Aventures missionaire

Séoul : l’hôpital de la Sainte-Famille

Publié le 13/01/2020




À une époque où tout s’achète, parler d’un hôpital gratuit semble une plaisanterie. Pourtant, depuis juillet 1990, il existe. Deux médecins et 30 infirmières salariés coordonnent chaque mois 800 volontaires.

Un missionnaire des Missions Étrangères de Paris, le Père Singer, a fondé en 1943 en Corée une congrégation religieuse appelée les Petites Servantes des Pauvres de la Sainte-Famille. Cette congrégation religieuse, sous la direction du Père Singer, a bien prospéré. Elle est devenue aujourd’hui une des plus grandes sociétés religieuses de Corée après les Sœurs de Saint-Paul-de-Chartres. Il y a aujourd’hui dans la congrégation 487 religieuses.

Dès le début, le souhait du Père Singer a été que les sœurs travaillent au milieu des plus pauvres. C’est pour cela que dans les années 1960, il a entrepris de construire un hôpital au service des pauvres dans un quartier nord de Séoul, à Mia-Kireum. Pas loin de l’hôpital, il y avait un quartier pauvre à Samyangdong. C’était un bidonville. Près de l’hôpital, il y avait aussi un quartier « chaud » appelé Mia Texas où des prostituées offraient leurs corps en échange de quelque argent. Cet hôpital était payant mais était déjà ouvert aux pauvres de ce quartier qui pouvaient y venir en payant ce qu’ils pouvaient.

Après la mort de leur fondateur, les sœurs ont entrepris de construire un grand hôpital à Pucheon, en banlieue de Séoul et Incheon. Elles ont alors vendu ce premier hôpital à un médecin. Mais, après quelques mois, ce médecin a rendu cet hôpital aux sœurs car il n’a pas réussi à le faire fonctionner. C’est à ce moment que les sœurs ont réfléchi à leur vocation d’être les Petites Servantes des Pauvres de la Sainte-Famille. Elles ont envoyé des sœurs dans les banlieues de Séoul pour voir comment les plus pauvres faisaient face à leurs problèmes de santé. Elles ont découvert qu’il était difficile aux pauvres de recevoir même les premiers soins dans les hôpitaux publics ou privés. Elles ont décidé ensemble de reprendre leur vieil hôpital et d’en faire un hôpital gratuit pour les plus pauvres.

Médecins bénévoles venus des grands hôpitaux

Cet hôpital a donc été ouvert en juillet 1990. Il est réservé aux personnes qui n’ont pas les moyens de se faire hospitaliser dans les hôpitaux publics ou privés. Cet hôpital a huit étages. Il y a un étage qui est ouvert tous les jours, surtout le samedi et qui fait office de dispensaire. Le samedi surtout, des médecins bénévoles viennent de grands hôpitaux pour faire des consultations. Parmi eux, il y a de grands spécialistes. Il y a aussi un étage pour les volontaires qui viennent à tour de rôle soit pour faire la cuisine, soit pour faire le ménage, soit pour laver les malades et les accompagner. Il y a environ chaque mois 800 volontaires qui font tourner cet hôpital avec l ’ équipe médicale permanente qui est composée de deux médecins et d’une trentaine d’infirmières salariées évidemment.

Pour faire tourner cet hôpital, les sœurs reçoivent des dons de toute la Corée. Cet hôpital ne reçoit aucune subvention de l’État ou de la ville de Séoul. La congrégation des sœurs en verse une partie, mais les dons proviennent de donateurs catholiques, protestants, bouddhistes ou sans religion. C’est cet élan de solidarité qui est remarquable. Cela montre combien les Coréens savent se montrer solidaires de leurs compatriotes les plus pauvres. Pour faire tourner cet hôpital, les sœurs doivent trouver chaque mois environ 200 000 euros. Et c’est cela le miracle. Depuis que cet hôpital existe, chaque mois les dons arrivent et permettent à l’hôpital de fonctionner normalement.

À 99 % on peut dire que ce sont des pauvres parmi les plus pauvres qui consultent : des personnes qui n’ont aucun revenu ou très peu, pas de salaire, pas de retraite, des personnes que leurs enfants ne peuvent pas aider. On y trouve aussi des travailleurs migrants qui ont été victimes d’accidents du travail et qui, n’étant pas assurés, ont du mal à régler les frais de soins dans les hôpitaux ou centre médicaux de la ville. Dernièrement, j’y ai rencontré un Nigérian, plusieurs Philippins, des Pakistanais, des Vietnamiens. L’hôpital a aussi un étage pour les soins palliatifs.

Malades du VIH Sida

Il y a aussi un étage pour les alcooliques qui exigent un traitement et une surveillance spéciale. On y rencontre aussi des malades du VIH Sida rejetés par les autres hôpitaux à cause de la peur que provoque cette maladie. Pour ne pas effrayer les autres malades, ces malades du Sida ne sont pas signalés comme tels.

Deux fois par semaine, l’hôpital organise aussi un repas pour les sans-abri ou les personnes qui ont du mal à se nourrir. C’est surprenant pour un pays développé tel que la Corée, mais il y a beaucoup de personnes qui y viennent, environ 200 à chaque fois.

Dans cet hôpital, outre le personnel salarié, une vingtaine de religieuses de la Sainte-Famille y travaillent. Elles y restent au moins trois ans, mais peuvent rester plus longtemps. Parmi ces religieuses, certaines sont infirmières.

Course à l’argent

Les séminaires diocésains de Corée envoient régulièrement des séminaristes en stage à l’hôpital pour un mois, deux ou trois mois. Cela leur permet de s’ouvrir aux plus pauvres de la société et au problème de la souffrance.

En s’engageant à animer cet hôpital ouvert aux plus pauvres de la société, la société des Petites Servantes des Pauvres de la Sainte-Famille est revenue aux sources, elle s’est mise au service des plus pauvres, ce pourquoi l’institution avait été fondée. Cela rappelle aux religieuses qu’on ne peut pas s’installer dans le confort.

Mais l’existence de cet hôpital témoigne aussi à la société coréenne de l’existence des plus démunis, ils sont à notre porte. La société coréenne aurait tendance à oublier cette réalité. On cache facilement la misère.

L’existence de cet hôpital qui fonctionne grâce au travail des volontaires et à la collecte des dons, nous rappelle combien les Coréens ont du cœur, combien ils sont capables de donner de leur temps, mais aussi de leur argent pour la cause des plus pauvres de la société. Ils nous donnent un exemple de solidarité. Malgré un développement rapide et une course à l’argent bien présente dans cette société libérale, beaucoup de Coréens n’ont pas perdu leur âme. En se montrant solidaires des plus pauvres de la société en faisant tourner cet hôpital avec leurs bras et leurs dons, ils nous invitent, à leur façon, à vivre l’Évangile dans le quotidien de nos vies, en nous rendant solidaires des plus pauvres. On peut les en remercier.

P. Emmanuel Kermoal, MEP