Peace Home est un centre dédié aux personnes polyhandiapées. Il est composé de trois grands dortoirs d’environ 30 lits chacun : celui des femmes, celui des hommes et celui des enfants. Dès le premier matin, j’ai été affectée à celui des 26 femmes. La journée commence tôt et est bien rythmée : il faut laver les pensionnaires, les habiller, les nourrir, les changer, faire le ménage, gérer le linge, réaliser ou apporter tout ce dont ces jolies femmes ont besoin pour vivre ! Elles ne quittent pratiquement pas leur lit, je me transforme donc en aide-soignante, en serveuse, en lingère, en femme de ménage, en clown, en aide à la vie.
Les premiers matins, je me suis demandé pourquoi j’avais voulu passer trois mois dans ce lieu. Au fil des jours, je comprends la raison de mon envoi : j’ai tout à apprendre de la vie, de celle menée par les femmes dont je m’occupe mais aussi par les sœurs qui gèrent d’une main de maître cette grande maison.
Se contenter du nécessaire
Dès mon arrivée, je suis émerveillée par la joie qui règne en ce lieu… Certaines femmes n’ont rien mis à part un lit et un chapelet. Et pourtant, dans ce dortoir, je n’ai jamais senti une telle joie de vivre. À Peace Home, on ne manque de rien, mais on se contente du nécessaire : cela suffit et rend heureux. Un prêtre de passage nous avait dit : « Il ne faut pas oublier de s’émerveiller d’avoir deux pieds qui nous portent chaque jour, quel bonheur mais surtout quelle chance. » Ici cela nous est rappelé chaque jour ! Je découvre à quel point je peux être moi-même heureuse alors que ce n’est pas facile au quotidien, cela n’empêche pas les journées d’être riches et profondément belles. Dans cet univers si éloigné de mon confort parisien, je me sens comblée. Les personnes y sont pour beaucoup. Les patientes sont exigeantes, parfois un peu trop lorsque je sens de la fatigue poindre, mais tellement attachantes.
Au premier abord, la langue est une grande difficulté. Ici, à Peace Home, on parle le malayalam, pas l’anglais. Je suis curieuse et j’aimerais tout com- prendre. Mais non, je ne saurai pas tout, tout de suite. Et, finalement, peu importe ! Je suis simplement là pour donner de mon temps. On ne me demande pas de comprendre ou d’envisager les choses à ma manière mais simplement d’être, d’être là pour les pensionnaires. Rien de plus.
Un lâcher-prise essentiel
À Peace Home, j’ai ainsi décou- vert à quel point l’instant pré- sent est délicieux. On ne peut parler du passé, je ne peux pas savoir les histoires qui se cachent derrière ces visages qui m’entourent et dont je m’occupe chaque jour. Pourtant, Dieu sait à quel point je voudrais en savoir plus. Le futur non plus ne m’est pas accessible. Ce qui se passe dans une heure, je le découvri- rai en temps voulu, c’est-à-dire dans une heure. Dès lors que reste-t-il ? Ce cadeau qu’est le présent. Et encore une fois cela suffit. J’apprends l’importance des mots « prendre le temps ».
Accepter l’inattendu. Voilà ce que l’on me demande chaque jour. Au réveil, je ne sais pas les surprises que la journée me réserve. Parfois c’est la présence de l’évêque à la messe du matin, d’autres jours c’est un simple « merci » ou alors une aide pour le ménage ! Lâcher prise, ce n’est pas évident au début ; mais lorsque l’on n’a pas le choix, on se force et puis on apprend au fil des jours à se rendre disponible.
Des femmes extraordinaires
Je ne peux terminer ces quelques mots sans vous parler des sœurs qui dédient leur vie entière à servir les plus pauvres et à travers eux le Christ Lui- même. Dans tout ce qu’elles font, elles sont dans le juste : pas de gestes inutiles, pas de caprices, mais un regard et une attention qui marquent. Elles rayonnent dans tout ce qu’elles font. Quelle chance inouïe que de pouvoir vivre à leurs côtés et apprendre. Elles sont arrivées à Peace Home pour vivre avec des sœurs qu’elles n’ont pas choisies et travailler auprès des plus petits de ce monde. Jamais elles ne se plaignent, elles avancent sans cesse avec une grande confiance.
Alors oui elles sont bien aidées par des jeunes femmes venant d’États plus pauvres du nord de l’Inde qui accomplissent un travail impressionnant. Si elles sont extrêmement cou- rageuses, beaucoup repartent au bout d’une semaine. Tout l’enjeu est de réussir à les garder pour un temps long. Elles sont payées et peuvent ainsi se constituer une dot. Elles sont « en sécurité », comme m’expliquait Simi Sister, et elles n’ont à se préoccuper de rien : elles vivent sur place aussi.
Je suis désormais convaincue d’une chose, peut-être la plus importante d’ailleurs, toutes ces femmes puisent leur force dans la prière. Sans cette vie de prière quotidienne, tout s’écroule. Grâce à elles, j’ai appris à me mettre à genoux et je les remercie sincèrement.
Alice B, volontaire MEP
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Alice B, volontaire MEP