Pendant dix ans, Mayeul Faure a fait des allers-retours, en covoiturage, entre Paris et Lille – ce mode de déplacement écologique, économique et très social lui plaisait beaucoup. Il s’est retrouvé quasi-systématiquement questionné sur la religion, surtout depuis qu’il est séminariste : « La longueur du trajet, l’assurance qu’on ne se reverra pas, le cadre de la voiture étaient propices aux confidences », se souvient-il. À chaque fois, il a vécu une belle occasion de témoigner, mais aussi d’écouter des Français de tous horizons. Il a constaté que la grande majorité est agnostique. Beaucoup revendiquent les valeurs chrétiennes mais n’ont plus la foi qui était celle de leurs parents ou de leurs grands-parents et, bien souvent, ils recherchent des raisons d’espérer.
Apprendre la foi de l’Église
Mayeul Faure est né en 1988, dans une famille à la foi vivante. Cinquième d’une fratrie de six enfants, il grandit à Chambourcy, petit village des Yvelines. Tous les dimanches, il sert la messe, avec ses deux frères, à l’église à côté de chez lui. La prière familiale rythme le quotidien et il apprend la prière personnelle grâce à l’adoration eucharistique souvent proposée à la paroisse : « Depuis tout petit, grâce à la prière, j’ai une relation à Dieu simple, d’un ami à un ami et une vraie relation maternelle à la Vierge Marie », précise-t-il.
Si la foi est bien vivante dans sa famille et dans sa paroisse, il est confronté, à l’école, à un monde où Dieu semble absent, ce qui est une vraie interrogation pour lui. Il ressent le manque de camarades de son âge avec qui parler de religion. À l’adolescence, en plus du scoutisme, il participe à des colonies d’été ou d’hiver, qui allient détente, enseignement et prière. Elles se déroulent dans un pays d’Europe, accompagnées par un prêtre. Mayeul apprécie, particulièrement, ces temps de vacances pendant lesquels il peut échanger avec d’autres jeunes catholiques. « Cela m’a permis de passer d’une foi d’enfant à une foi adulte, avec la capacité de mettre des mots dessus », confie-t-il. Il y découvre aussi sa passion pour le chant choral.
Il s’y investit beaucoup et devient animateur dès qu’il en a l’âge. C’est, alors, une nouvelle expérience, où il apprend à être au service des plus jeunes et où il se trouve en position de témoigner de sa foi dans la vie quotidienne.
Au cours d’une de ces colonies, au milieu des jeunes, lors d’un temps d’adoration eucharistique le soir, il ressent fortement l’appel du Seigneur à le suivre, et à tout donner pour le suivre, dans une vocation religieuse. Il a alors 20 ans et il n’y avait encore jamais pensé ! Cette veillée d’adoration le laisse bouleversé mais serein et sûr de lui. Il sait qu’il lui faudra encore chercher de quelle façon répondre à cet appel. À l’époque, il étudie en école d’ingénieur généraliste à Lille. Il ne sait pas trop vers quel métier se tourner, mais il a pris goût à ses études. Il décide de s’y investir complètement et de vivre ses années étudiantes comme un temps de discernement. Il souhaite aussi travailler un peu pour valider ses connaissances. Il ne confie donc à personne le nouveau projet qui occupe son coeur et le mûrit seul, paisiblement.
Première mission en Afrique
En 2010, un redoublement se profile. Il ressent le besoin d’une vraie coupure. De façon providentielle, son école lui accorde une année de césure. Il choisit un volontariat avec l’association Noé Mission, de la communauté Saint-Jean. Le principe est un peu le même qu’aux MEP : on reçoit sa mission, on ne la choisit pas. Le voilà envoyé, pour un an, en Guinée-Conakry. Il est heureux d’aller en Afrique car il a des origines familiales sur ce continent : son père est né au Gabon, ses oncles ont vécu en Afrique et il a grandi avec les éléphants en ébène sur la cheminée, les masques africains, les histoires familiales, les romans de Joseph Kessel ou Henry de Monfreid lus à l’adolescence.
Pendant son volontariat, il loge à l’hôtellerie du prieuré de la communauté, au milieu des frères. Il devient plombier, électricien, chef scout, chauffeur, rend de nombreux services. Mais, surtout, il peut développer sa vie de prière ! Il assiste à la messe tous les jours, participe aux offices et à l’adoration avec les moines. C’est, pour Mayeul, une découverte émerveillée de la liturgie des Heures, cette prière de l’Église, qu’il connaissait un peu mais qu’il vit intimement pendant un an.
Il découvre une autre culture dans laquelle il est tout à fait normal de croire en Dieu, c’est plutôt l’athéisme qui est considéré bizarrement ; à l’inverse de ce qu’il a constaté en France. La Guinée- Conakry le transforme, le fait grandir humainement et spirituellement . « Cette césure a été extrêmement bénéfique à tout point de vue », assure-t-il.
Il côtoie aussi les missionnaires. La plupart sont en mission pour deux à six ans, parfois renouvelés, mais ils ne restent pas longtemps dans le pays. Il constate que, parmi les prêtres français, aucun n’a appris le soussou, la langue locale. Un ancien volontaire lui donne ce conseil : « Il faut apprendre la langue, Mayeul, c’est important de parler la langue des gens ! » Un seul missionnaire français, qui est présent dans le pays depuis plus de vingt ans, parle le soussou et semble être très bien intégré à la population.
Sans vraiment connaître encore les MEP, Mayeul perçoit, à ce moment, l’importance de la mission ad vitam, c’est-à-dire « à vie dans le même pays » pour parler la langue et s’inculturer en profondeur.
Trouver son chemin
De retour au bout d’un an, Mayeul sait qu’il doit réfléchir sérieusement à sa vocation et décide de prendre un père spirituel. Le père Michel Claeys, qu’il connaît bien car il gérait les camps chrétiens où il a passé ses vacances, devient son accompagnateur. Il effectue aussi des retraites tous les six mois, notamment chez les Cisterciens.
En 2013, le voilà ingénieur diplômé ! Il commence à travailler dans le génie électrique comme responsable de réseaux d’éclairage public. C’est un métier dur, mais qu’il aime. Il a de belles relations, très franches avec les collègues. Il reste dans le Nord, une région accueillante et attachante.
Il travaille aussi pour les projets africains de son entreprise, qui lui propose de suivre les chantiers sur place. En 2015, il s’installe donc, pendant un an, à Yaoundé, au Cameroun. Son deuxième séjour en Afrique l’entraîne à nouveau dans une aventure professionnelle et humaine marquante. Il se lie d’amitié avec les coopérants français sur place (Fidesco et DCC) ; le petit groupe se retrouve à la messe et partage une vie de prière. Avec eux, il découvre l ’encyclique Laudato si’ qu’ils étudient ensemble.
À son retour, il est envoyé dans un bureau d’études, le temps qu’on lui trouve un chantier. C’est l’occasion qu’il attendait pour vraiment franchir le pas ! Il demande un congé sabbatique à son patron, puis annonce à ses parents, ses amis, ses collègues qu’il rentre en propédeutique aux MEP.
Devenir missionnaire
Le père Michel Claeys lui avait présenté les MEP qu’il connaissait peu. Il a été immédiatement attiré par la doctrine missionnaire ad extra et ad vitam. De sa première expérience en Afrique, il avait ressenti l’importance de l’enracinement qui implique de partir à vie, d’apprendre la langue et la culture des personnes vers lesquelles on est envoyé. La propédeutique lui permet de poser une vie de prière, qui était difficile à tenir dans le monde du travail, et de prendre le temps de connaître la maison MEP. À la fin de l’année, conforté dans sa vocation, il démissionne de son entreprise, rend son appartement à Lille et rédige sa demande d’entrée au séminaire pour les MEP.
La formation des séminaristes est un temps d’ascèse. Les études y sont très littéraires, ce qui lui est difficile, mais il apprend à structurer sa pensée et à rendre compte de sa foi : comment l’apporter, comment la transmettre ? Il prend goût à l’exégèse et à la philosophie qu’il ne connaissait pas vraiment. Il se recentre de plus en plus sur le Christ et apprend à vivre avec l’Église telle qu’elle est.
On lui demande de choisir un diocèse d’incardination, il désigne celui d’Autun, où sont ses racines familiales. Il effectue un an de stage en paroisse à Mâcon, où il est très bien accueilli. En 2020, il décide de se rapprocher de cette Église locale avec laquelle il noue des liens et termine sa formation au séminaire de Lyon.
Mayeul traverse cette période en communion avec son petit frère, rentré chez les Carmes, quelques années auparavant. Les deux frères ont commencé en même temps leurs études de philosophie et théologie. Son frère a prononcé ses voeux perpétuels en octobre 2022, et il vient d’être ordonné diacre. Les deux frères, qui se voient aussi souvent que possible, seront probablement ordonnés prêtres en même temps.
Croyants dans le monde moderne
Pour l’avenir, Mayeul souhaite simplement être de plus en plus au service du Christ et de ses frères, quel que soit le pays où il sera envoyé.
Face au constat d’un monde occidental vieillissant, pas seulement humainement mais intellectuellement et psychologiquement, où l’espérance est la vertu la plus attaquée, il compte sur la jeunesse de la foi dans les autres cultures, convaincu que le sursaut peut venir des pays lointains. « L’éternelle jeunesse du Christ et de son amour pour les hommes peut raviver la petite lumière de l’espérance qui manque cruellement à notre vieille Europe. » Il sait bien, pourtant, que ces pays sont tout autant en proie aux luttes de la mondialisation, du libéralisme et de la consommation à outrance.
« Notre monde atteint par l’écoanxiété, par toutes sortes de peurs doit reprendre confiance en Dieu et retrouver dans la relation avec le Christ, cette joie à laquelle il est appelé. Il faut retrouver des raisons d’espérer et donc d’aimer, et donc de croire. La foi de nos jeunes du monde entier, vécue paisiblement et joyeusement, sera un appel pour raviver l’espérance. C’est dans ce travail que je souhaite me lancer, quel que soit le pays où j’irai, quel que soit le travail concret. C’est l’appel missionnaire : être porteur d’espérance au milieu des gens. »
Sophie Agueh
CRÉDITS
MEP