LA SALLE DES MARTYRS

 

Le 3 août 1843 arrivaient au Séminaire de la rue du Bac un coffre hermétique contenant les restes de Pierre Borie, décapité au Vietnam le 24 novembre 1838, ainsi que d’autres souvenirs du martyr dont son immense cangue. En faisant cet envoi au cœur de la première persécution à outrance affrontée par les missionnaires de Paris, le Père Masson, vicaire général du Tonkin Occidental, avait plus ou moins consciemment pressenti que quelque chose se jouait qui allait profondément influencer l’identité et la perception de la Société des Missions Etrangères. Une tradition était en train de se créer, celle du “séminaire des Martyrs”, tragiquement confirmée peu après par les évènements de Corée, puis par d’autres en Chine, en Cochinchine, au Tonkin et en Corée encore.

Les restes et les souvenirs de Pierre Borie furent exposés dans une chambre du premier étage “convenablement décorée”. Les aspirants missionnaires prirent l’habitude d’aller y prier quelques instants chaque jour, et c’est ainsi que tout a commencé. Par la suite, les reliques et souvenirs de plusieurs martyrs furent envoyés des autres missions. Puis arrivèrent les tableaux, des Martyrs du Tonkin. Au bout de quelques années, la chambre du premier étage était devenue trop petite, et incommode à cause du nombre croissant de visiteurs venus de l’extérieur, qui demandaient à “monter à la chambre des Martyrs”. Aussi, tout le contenu de cette chambre fut descendu dans une pièce plus grande du rez-de-chaussée, et la plupart des châsses contenant les restes des martyrs déposées sous les autels de la crypte de la chapelle.

Puis ce furent les béatifications en 1900, 1909, 1925, 1968, suivies des canonisations en 1984, 1986, 2000. La salle ne fit que s’enrichir de nouveaux souvenirs au cours des décennies, et un nouveau public, de plus en plus nombreux, apparut : celui des pèlerins asiatiques désireux de vénérer la mémoire de leurs pères dans la foi. C’est alors qu’un autre lieu fut aménagé, plus vaste et plus accessible de l’extérieur, à mi-chemin entre l’espace profane et culturel de la librairie et l’espace sacré et cultuel de la crypte. Totalement présents à ce monde, mais signes d’un autre monde, telle était bien la place qui convenait aux Martyrs.

Comme les lieux, la représentation et la réputation des Martyrs ont évolué en un siècle et demi. L’image héroïque, glorieuse et parfois un peu trop pompeuse de la grande époque, dont on trouve l’écho dans les cantiques composés par les partants et toute une littérature tombée aujourd’hui en désuétude, a cédé le pas depuis quelques décennies, chez certains, à une incompréhension tout aussi injustifiée. Ici, nous essaierons de retrouver les Martyrs dans leur véritable nature : humains, avec toutes les faiblesses et la relativité que cela implique, mais habités par une force qui les dépassait infiniment : la force que donnent, même dans les pires circonstances terrestres, les trois vertus théologales de Foi, d’Espérance et de Charité.