Eglises d'Asie

Liberté religieuse : le combat des minorités chrétiennes népalaises

Publié le 28/11/2018




Malgré une liberté religieuse relative au sein de la république laïque népalaise, qui a aboli la monarchie hindoue en 2008, les minorités ethniques et religieuses dénoncent une politique contradictoire de la part du gouvernement communiste. Le bureau du président Bidhya Devi Dhandari ainsi que le premier ministre KP Oli ont ainsi fait des déclarations publiques soutenant des festivals hindous tels que Dashain et Tihar, tandis que certains groupes et personnalités font preuve de discrimination à l’égard des minorités, notamment envers les communautés chrétiennes népalaises.

Les plus importants festivals népalais, Dashain et Tihar, qui ont lieu en octobre et novembre, soulignent les héritages de l’hindouisme comme la fraternité, les liens familiaux et le respect pour toutes les créatures, fortement ancrés dans le pays. Les familles profitent de ces festivals qui durent près de deux semaines pour se rassembler, une opportunité rare au Népal où beaucoup d’habitants vont chercher du travail à l’étranger. Parmi les traditions les plus importantes de ces rassemblements, les membres les plus âgés de la famille ont l’habitude de bénir les plus jeunes, sans oublier les traditionnels échanges de cadeaux. Les deux festivals sont dédiés aux dieux hindous tels que la déesse Durga, mais c’est aussi l’occasion de renforcer les liens entre les Népalais. Dans le cas du festival Deepawali (Diwali en Inde), appelé la « fête des lumières », qui a lieu chaque automne, les habitants allument des lumières devant chez eux en symbole du triomphe de la lumière sur les ténèbres. Même certains chrétiens aiment y participer, un signe d’harmonie sociale, religieuse et culturelle.

Sanatan Dharma

Le bureau du président Bidhya Devi Dhandari a publié un communiqué afin d’inviter les hauts fonctionnaires, les personnalités politiques, les cadres et toute la population à porter symboliquement une marque rouge sur leur front (« tika ») durant le festival Dashain. Le premier ministre KP Oli a fait des déclarations similaires auprès de la population. Cette tradition de la « tika » a été pratiquée au Népal durant des siècles, depuis les anciens rois hindous jusqu’au dernier roi népalais, Gyanendra, qui a cédé le pouvoir en 2008 quand la monarchie a été abolie et que le pays est devenu une république laïque en 2007. Toutefois, les Népalais ont encore beaucoup de respect pour l’ancienne monarchie hindoue. Les forces de l’ordre organisent ainsi officiellement des cérémonies « puja » – un rite d’offrande et d’adoration de l’hindouisme, accompagné de chants et de prières – ainsi que plusieurs festivals hindous. Les institutions telles que les hôpitaux et les écoles publiques comprennent également des petits temples hindous construits dans les établissements. De leur côté, les enseignants et les élèves de toutes les écoles publiques et de la plupart des écoles privées célèbrent Vasant Panchami chaque année, un festival dédié à la déesse Saraswati, la déesse hindoue du savoir, du langage, de la musique et de l’art. C’est un exemple de ce qui est connu sous le nom de « Sanatana Dharma », qui désigne le devoir qu’ont tous les fidèles hindous, quelle que soit leur classe ou leur caste, de protéger leur religion et leur culture de génération en génération malgré la montée du sécularisme.

Nouvelle répression contre les minorités

Dans le même temps, il y a également eu une nouvelle répression contre les chrétiens, alors que plus d’une dizaine d’affaires de persécution contre leurs communautés ont été rapportées cette année. Cette tendance a empiré suite au nouveau Code pénal qui a été instauré en août 2017. Même s’il comprend davantage de clauses contre les discriminations, il n’a certainement pas fait progresser la liberté religieuse dans le pays. En juillet, un couple étranger, accusé de prosélytisme, a été condamné à payer deux amendes de 50 000 roupies (438 dollars) et a été reconduit à la frontière par le département de l’immigration. Le Philippin Richard De Vera et son épouse indonésienne vivaient au Népal avec des visas d’affaire et géraient un restaurant à Patan, quand ils ont été accusés de convertir des hindous népalais au christianisme, une infraction pénale dans le pays. En guise de « preuve », les autorités ont affirmé que Richard De Vera était pasteur dans une église locale, ce qui violait les conditions de son visa de travail. En octobre, un membre des forces de l’ordre népalais a été arrêté après avoir témoigné durant une messe organisée lors d’une conférence religieuse, alors qu’il était permission. Alors que les autorités autorisent et encouragent la pratique des rituels hindous, cet homme a ainsi été condamné pour avoir pratiqué sa foi, ce qui est pourtant un droit pour tous les citoyens népalais selon la Constitution.

Dix évangélistes ont également été arrêtés en novembre dans le cadre de deux affaires distinctes, ainsi qu’un Japonais et un Australien et cinq témoins de Jéhovah. Ils étaient accusés de conversions forcées, bien que les accusations ne semblent pas être fondées. C’est un autre signe d’une liberté religieuse à sens unique dans le pays, alors que les hindous sont autorisés à célébrer la cérémonie connue sous le nom de « Maha Yagya » durant près d’une semaine. Cela montre également à quel point la culture hindoue est enracinée dans le pays malgré la déclaration d’une république laïque il y a onze ans. Malgré ces partis pris, il n’est pas possible de nier l’existence des autres religions, croyances et cultures. Alors que le président et le premier ministre sont affiliés au communisme, une idéologie athée, leur décision d’organiser et de soutenir certains festivals hindous à un niveau gouvernemental, en publiant des déclarations publiques officielles pour l’occasion, semble inhabituelle et discriminatoire. Par ailleurs, le gouvernement a récemment retiré une épithète biblique d’un hôpital financé par une ONG chrétienne, à Surkhet dans l’ouest du Népal. Cependant, les statues de Shiva et de Krishna se tiennent toujours au-dessus de l’entrée principale de l’établissement. De plus, des écoles chrétiennes sont visées et accusées de prosélytisme, suite à l’organisation de prières du matin mentionnant les mots « Dieu » et « Jésus ». Dans la plupart des cas, la majorité de la population est complice de ces discriminations. On constate ainsi l’essor de petits groupes extrémistes antichrétiens. De même, certains médias évoquent ces affaires d’une manière discriminatoire.

Une politique contradictoire

Le pasteur BP Khanal, un chrétien engagé en politique et secrétaire de l’IPPFoRB (Commission parlementaire internationale sur la liberté de religion ou de croyance), a publié récemment un message sur sa page Facebook : « Le pays est dirigé par les communistes, qui sont arrivés au pouvoir sur la base de leur engagement de fonder un État providence soutenant les minorités ethniques et religieuses. Les dirigeants ne croient en aucune religion, et pourtant, ils organisent des évènements officiels afin de célébrer des festivals hindous, tout en persécutant les membres des minorités religieuses comme s’ils avaient enfreint la loi. Cela donne l’impression que nous vivons encore sous l’ancien système politique Panchayat à parti unique. » Il a appelé le gouvernement à se comporter de manière plus « neutre » et à fonder les bases d’une société plus juste et équitable. Le pasteur Tanka Subedi, qui préside la Société chrétienne népalaise (NCS), une coalition d’Églises évangéliques dans le pays, ajoute que le président et le premier ministre sont libres de pratiquer toute religion en privé. Mais en tant que représentants de l’État, ils ont le devoir de lutter contre les discriminations contre les autres religions, ce qui rend leur décision de soutenir et d’organiser certaines cérémonies religieuses inacceptable, souligne-t-il. Si le Népal est toujours un État hindou, Tanka Subedi souhaite que le gouvernement l’affirme ouvertement et clairement afin d’éviter les confusions.

Sécularisme relatif

Le Népal est considéré comme un pays relativement tolérant envers les minorités religieuses, malgré les violences répétées entre les hindous et les musulmans et les exemples de persécution contre les chrétiens. Toutefois, le comportement discriminatoire de certaines personnalités et de certains petits groupes extrémistes est un signe inquiétant. Alors que le Népal, comme beaucoup de pays, devient de plus en plus hétérogène, de plus en plus d’habitants se retrouvent opprimés à cause de leurs traditions religieuses et culturelles. La question reste en suspens quant à la capacité du gouvernement communiste de favoriser un comportement plus raisonnable de la part de la majorité hindoue, en défendant les droits des étrangers et des migrants. Le sécularisme népalais n’est pas absolu, dans le sens où la religion n’est pas réprimée totalement, et le pays peut encore s’épanouir, à condition de lutter contre les discriminations et de soutenir toutes les cultures et croyances religieuses au Népal.

(Avec Ucanews, Kathmandou)


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MEP