• Tout d’abord qui sont ces jeunes ?
Nous nous occupons des adolescents entre 15 et 16 ans. Ils sont notre tranche d’âge principale. Ils ont normalement tous suivi le catéchisme depuis l’âge de sept ans et, en août de leur seizième année, ils reçoivent le sacrement de confirmation. Après la confirmation et en fonction de l’expérience qu’ils ont eue de l’Église, certains décident de rester mais la plupart ne reviennent plus. C’est donc à nous de faire de notre mieux afin qu’ils se sentent bien dans la communauté et y restent. Au lieu de se focaliser sur la Bible, nous leur montrons que l’Église est un endroit sûr, qui pourrait être une maison pour eux.
La plupart des jeunes de la paroisse sont issus de familles aisées mais de plus en plus viennent de la classe sociale inférieure. Singapour est une des villes les plus chères au monde, ce n’est pas étonnant que des gens soient en difficulté financière.
Le fait qu’ils viennent d’écoles différentes est source de discriminations ! La plupart des jeunes sont dans des écoles catholiques. Il y a cependant un ou deux jeunes qui viennent d’autres écoles. Ils parlent une langue différente, ils n’ont pas les mêmes manières, et ils se comportent différemment. C’est là que commencent les discriminations quand ils se retrouvent ensemble au catéchisme. Nous travaillons sur cela car de plus en plus de migrants des Philippines et d’Inde arrivent et ces derniers constituent à eux seuls plus d’un quarts de la paroisse. Les choses sont en train d’évoluer et la paroisse se diversifie. Cela change la manière dont nous nous adressons à la fois aux parents et aux jeunes : la langue n’est pas la même, la manière de communiquer diffère.
• Que cherchent les jeunes en venant à l’aumônerie ?
Ils se déplacent en premier lieu pour leurs amis. Si un jeune décide de venir un samedi, il va appeler ses amis et les convaincre de le rejoindre. Ils viennent ensuite pour la bonne ambiance qui y règne. La plupart des jeunes sont issus de familles où l’amour n’est pas trop exprimé comme c’est la culture dans les familles asiatiques. Ils cherchent de l’affection : nous les câlinons beaucoup ! Certains souhaitent revivre la même expérience vécue au cours des camps lors desquels ils ont pour la première fois vécu une présence de Dieu forte. Nous sommes assez charismatiques, nous prions beaucoup tous ensemble. Cela a des bons et des mauvais côtés car il y a des jeunes qui, quand ils ne sentent aucune présence, ne croient plus, se sentent loin de Lui.
Certains cherchent du réconfort. La plupart du temps ils ont des problèmes que nous pouvons résoudre comme des problèmes de cœur. Mais j’ai eu à faire à des problèmes plus graves et comme ils ne l’ont pas dit à leurs parents et ne veulent pas en parler, nous les envoyons voir un prêtre qui les aidera. S’il y a besoin de thérapie, la paroisse payera. Au fur et à mesure des années, c’est de plus en plus difficile de les écouter car ils ne veulent pas se confier à nous, nous voyant comme des professeurs, comme des figures d’autorité. Quand le problème s’aggrave alors ils viennent.
• Que faites-vous avec eux ?
Chaque samedi a lieu une ses- sion au cours de laquelle nous faisons différentes activités toujours fondées sur l’évangile du dimanche. Cela peut être des soirées de louange ou des ateliers bricolage. Ce qui nous prend le plus de temps et d’énergie, c’est la préparation des camps. Nous en organisons deux par année scolaire. Il s’agit de grands rassemblements avec 100 à 120 jeunes et une centaine de bénévoles. Nous le préparons comme un programme de sept jours coupé en deux : un camp en novembre (trois jours et deux nuits) quand ils ont 15 ans et un autre en juin ( quatre jours et trois nuits).
Les camps constituent le plus gros de notre travail et beaucoup de jeunes ne viennent que pour ça ! Sur les quelque cent jeunes, peu d’entre eux resteront après avoir reçu la confirmation. Nous faisons donc de notre mieux pour leur donner la meilleure expérience de l’Église et pour leur apporter un sentiment de communauté, d’espoir, afin de donner une chance à leur foi. Nous cherchons à inclure les parents dans tout ce programme. Plus les années passent et plus nous nous rendons compte que tous leurs problèmes, blessures et insécurités viennent de leur famille. C’est pour cela que nous organisons deux rencontres par an avec eux afin de partager ce que leurs enfants ont fait durant l’année car la plupart l’ignorent. Nous les invitons le dernier jour du camp afin de leur expliquer les changements qui ont pu se produire. Il y a des fois où les jeunes ne sont plus les mêmes après le camp et ils sont tellement transformés qu’ils espèrent voir le Christ partout mais quand ils rentrent chez eux ce n’est pas le cas. Nous demandons alors aux parents d’avoir une conversation avec eux.
• À cet âge, il est difficile de capter l’attention de jeunes gens. Comment faites-vous ?
Je crois profondément que chaque être humain, même jeune et insolent, veut du respect et de la gentillesse. C’est ce que j’essaye d’appliquer ici. Ce n’est jamais facile. Il y a des commérages, des problèmes de couple, des insultes… Nous essayons donc non seulement de leur parler de l’Évangile mais aussi de les accompagner dans la vie de tous les jours. Et dans leur histoire, de leur demander où ils pensent que Dieu est présent. De nos jours, il y a des dépressions chez les jeunes de 10-12 ans et même des envies de suicide. C’est pour cela que nous essayons de faire que les séances soient « en vérité » pour eux et selon les années les moyens diffèrent car les envies des jeunes varient.
Les samedis, il n’y a parfois que vingt ou trente jeunes. Nous essayons de leur faire comprendre la messe car ils trouvent que c’est toujours la même chose. Dans cette dynamique-là, une fois l’an, le Père Bruno Saint Girons célébrait une messe pour jeunes où il explique les étapes les plus importantes et en gardant la liturgie, il les éclaire sur des gestes ou des paroles qu’ils auraient du mal à comprendre. Nos concurrents principaux sont l’école, les activités extrascolaires et les devoirs car la concurrence est forte à l’école pour les élèves à Singapour.
• Cela fait maintenant huit ans que vous êtes au service des jeunes de OLPS. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ? Qu’avez-vous appris de cette expérience ?
Il y a toujours eu des employés à mi-temps mais j’ai été la première à plein temps. L’ancien curé de cette paroisse, parti en 2015, a décidé qu’il fallait quelqu’un à temps plein et il m’a demandé de considérer son offre. Je venais juste de quitter mon poste et j’avais décidé de travailler avec ma mère dans l’artisanat Peranakan (artisanat traditionnel de la population indigène de Singapour). Quand le prêtre m’a fait cette proposition, j’ai tout d’abord refusé. Puis je suis allée voir le Père Bruno Saint Girons, qui est depuis longtemps mon directeur spirituel, pour lui demander conseil. Il m’a tout simplement demandé : « Si tu ne le fais pas, le regretteras-tu ? ». Et j’ai accepté.
Je pense que j’apprends tous les jours de nouvelles choses, je ne finirais jamais d’apprendre grâce à ce travail. C’est deux choses différentes que d’appartenir à une paroisse et de la voir de l’intérieur. On rencontre des parents, des catéchistes et même des adolescents qui sont brisés, traumatisés et je sais qu’il y a tellement de choses que je devrais faire. Je pense que j’ai appris à être plus tolérante et ouverte. Quand c’est difficile, je fais ce que je peux et après je laisse l’Esprit Saint faire le reste. Qu’importe le peu de choses que j’apporte à la table, Dieu peut en faire des choses incroyables, comme avec les cinq pains et les deux poissons.
À chaque fois Il fait des merveilles ! C’est ce qui me pousse à continuer. Quand le Père Bruno était à la paroisse, sans lui je n’y serais pas arrivée. Quand je sentais que plus rien n’allait, je l’appelais. Nous allions faire une longue marche et je lui confiais tout ce que j’avais sur le cœur. La communauté et ma famille sont également là pour moi.
• Vous êtes une bonne coordinatrice de groupe. Vous mettez aussi un point d’honneur à connaître tous les jeunes individuellement. Comment faites-vous ?
Au début, j’ai pris un an pour apprendre à connaître les jeunes. Je les ai invités un par un à prendre un café et je leur ai demandé quels étaient leurs rêves, ce qu’ils attendaient de l’Église. L’année suivante, nous n’avons rien fait de spécial, juste des séances d’échange sur la Bible, mais cela nous a permis de prendre du recul et de réfléchir. Les relations ont été construites entre nous. Aujourd’hui, le nombre de jeunes augmente tellement vite qu’il devient difficile de rencontrer et d’apprendre à connaître chacun d’entre eux. C’est peut-être pour cela que peu d’entre eux restent. Nous essayons donc non pas de grandir en taille mais en profondeur. Pour les accompagnateurs qui ont le plus de mal, nous allons chaque année dans l’église protestante de Singapour, d’où est retransmis le Global Leadership Summit depuis Chicago. C’est un sommet où des personnes influentes interviennent afin de permettre aux participants d’améliorer leurs capacités à convaincre et à parler.
• Votre père est musulman et votre mère catholique. Avez- vous dû choisir à un moment de votre vie ?
Je n’ai jamais eu à choisir. Ma mère a beaucoup insisté pour que je ne sois pas forcée dans la foi. C’est pour cela qu’elle ne m’a pas fait baptiser étant bébé. Mon père quant à lui, n’est musulman que par devoir. Il ne fait pas le ramadan et ne va pas à la mosquée.
Ma mère m’a raconté qu’à l’âge de 5 ans, je lui ai demandé pourquoi tous les autres enfants du catéchisme étaient baptisés et pas moi. Elle m’en a expliqué la raison et m’a ensuite demandé si je voulais être baptisée. J’ai dit oui. Comme je ne m’en sou- viens pas, c’est important pour moi que les jeunes sachent qu’ils ont le choix.
• Mariée depuis l’année dernière, et bientôt maman, pensez-vous que cela va changer votre relation avec les jeunes et allez-vous continuer ?
Je n’en sais rien. Les jeunes qui sont les plus proches de moi m’appellent maman donc cela ne changera pas pour moi. J’ai l’impression d’avoir été appelée maman depuis un bon bout de temps maintenant. Je suppose que la maternité ne changera pas ma relation avec les jeunes mais on ne sait jamais. De toutes les façons, il va falloir que je réduise le rythme qui est intense. Je pense peut-être changer de poste dans la paroisse mais rien n’est encore décidé. Cependant, ces huit dernières années m’ont énormément apporté du point de vue spirituel et humain.