Eglises d'Asie

“Lorsque l’EGLISE EN EUROPE SE TOURNERA VERS L’ASIE”

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Que veut dire ‘évangéliser’, tout particulièrement en Asie ?

Mgr Luis A. Tagle : Evangéliser signifie apporter la Bonne Nouvelle sur tous les plans de la vie humaine. C’est ce qui dit Evangelii Nuntiandi (‘De l’évangélisation dans le monde moderne’), encyclique donnée par le pape Paul VI en 1975. Evangéliser, c’est apporter l’Evangile dans tous les aspects de la vie, y compris la conscience, la famille, les médias, afin que l’Evangile, qui est la Bonne Nouvelle, ne reste pas caché. L’Evangile est si bon qu’il a quelque chose à apporter pour tous les aspects de la vie.

Bien qu’il existe un engagement partagé de la part de l’Eglise quant à l’évangélisation, un conflit apparaît quant à la manière de mener celle-ci. Comment apportons-nous la Bonne Nouvelle aux gens ? Pendant des années, une forme d’évangélisation a été prédominante. C’est la proclamation explicite de Jésus. Cela veut signifie prêcher dans le sens traditionnel du mot, qui est intimement lié à la notion d'”implantation” de l’Eglise. Et la manière de mesurer le nombre de personnes qui ont déjà reçu la Bonne Nouvelle est de compter combien ont été baptisées et à quelle date une communauté a été fondée.

Cela pose-t-il un problème ?

Personne ne remet cela en question. Si un tel schéma est applicable dans certaines situations, alors cela fonctionne. Ce que nous disons ici en Asie, ces trente dernières années, c’est qu’il existe certains contextes en Asie où ce mode de proclamation directe n’est pas possible. Il peut même se révéler contreproductif et nous avons donc le devoir de trouver d’autres modes d’évangélisation. Le problème est que certaines personnes s’en tiennent à la prédication directe et estiment que la manière asiatique d’entrer dans un dialogue de vie avec les autres religions et les autres cultures est une trahison de l’évangélisation.

Certaines personnes se montrent donc circonspectes face à cette approche ?

Habituellement, l’expression de peur et de prudence vient d’abord de la part de certains responsables ecclésiastiques qui s’inquiètent du fait que le dialogue puisse devenir un substitut à la prédication directe. Ils ont donc peur que nous entrions dans des compromis et qu’à la fin Jésus soit oublié.

Je ne leur en veux pas. Il est bon que nous soyons rappelés à nos obligations. Et j’ai vu des gens, des responsa-bles ecclésiastiques, qui ont changé d’opinion dès lors qu’il leur était expliqué que la prédication directe n’était pas oubliée mais que le dialogue était l’attitude la plus directe que vous pouviez adopter dans certains cas. Dans certains pays en Asie, il est interdit de prêcher. Dans de telles situations, si vous ne dialoguez pas, que pouvez-vous faire d’autre ? L’alternative est le martyre et tous ne sont pas appelés à être des martyrs. Je salue et respec-te profondément ceux qui sont appelés à ce don. Mais certaines personnes vivent des situations complexes, en Chine par exemple. On ne peut pas juger les personnes qui appartiennent à l’Association patriotique des catholiques chinois parce qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être clandestin. On ne peut pas dire que ces personnes sont moins données à l’évangélisation. Peut-être est-ce là le maximum de ce qu’elles peuvent faire.

Nous entendons aussi de la part de responsables ecclésiastiques, en Asie et en dehors de l’Asie, que des universitaires, des religieux et des laïcs sont eux aussi perplexes face au dialogue. Mais je crois qu’ils protègent une image de l’Eglise à laquelle ils ont été habitués. Maintenant que nous abordons de nouveaux territoires, ils se montrent à nouveau très inquiets.

Que cela signifie-t-il pour l’Eglise en Asie ?

Je ne leur fais aucun reproche. Je ne peux pas les juger. Ils sont mus par leur amour de l’Eglise. Et c’est sans doute pourquoi il appartient à ceux qui proposent le dialogue de montrer, non pas seulement d’un point de vue théorique, mais concrètement, qu’il est vraiment bon d’entrer en dialogue, de dialoguer. C’est au moment où les gens réalisent que leurs peurs sont infondées qu’ils sont prêts à revoir leurs propres idées. J’ai fait personnellement l’expérience de cela. J’ai eu des rencontres avec des responsables de l’Eglise qui me disaient qu’ils étaient inquiets à propos de ce que faisaient et de ce que proposaient les évêques d’Asie. Vingt ans plus tard, je les ai de nouveau rencontrés ; ils voyaient les réalités de l’Asie et ils avaient vu des gens qui étaient entrés en dialogue. Ils ont eu l’humilité et la joie de dire : “Maintenant, je comprends ce que les évêques d’Asie font.” C’est pourquoi je ne suis pas une personne en colère qui demande pourquoi ne dialoguent-ils pas, pourquoi ne nous comprennent-ils pas. J’ai connu des gens qui ont changé d’opinion et qui ont fait cela parce qu’ils ont expérimenté une nouvelle réalité. Ils sont entrés en contact avec les réalités de l’Asie et ils ont rencontré des laïcs et des prêtres en Asie qui engagent le dialogue et font que cela porte du fruit.

Pourquoi est-il difficile pour les autres d’apprécier le dialogue dans la mission ?

A l’heure qu’il est, nos façons de faire sont encore abstraites pour eux. Mais quand la réalité s’impose, lorsqu’ils deviennent comme nous, ils comprennent. Certains en Europe s’inquiètent de la direction prise par la mission en Asie. Ils disent : “Tout ce que vous faites, c’est dialoguer.” Je leur dis : un jour, vous étudierez nos travaux parce c’est ce qui se passe en Europe aujourd’hui. L’Eglise devient plus petite. En Europe, ils ont commencé en étant la majorité. Pratiquement toute l’Europe était chrétienne. Aujourd’hui, les chrétiens, petit à petit, deviennent moins nombreux et d’autres religions grandissent. A un moment, la communauté chrétienne ne sera plus qu’“un petit troupeau” et, à ce moment-là, ils vivront ce que nous vivons en Asie. Peut-être alors, ils regarderont comment nous vivons la mission en Asie. La dynamique sera sans doute différente car ils ont commencé grand et, ici en Asie, nous avons commencé petit. Mais, aujourd’hui en Europe, ils deviennent petits à mesure que leur société devient de plus en plus pluri-religieuse, multiculturelle, du fait des migrations, et la pauvreté y est grandissante.

A quoi le Congrès missionnaire asiatique est-il parvenu en termes d’évangélisation ?

Je pense que ce congrès va donner naissance à de nombreux autres congrès, plus petits. Les délégués vont revenir chez eux. Ils seront capables d’identifier certains points-clefs et les problèmes douloureux de la pauvreté, de la violence entre les groupes issus de religions différentes. Ils auront plus de courage pour analyser les facteurs qui se cachent derrière ces conflits, derrière le terrorisme, derrière la discrimination. Je pense que ce congrès vient aider chacun à être mieux équipé, afin de poursuivre son histoire et ajouter de nouvelles histoires avec lesquelles il ou elle n’est pas encore familier au plan local.

Cela semble être une certitude pour vous.

Oui, il y a quelque chose d’inévitable ici. Et cela nous renvoie à ce qu’est le christianisme. C’est une religion qui vient nous déranger. Ce que nous avons dit, lors de ce congrès – connaître le Christ, embrasser notre christianisme -, ce n’est pas simple. Un véritable chrétien sera si perturbé par telle ou telle situation qu’il ne peut pas rester à ne rien faire. Ce n’est pas facile. C’est un peu à l’image de ce que nous a confiés cette déléguée de Singapour qui a raconté son voyage sur une décharge aux Philippines. Vivant à Singapour, la pauvreté n’était qu’un concept pour elle. Lorsqu’elle a fait l’expérience de la pauvreté, c’est toute la perspective qu’elle avait sur la vie qui a changé.