainsi commencer à réaliser mon rêve.
Arrivée en faculté, je croyais que mon niveau de coréen était correct et que je serais tout à fait à l’aise pour faire des exposés comme mes amis coréens. J’espérais obtenir ensuite de nombreuses bourses. Mais ce n’était qu’un rêve. Car la spécialité est déjà difficile pour les étudiants coréens, et donc d’autant plus difficile pour une étudiante étrangère comme moi qui ai obtenu seulement le niveau quatre sur six en langue coréenne. À partir de la troisième année de la faculté, il y a beaucoup de devoirs à faire, à tel point qu’il y a des jours où ils sont empilés. Même en restant travailler jusqu’à 2 heures ou 3 heures du matin, je n’arrive pas à tout faire. Certains jours, je devais travailler en groupe avec d’autres étudiants coréens. Le pire, c’est que je ne comprenais même pas ce que je devais faire, quels documents je devais préparer et que je n’osais pas demander aux autres. De toute façon, même si j’avais demandé, personne ne s’en serait soucié, car s’ils avaient essayé de m’expliquer, cela aurait pris du temps et le travail du groupe aurait été retardé par rapport à celui des autres. À ce moment-là, je me suis sentie comme un petit moineau bien faible, perdue dans un nouvel environnement, parmi des gens très élitistes. Je ne comprenais pas, je ne pouvais pas suivre le travail du groupe, je me sentais complètement perdue. Les professeurs sont en général occupés et prêtent peu d’attention aux étudiants étrangers. Parfois, il y a aussi des professeurs qui n’aiment pas avoir des étudiants étrangers dans leurs cours. À ce propos, j’ai un vif et douloureux souvenir. En première année, je me suis inscrite au cours d’un professeur qui était réputé pour ne pas aimer les étudiants étrangers. Il semblait que ce professeur n’avait pas beaucoup de sympathie, en particulier pour les étudiants vietnamiens. Au début, tout paraissait normal, mais, progressivement, il a commencé à faire des comparaisons pas toujours bienveillantes. Il a comparé le Vietnam et la Corée, le Vietnam et la Chine, etc. En fait, j’ai bien compris, mais j’ai fait semblant de ne pas saisir afin d’éviter des disputes inutiles avec ce professeur. Finalement, ce semestre-là, presque tous les étudiants étrangers ont eu de très mauvaises notes. Et, pour la première fois, j’ai perdu ma bourse à cause de cela.
Un coût de la vie élevé
La vie en Corée est très chère. Tout est cher. Alors qu’il y a beaucoup de choses que je dois acheter et payer. J’ai besoin d’argent pour payer mes études, mon logement, les transports, les frais de subsistance (nourritures et autres), etc. En plus, j’envoie une somme à la maison tous les mois pour rembourser la dette que mes parents ont contractée afin que je puisse partir en Corée. Le montant emprunté était de près de 15 000 dollars américains. C’est une grosse somme pour mes parents qui vivent à la campagne grâce à quelques petits hectares de rizière. Rien que le remboursement des intérêts est déjà difficile, alors il est encore plus difficile de rembourser la totalité de la somme empruntée. C’est à cause de cela que tous ceux qui viennent en Corée pour étudier recherchent rapidement un emploi à temps partiel afin d’avoir de quoi vivre. Il en est de même pour moi. La plupart du temps, je vais à l’école en journée et je travaille jusqu’à tard le soir. Il y a des jours où je travaille jusqu’à 2 ou 3 heures du matin, puis je rentre à la maison, je me douche et je m’endors vers 4 ou 5 heures du matin pour me réveiller souvent avant 9 heures afin d’arriver en cours à l’heure. C’est encore plus difficile en hiver car il fait froid et je suis fatiguée. Parfois, j’étais tellement fatiguée que je me suis endormie pendant le cours sans pouvoir résister. Ce sont les professeurs et les amis qui m’ont réveillée. Le temps de sommeil me manque terriblement ! J’ai également un régime alimentaire léger, faute de temps. Je finis normalement les cours vers 16 heures, puis je dois rentrer à la maison, ensuite me changer et manger rapidement et, souvent, une soupe de nouilles coréennes ou un hamburger, avant de prendre le bus pour aller travailler.
Récemment, il y a eu une histoire tragique : en rentrant fatiguée du travail, un étudiant vietnamien, à Taeku, s’est endormi et ne s’est plus jamais réveillé. Cette histoire s’est largement répandue sur les réseaux sociaux et a attiré beaucoup d’attention, notamment dans le monde des étudiants. Il y a un autre souci majeur pour les travailleurs, surtout les étudiants. Nous avons parfois la malchance de tomber sur de mauvais patrons, qui nous paient avec des salaires de misère ou, pire encore, qui retiennent longtemps nos salaires. Je pense souvent que la vie des étudiants est difficile. Ils doivent surmonter tant d’épreuves, payer le prix de leur santé ou de leur vie pour suivre leur rêve. En raison de la loi en vigueur, les étudiants internationaux en Corée ne sont autorisés à travailler que vingt heures par semaine, du lundi au vendredi. S’ils transgressent la loi, ils sont condamnés à différentes peines. Ils peuvent être privés du droit de travailler, perdre leur visa ou même être expulsés de Corée. Le retour au pays dans ces conditions fait l’objet de commérages malveillants des amis et voisins. Surtout, ce qui est le plus difficile, c’est que les parents ont du mal à supporter les nombreuses dettes accumulées.
Surmonter les obstacles
Même si la vie est difficile, il faut surmonter les obstacles. Les premiers jours en Corée, j’ai beaucoup pleuré, parce que la maison et les parents me manquaient. Je me souviens encore du premier mois, je pleurais toutes les nuits, mais je n’osais pas appeler mes parents, j’avais peur qu’ils pleurent aussi, parce qu’ils sentaient qu’ils me manquaient et ils s’inquiétaient pour moi. Avec le temps, la période la plus difficile est passée. J’ai commencé à mieux supporter la vie loin de la famille. Mais, à l’occasion de grandes fêtes, comme la fête du Têt, lorsque des amis vietnamiens postent des photos sur les réseaux montrant qu’ils sont heureux, qu’ils sortent et s’amusent ensemble, je me sens un peu misérable. Comme ces amis, moi aussi je souhaite être auprès de mes parents et partager un repas de fête en famille ou sortir m’amuser avec eux. J’avais envie de pleurer, mais je me suis rappelé que c’était mon libre choix de partir réaliser mon rêve. Une fois, j’étais très malade. Je m’en souviens encore très bien. J’avais une forte fièvre, mais je n’osais pas appeler ma mère, de peur que mes parents s’inquiètent. Même si je n’avais plus de force, je me suis forcée à me lever pour aller acheter des médicaments et préparer moi-même un peu de soupe. Cette nuit-là, j’ai failli m’évanouir, parce que j’étais si fatiguée. Le lendemain, quand ma mère m’a appelée, j’ai fait semblant d’aller bien, j’ai menti totalement en disant : « Je mange toujours bien et sainement. Mes études se passent normalement. Pas de problème. » J’avais trop peur que mes parents s’inquiètent si je disais la vérité et, qu’à cause de moi, ils ne puissent pas dormir eux aussi. Mes parents auraient pu tomber également malades parce qu’ils s’inquiétaient trop pour moi.
La communauté catholique
La vie des étudiants étrangers est faite de nombreuses vicissitudes. Elle est dure, mais, au fil du temps, j’ai appris à m’adapter à la vie en Corée. Enfin, je me suis rendu compte que la vie en Corée n’est pas faite seulement d’épreuves et de difficultés, mais que je pouvais faire également de très belles expériences. Quand j’étais au Vietnam, j’aimais bien participer activement aux différentes activités de ma paroisse, comme la chorale, des lectures de messes, différents mouvements de la jeunesse, etc. En Corée aussi, je souhaite rejoindre la communauté catholique vietnamienne afin de pouvoir assister à la messe dominicale chaque dimanche, écouter les homélies dans ma langue maternelle, rencontrer les prêtres et les sœurs, et des amis. Ainsi, nous pouvons échanger nos joies et nos peines de la vie en tant qu’étrangers et aussi soulager le mal du pays. Mais c’est un peu dommage qu’il n’y ait pas de communauté catholique vietnamienne là où je vis. Si je veux assister à la messe en vietnamien, je dois me rendre dans une autre ville. Malgré tout, j’essaie de participer à la messe dans une paroisse coréenne avec des amis, même si je n’arrive pas à tout comprendre. Grâce aux messes dans les paroisses coréennes, j’ai pu rencontrer les prêtres et les sœurs coréens qui nous accueillent avec bienveillance, nous encouragent et nous aident si nous avons des difficultés ou des problèmes. Ils organisent aussi souvent des rencontres nous permettant de découvrir la culture coréenne.
Pour moi, la Corée est toujours belle, douce et pleine de passions et de rêves. Ce pays est comme une aquarelle avec des couleurs différentes, très magique, et qui a créé ses propres caractéristiques uniques, que l’on ne trouve qu’en Corée. Bien que je n’habite pas dans ce beau pays depuis très longtemps, chaque minute, chaque souvenir, chaque image me sont précieux. Puis, dans quelques années, quand je retournerai au Vietnam, les souvenirs vécus en Corée deviendront mon bonheur et une grande fierté pour moi. J’aime à jamais ce beau pays, avec une vraie passion, malgré les efforts inlassables que je dois consentir. La Corée à qui je confie ma jeunesse, mes espoirs et tous mes rêves.
Pham Thi Phuong Linh
Traduit du vietnamien par le père Pierre Nguyen Duc Tin, MEP
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MEP