Les pérégrinations de Chinois en France

Publié le 11/10/2024




En mai et juin derniers, le père Matthieu Masson a accompagné en France un groupe d’une quarantaine de pèlerins de sa paroisse de Hong Kong.
Père Matthieu Masson et pèlerins chinois en visite à Lisieux.

Père Matthieu Masson et pèlerins chinois en visite à Lisieux.

 

Organisé par l’équipe de la Trinité, la plus dynamique des quinze « communautés chrétiennes de base » de la paroisse, ce pèlerinage était prévu il y a quatre ans, mais il a été reporté à cause du Covid. À la fois participant et témoin de ces pérégrinations de Chinois en France, je vous en raconte quelques moments significatifs. C’est aussi une façon de remercier ceux qui font vivre les communautés et les sanctuaires de France et qui nous ont permis d’y faire une belle expérience. Évidemment, il fallait leur montrer le meilleur du pays et de l’Église, et ce qui était susceptible de leur plaire. Ce n’est pas trop difficile, car la France est un très beau pays, avec un temps très agréable, ni chaud, ni froid, nous avons l’impression d’avoir la climatisation dehors. Il y fait clair tôt le matin et tard le soir, il y a des couchés de soleil orangés qui durent très longtemps. Nous y mangeons bien, même pour des Chinois. Elle est couverte d’églises, ses paysages sont magnifiques, et il y a de bonnes autoroutes. À part ceux de Paris, les sanctuaires sont accessibles, dans de petites villes et des villages très agréables et bien entretenus, et c’est dans ce genre de lieux que nous avons passé l’essentiel de notre temps.

De prime abord, Lisieux, entièrement reconstruite après-guerre, n’est pas une belle ville, mais le sanctuaire, qui gère l’accueil dans les différents lieux liés à la mémoire de sainte Thérèse, a un tel sens de sa mission et offre un tel accueil qu’il la rend belle. Au carmel, à la cathédrale, aux Buissonets et à la basilique, madame Panontin nous a introduits à la vie spirituelle de sainte Thérèse. Le soir, à l’Ermitage, nous avons pris le temps de nous dire pour qui et pour quoi nous voulions prier durant ces deux semaines. Les intentions les plus fréquentes étaient pour la paix, la santé et les jeunes. Il y avait, comme toujours, ce grand écart de nos prières entre des intentions très générales pour le monde, et celles pour soi-même et pour quelques proches en difficulté. Nous les avons ensuite portées dans les chapelets, prières et messes quotidiennes.

Après Lisieux, j’appréhendais le passage du pont de Normandie, car il était certain que la guide de l’agence nous inviterait à l’admirer. Comme il y en a un nettement plus grand à Hong Kong et que nous passons encore par trois ou quatre ouvrages de ce genre pour aller jusque Zhuhai, ils risquaient de ne pas être très impressionnés. J’ai donc pris les devants en expliquant qu’il y avait, bien entendu, des ponts plus grands en Chine, mais que celui-là n’était pas mal non plus, et que les Français en étaient très fiers. Ils l’ont trouvé très joli, et c’est vrai qu’il est beau.

 

Assemblées dominicales

En préparant ce pèlerinage, nous avions fait attention où nous serions les dimanches pour pouvoir nous joindre à des assemblées dominicales en français, et que les participants voient, ainsi, comment ça se passe. La liturgie de l’Église catholique en France présente, en effet, certaines particularités dont j’ai su qu’elles n’étaient que françaises qu’après avoir vécu un certain temps à l’étranger. La plus évidente et la plus déconcertante est que, pendant les messes, quelqu’un anime les chants en se tenant dans le choeur, comme si l’assemblée était une grande chorale. Mais une particularité, beaucoup plus intéressante, est celle des professions de foi. C’est dans la splendide cathédrale d’Amiens que mes paroissiens ont pu la découvrir. Les pères de la communauté Saint-Martin m’en avaient parlé comme quelque chose qui aurait pu nous gêner, mais, en fait, ça tombait bien. Comme j’ai dû expliquer le sens de cette cérémonie, il m’a paru plus évident et plus pertinent que ce que j’en avais compris lorsque je l’avais vécu de l’intérieur. Il s’agit simplement, pour des jeunes ayant été baptisés nouveau-nés, de faire une démarche d’adhésion à ce baptême. Mes pèlerins ont ainsi reconnu les éléments du baptême : la croix, dont on est marqué, soit lors du rite de l’accueil des catéchumènes, soit au début de la liturgie du baptême des nouveau-nés ; la profession de foi ; et les rites complémentaires du vêtement blanc et de la lumière. Ils ont trouvé la chose excellente, et peut-être que ça leur donnera des idées.

Pendant l’homélie, j’ai vu les impressionnantes fissures qui parcourent les piliers du massif sud et les voutes de la nef. Tout en supposant que des personnes compétentes s’en inquiétaient, et qu’elles ont soit jugé que ce n’est pas si grave, soit envisagé les moyens de faire tenir cette merveille pendant encore quelques siècles, je me réjouissais de la voir avant qu’elle ne s’effondre, et je méditais sur les choses qui passent.

 

Un ancien baptistère

En visitant la cathédrale, nous avons remarqué un très grand et très ancien baptistère rectangulaire, dont nous aurions aimé mieux comprendre le fonctionnement, c’est-à-dire comment se déroulaient les baptêmes pour lesquels il a été fait. Au contraire des baptistères encore plus anciens, et de ceux modernes tels que ceux de nos églises d’Asie, il n’est pas creusé dans le sol, mais surélevé, de sorte que le baptisé y montait, plutôt qu’il n’y descendait, comme nous descendons dans la mort du Christ pour en remonter. Cela suggère qu’à Amiens, il était plus important que le baptême soit vu de la foule, à moins qu’il ait été surélevé pour une autre raison qui nous a échappé. En tout cas, c’est cet objet qui nous a le plus intrigués, sans doute parce que les paroisses de Hong Kong vivent des grandes cérémonies de baptêmes d’adultes lors de la veillée pascale. Les pères de Saint-Martin ont donc raison de remettre ce baptistère en valeur. En outre, il paraît qu’il y a eu un record du nombre de baptêmes d’adultes en France cette année. Espérons qu’il sera battu l’année prochaine. Après Amiens et Arras, nous avons été accueillis au monastère de Bouvines par monsieur et madame Ebin, de la communauté du Chemin-Neuf. Ils nous ont ainsi permis de loger non loin de chez mes parents, chez qui la soirée était un moment très attendu des participants. Les façons d’être aimable des Chinois ne sont pas tout à fait les mêmes que celles des Français, et j’ai dû donner quelques indications à mes parents. Il fallait surtout qu’ils arrêtent de faire le service et se mettent au milieu pour une sorte de cérémonie au cours de laquelle ils recevraient les cadeaux que les uns et les autres leur avaient préparés : une calligraphie chinoise, une autre mongole, une vierge vietnamienne, une autre en broderie, des pots à thé et des thés, et même une bouteille de Cognac. Mes paroissiens voulaient aussi voir mon frère jumeau, qui est prêtre comme moi, et qui a passé la journée du lendemain avec nous. En réalité, nous avons toujours eu l’un et l’autre horreur d’amuser la galerie en tant que jumeaux. Mais, pour l’occasion, il s’est parfaitement prêté au jeu des photos. Avec les Chinois, si nous ne prenons pas de photos, c’est qu’il ne s’est rien passé.

Les centres historiques des villes du nord de la France, tels que ceux d’Arras ou de Lille, sont faits de rangs de maisons égaux. Nous y trouvons aussi un beffroi et des églises, mais pas de palais. Ces rangs de maisons reflètent l’ancienne structure politique de ces cités sans aristocrates, dotées de constitutions ou de chartes, et longtemps gouvernées de façon presque démocratique par les égaux du conseil échevinal. C’étaient des gouvernements sans histoire, du moins, ce sont des gouvernements dont les livres d’histoire ne parlent guère, puisqu’il y est surtout question de rois, d’empereurs et de dictateurs. Ce système politique a pourtant existé et il a fonctionné jusqu’à ce qu’au XVe siècle, les familles régnantes d’Europe se disputent ces villes, en prennent possession, dessinant les contours de pays qui deviendraient des nations. Lille n’est française que depuis 1668, avant elle était aux Espagnols et, encore avant, les gens de Lille n’éprouvaient pas le sentiment d’appartenir à une nation. Quelque part, cette histoire faisait écho à l’histoire plus récente de Hong Kong.

 

L’église de Bouvines

Comme nous n’étions pas loin, nous avons aussi visité l’église de Bouvines. Ses vitraux, datant de la fin du XIXe siècle, racontent la bataille de 1214, comme s’il s’était agi d’une guerre entre nations européennes. Nous y voyons Philippe Auguste mobilisant les Français contre les Allemands, les Flamands et les Anglais, et remporter la bataille au jugement de Dieu. Il n’est quand même pas très étonnant que, peu après avoir raconté l’histoire de cette façon, il y ait eu la Première Guerre mondiale. Nous avons aussi vu, plus tard, dans notre pèlerinage, la cathédrale d’Orléans, toute pavoisée de bannières qui doivent sans doute être celles de gens d’une branche légitime ou d’une autre. Les vitraux, qui racontent l’histoire de Jeanne d’Arc, sont de la même époque et du même tonneau que ceux de Bouvines. À l’évidence, ces scènes de mobilisations nationales et de guerres n’ont rien de très évangélique, et les voir dans des églises suscitait un certain embarras chez mes pèlerins. Pour nous en sortir, nous avons chanté la prière que l’on attribue à saint François : « Seigneur fait de moi un instrument de paix. » L’un des buts du pèlerinage était de raconter la vie et la vocation religieuse de Bernadette Soubirous, que j’aime beaucoup. Nous sommes donc allés à Lourdes, à Bartrès et à Nevers. À Bartrès, où Bernadette s’ennuyait à garder des moutons, alors qu’elle aurait préféré aller au catéchisme et faire sa première communion, vivent, aujourd’hui, une soeur italienne et deux soeurs malgaches qui viennent de reprendre l’accueil de « La Pastourelle ». Je n’avais pas réussi à les contacter, alors nous y sommes allés en espérant que ça s’arrangerait sur place. J’entendais quelqu’un passer l’aspirateur derrière la porte, j’ai sonné et me suis excusé d’arriver sans prévenir, face à quoi la religieuse s’est excusée plus fort que moi et s’est immédiatement rendue disponible pour nous accueillir et raconter l’histoire de Bernadette. Grâce à elle, nous avons passé une magnifique journée à Bartrès. L’un des charmes de cet endroit est d’être tranquille. Néanmoins, je m’étonne qu’il ne soit pas davantage fréquenté par les pèlerins de Lourdes.

 

Le sanctuaire de Rocamadour

L’accueil au sanctuaire de Rocamadour, par le père Florent Milet, fut aussi chaleureux qu’à Bartrès. Pour le deuxième dimanche de notre pèlerinage, nous pouvions nous joindre à une assemblée dominicale assez nombreuse, ce qui leur a encore donné une belle image de la vie de l’Église en France. Il y avait pour cette messe une petite chorale de huit personnes chantant à quatre voix. Comme nous chantons très peu en polyphonie à Hong Kong, et que nous jugeons plutôt une chorale au nombre de ses choristes, mes pèlerins ont été très impressionnés par une telle qualité de chant avec si peu de chanteurs. La messe a été suivie d’une procession du saint sacrement accompagnée par la chorale des enfants jetant des pétales de fleurs sur le chemin, ce qui fut, pour mes pèlerins, un autre moment mémorable.

Il y en eut d’autres, notamment à Vézelay, avec les Fraternités monastiques de Jérusalem. Nous devions terminer ce pèlerinage à Montmartre, avant d’aller à l’aéroport, mais Paris, c’est compliqué et les embouteillages nous en ont dissuadés. Finalement, la fin de notre pèlerinage a été sauvée par la paroisse de la cathédrale Saint-Louis de Versailles, qui, à l’improviste, nous a gentiment ouvert ses portes pour une eucharistie. Merci !

 

P. Matthieu Masson, MEP