Je suis retourné début janvier à l’ashram de Ramana Maharshi (1879-1950), le sage de Tiruvannamalai qui a marqué de façon indélébile l’Inde contemporaine. Immédiatement, je me suis rendu au samadhi – le tombeau où son corps repose. C’était au milieu de l’aprèsmidi, à l’heure où les brahmanes allument les lampes à huile pour la prière du soir. Comme chaque jour, les pèlerins marchaient religieusement autour du samadhi. Le bruit régulier de leurs pas ne dérangeait pas ceux qui se tenaient immobiles en silence. Je me suis assis parmi eux, face au portrait du guru au regard inoubliable. J’ai laissé le recueillement prendre possession de mon être à mesure que remontait à ma mémoire la description que le bénédictin Henri Le Saux fit de sa rencontre avec le Maharshi : « Dans ce sage d’Arunachala et de ce temps, c’était le Sage unique de l’Inde éternelle qui m’apparaissait, c’était la lignée jamais ininterrompue de ses sages, de ses renonçants, de ses voyants, c’était comme l’âme même de l’Inde qui perçait jusqu’au plus intime de mon âme à moi et entrait avec elle en communion mystérieuse. C’était un appel qui déchirait tout, qui fendait tout, qui ouvrait tout grand un abîme… »
Le lendemain, je suis monté à la grotte de Virupaksha et au Skanda Ashram où Ramana vécut de 1900 à 1922. À l’âge de seize ans, le jeune brahmane du Pays Tamoul fit une expérience spirituelle fulgurante dans laquelle il réalisa que le mystère qu’il portait en son être était l’Absolu, sans naissance et sans mort, océan de félicité, lumière impérissable. Ivre de l’Éternel, il quitta tout pour s’enfoncer dans les entrailles d’Arunachala jusqu’à ce que ses disciples l’implorent de résider dans l’ashram qu’ils lui construisirent. Cependant, soit dans sa grotte solitaire ou au milieu des foules innombrables, le maître n’avait qu’une seule parole : celle d’un silence toujours plus parfait qui nous appelle dans les profondeurs du coeur. En ce sens, Ramana était comme une nouvelle manifestation de Dakshinamurti, le jeune guru de la tradition hindoue dont le silence débordant de joie intérieure est l’enseignement suprême, plus puissant et plus vaste que toutes les Écritures réunies.
De la solitude des grottes au chant des Védas près du samadhi, de la rencontre du petit-neveu de Ramana au pèlerinage autour de la montagne sacrée, ma nouvelle venue à Tiruvannamalai n’avait pas d’autre but que d’entrer toujours plus en avant dans le silence que le sage nous a laissé en héritage. Ce faisant, je rejoignais le flot ininterrompu de tous ceux qui, depuis un siècle, viennent à l’ashram pour bénéficier de sa présence bienfaisante qui transcende le temps et l’espace. J’étais là parmi les humbles paysans pleins de confiance envers leur gourou immortel, parmi les brahmanes dont les parents servaient Ramana, parmi des intellectuels indiens en quête d’authenticité religieuse et parmi les fidèles étrangers pour qui Arunachala est un phare spirituel. « Sentiment envahissant de l’unité : tous à ses pieds, si différents les uns des autres – par nos psychologies, nos réminiscences, nos appels : hindous, musulmans, chrétiens, incroyants, nous nous sentions de sa famille » (Jules Monchanin).
P. Yann Vagneux, MEP
CRÉDITS
Y. Vagneux