Eglises d'Asie

Benoît XVI et l’Asie

Publié le 13/02/2013




Lorsque la nouvelle de la renonciation du pape Benoît XVI à son pontificat est tombée lundi 11 février, l’Asie sinisée était en plein dans la pause du Nouvel An lunaire, consacrée aux réunions familiales. La composante hindoue de l’Asie du Sud vivait quant à elle le très suivi pèlerinage de la Mela Kumbh Mela. Toutefois, partout en Asie, où, à l’exception des Philippines et du Timor-Oriental, les catholiques forment de petites minorités, l’information a été largement reprise et diffusée.

En huit ans de pontificat, l’action de Benoît XVI à la tête de l’Eglise catholique a été particulièrement sensible en Asie dans la mesure où elle s’est attachée aussi bien à préserver l’unité de la communauté catholique qu’à défendre la liberté religieuse pour tous – et pas seulement pour le bien des chrétiens.

Benoît XVI avait indiqué dès le début de son pontificat que ce qu’il convient d’appeler « le dossier chinois » serait l’une des priorités de son pontificat. Après un pape polonais perçu par les dirigeants chinois comme ayant pris une part active à la chute des régimes communistes en Europe, Benoît XVI tenait à faire progresser ce dossier, Rome étant conscient que la division de la communauté catholique de Chine continentale en « clandestins » et en « officiels » portait préjudice non seulement à l’unité de l’Eglise de Chine mais aussi à l’évangélisation d’une population et d’une société bouleversées par des changements extrêmement rapides.

La dernière lettre d’un pape adressée à la Chine et aux catholiques chinois remontait à Pie XII et au début de la prise du pouvoir par Mao Zedong et les communistes chinois (Cupimus Imprimis en 1952 et Ad Sinarum Gentem en 1954). La lettre que Benoît XVI adresse en 2007 « aux évêques, aux prêtres, aux consacrés et aux fidèles laïcs de la République populaire de Chine » fait date. Outre le fait qu’en l’absence de relations diplomatiques entre Rome et Pékin, elle donne une forme de reconnaissance à la « République populaire de Chine », la lettre est un rappel très clair et pédagogique des principes qui sont à la base de la foi catholique et du fonctionnement de l’Eglise. Est notamment expliquée l’incompatibilité de la loi catholique avec « certaines institutions » mises en place par les autorités chinoises, à savoir l’Association patriotique et la Conférence des évêques « officiels ». La communion de l’Eglise de Chine passe quant à elle par le pardon entre les différents groupes qui la composent. Et s’agissant des autorités civiles chinoises, le pape redit sa volonté d’engager avec elles un dialogue respectueux et constructif.

Fort de la feuille de route que constitue cette lettre et de la mise en place d’une Commission ‘Chine’ au Vatican, le « dossier chinois » va cependant connaître peu d’avancées visibles. Sur le sujet central de la nomination des évêques chinois, Pékin répondra en acceptant certes un certain nombre de nominations concertées avec le Saint-Siège mais aussi en « forçant » un certain nombre d’autres nominations, amenant le pape à prononcer l’excommunication de plusieurs évêques ordonnés sans son accord. Sur le plan diplomatique, la visite en Chine en novembre 2007 de Mgr Parolin, sous-secrétaire à la Secrétairerie d’Etat pour les relations avec les Etats, avait été remarquée car c’était la première fois qu’une délégation vaticane de si haut rang était dépêchée en Chine, mais elle est demeurée sans lendemain, faute d’une réponse satisfaisante de Pékin.

Au sein de l’Eglise de Chine, si certains – comme l’évêque auxiliaire du diocèse de Shanghai – ont su donner de réels témoignages d’unité et de courage, d’autres, qualifiés d’« opportunistes » par Mgr Hon Tai-fai, secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, ont ouvertement joué le jeu de la division mené par Pékin pour affaiblir la communauté catholique. Quant au régime chinois lui-même, il n’a jamais indiqué à ce jour qu’il était prêt à reconsidérer sa politique envers les religions, quelles qu’elles soient, à savoir une politique visant à maintenir les instances religieuses dans un état de sujétion par rapport au pouvoir politique.

Dans son traditionnel message urbi et orbi, à l’occasion de Noël en décembre dernier, Benoît XVI n’avait pas hésité à lancer, en une démarche suffisamment rare pour être notée, un message direct en faveur de la liberté religieuse pour la Chine : « Que le Roi de la Paix porte son regard sur les nouveaux dirigeants de la République populaire de Chine pour la haute charge qui les attend. Je souhaite que celle-ci mette en valeur l’apport des religions, dans le respect de chacune, de sorte qu’elles puissent contribuer à la construction d’une société solidaire, au bénéfice de ce noble peuple et du monde entier. » Dans l’hypothèse où les dirigeants chinois mis en place en novembre dernier lors du XVIIIème Congrès du Parti communiste chinois entendent cet appel, le Saint-Siège avait par avance invité Pékin à « passer à une autre manière de communiquer » : en octobre 2012, le cardinal Filoni, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, avait proposé la mise en place d’« une commission permanente au plus haut niveau » entre la Chine et le Saint-Siège. A ce jour, Pékin n’a pas fait connaître sa réponse.

Concernant le Vietnam, Mgr Pierre Nguyên Van Kham, évêque auxiliaire de Saigon, a tenu les propos suivants à propos de l’influence que Benoît XVI avait exercée sur l’évolution récente de la vie de l’Eglise au Vietnam : « (…) Le Saint-Père Benoît XVI a renforcé les liens du Saint-Siège avec le gouvernement du Vietnam. C’est aussi Benoît XVI qui a tracé pour la communauté du peuple de Dieu au Vietnam une orientation de vie chrétienne spécifique : être à la fois des disciples authentiques du Seigneur Jésus et des bons citoyens contribuant à l’édification d’une société juste et fraternelle. »

L’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le Vietnam était déjà l’un des objectifs du pontife précédent. Dès le début de son pontificat, Benoît XVI le prend à son compte. Il y fait une allusion directe lors de sa première rencontre avec les diplomates étrangers au lendemain de son élection. Dans un contexte qui indique clairement qu’il s’agit du Vietnam, il déclare : « Ayant apprécié de tels gestes [l’envoi d’une délégation aux cérémonies de son élection], je désire aujourd’hui leur exprimer ma gratitude et adresser un salut déférent aux autorités civiles de ces pays. » Quelque temps plus tard, du 27 juin au 2 juillet 2005, une délégation gouvernementale du Vietnam est accueillie avec chaleur par les principaux responsables du Saint-Siège. Mais la concrétisation la plus éclatante de ce rapprochement diplomatique fut sans conteste la rencontre au Vatican du Premier ministre Nguyên Tân Dung avec le pape Benoît XVI, en janvier 2007. A cette occasion, le Saint-Siège fait savoir qu’il est prêt à établir des relations diplomatiques. Le 1er février suivant, le porte-parole du gouvernement vietnamien précise toutefois que le chef du gouvernement vietnamien s’était contenté de noter cette opinion.

Cette première réunion au sommet sera suivie dans les années suivantes par trois séries de négociations entre les deux parties, réunies dans ce qu’on a appelé « le groupe mixte de travail Vietnam-Vatican », en février 2009, en juin 2010, et en février 2012. Lors de la deuxième réunion du groupe, les deux parties se sont accordées sur la nomination par le pape d’un représentant non résident au Vietnam. C’est Mgr Leopoldo Girelli, nonce apostolique à Singapour, qui est choisi par le pape, en janvier 2011, pour tenir cette fonction. Lors de son premier voyage Vietnam, le représentant du pape transmettra ses lettres de créances, non au gouvernement mais à la Conférence épiscopale. Il se présentera lui-même comme ambassadeur du pape au auprès de l’Eglise du Vietnam.

Les relations diplomatiques sont donc encore à venir, même si la visite au pape du Premier ministre en 2007 a été suivie plus tard par celle du chef de l’Etat vietnamien et, tout récemment, en janvier dernier, par celle du secrétaire général du Parti communiste.

L’attitude à adopter face au régime communiste est encore un sujet de controverse à l’intérieur de la communauté catholique. A l’intérieur de l’épiscopat, les avis sont divergents. Benoît XVI, lors de la visite ad limina des évêques vietnamiens vietnamiens, a adressé aux évêques une ligne de conduite, leur déclarant le 27 juin 2009 : « L’Eglise invite tous ses membres à s’engager loyalement dans l’édification d’une société juste, solidaire et équitable. Son intention n’est certainement pas de prendre la place des chefs de gouvernement ; elle veut seulement être en mesure de jouer un rôle dans la vie de la nation, au service de l’ensemble du pays, dans un esprit de dialogue et de collaboration respectueuse. »

Cette invitation au dialogue et à la collaboration avec le pouvoir politique a été interprétée différemment différentes au sein de la communauté catholique du Vietnam. Récemment, Mgr Paul Bui Van Doc, dans une intervention lors de la récente réunion de la FABC au Vietnam, a fait du « matérialisme athée » un partenaire essentiel du dialogue de l’Eglise.

Outre la Chine et le Vietnam, Benoît XVI a suivi de près certains dossiers, notamment en ce qui concerne l’Eglise en Inde. Inscrivant son action à la suite de celle de son prédécesseur Jean-Paul II, il a confirmé et accompagné certaines décisions concernant les deux Eglises catholiques non latines d’Inde.

L’Eglise syro-malabare avait été élevée en 1992 par Jean-Paul II au rang d’Eglise archiépiscopale majeure puis autorisée par le même Jean-Paul II en 2004 à élire ses propres évêques. Le 24 mai 2011, après le décès du cardinal Varkey Vithayathil, le synode de l’Eglise syro-malabar élisait donc pour la première fois son archevêque majeur, en la personne de Mar George Alencherry. Deux jours plus tard, Benoît XVI confirmait l’élection de celui qui devait chef de l’Eglise catholique de rite oriental syro-malabar.

Dans le même ordre d’idées, s’agissant du renforcement des Eglises catholiques de rite oriental, en octobre dernier, Benoît XVI créait cardinal Baselios Mar Cleemis Thottunkal, catholicos de l’Eglise syro-malankare. Baselios Mar Cleemis Thottunkal devenait ainsi le premier évêque de son Eglise à revêtir la pourpre cardinalice.